Banques : la giroflée à cinq feuilles

par Frédéric Rollin, Senior Investment Adviser chez Pictet AM

Depuis 2007, les valeurs bancaires ont perdu plus des deux tiers de leur valeur. Pour certains investisseurs, c’est une sacrée gifle1. Et l’ombre du Japon plane sur les esprits. Economie en stagnation, démographie adverse, bilans bancaires en reconstruction, taux au plancher, sommes-nous partis pour 30 ans de sous-performance des valeurs financières ?

Ces dernières années, cinq forces ont implacablement écrasé la rentabilité des banques européennes.

  • La courbe des taux compresse les marges. La rémunération négative des dépôts à la BCE taxe les banques de 8 milliards d'euros par an environ2. Pour comparaison, les banques américaines sont créditées chaque année de 40 milliards de dollars sur leurs réserves excédentaires2. De plus, les taux longs sont extrêmement bas et les marges d’intérêt des banques en souffrent.
  • Dans les pays périphériques, de nombreuses banques possèdent encore des stocks importants de prêts douteux. En Italie, malgré un assainissement progressif des banques, ces prêts représentent encore 7% du PIB par exemple.

PRÊTS NON PERFORMANTS EN ITALIE : ENCORE UN EFFORT

 Source : Pictet Asset Management, CEIC, Datastream

  • Les banques européennes sont trop fortement exposées aux dettes de leurs Etats. La note italienne par exemple se situe à un pas de la catégorie spéculative et une dégradation supplémentaire oblitérerait très sérieusement l’avenir des banques du pays. Les investisseurs en ont conscience, ce qui nuit aux valorisations du secteur.
  • Les banques affrontent une toute nouvelle concurrence, celle des fintechs, ce qui va peser sur les marges.
  • Enfin, le non finito du projet européen pèse très lourd. Pour construire l’Union bancaire, les banques européennes ont dû s’ajuster très rapidement avec une réglementation sévère. Une part importante des faibles marges générées pendant dix années de croissance molle a servi à répondre à des ratios réglementaires plus stricts et à salarier des employés chargés de les vérifier.

Hélas, malgré ces efforts, l’Union européenne s’est montrée incapable de créer une Union bancaire digne de ce nom. En conséquence, le paysage reste très fragmenté : aux Etats-Unis, les cinq plus grandes banques se partagent la moitié des actifs de toutes les banques du pays; en Europe, les cinq plus grandes banques européennes se partagent moins d'un quart des actifs bancaires2

En somme, les banques souffrent des contraintes de l’Union bancaire par le suivi d’une réglementation plus stricte, mais n’en récoltent que peu d’avantages.

LE LIEN ENTRE BANQUES ET ETAT : LE CAS DE L'Italie

Source : Pictet Asset Management, CEIC, Datastream

Une Union, désunions

Sur les trois piliers de l’Union bancaire – un mécanisme de surveillance unique, un mécanisme commun de résolution des crises et une réglementation uniforme – l’Europe n’en a achevé qu’un.

Le Mécanisme de surveillance unique, mis en place rapidement après la crise de la dette européenne, assure que l’ensemble des banques européennes satisfont des critères de solidité et surveille que des mesures soient prises pour remédier à d’éventuelles faiblesses. Grâce à ce système, nous sommes passés en quelques années de la coordination européenne d’autorités nationales à un processus de surveillance unifié. C’est un premier pas dont les autorités peuvent se féliciter : les banques européennes sont aujourd’hui bien plus résistantes et mieux capitalisées.

Mais le fait qu’elles obéissent aux mêmes critères de prudence n’exclut pas la survenance de faillites.

Et pour éviter que les banques défaillantes ne viennent ponctionner l’argent des épargnants et des contribuables et ne donnent ainsi un coup d’arrêt à la production de crédit, l’Europe a mis en place un deuxième pilier, le mécanisme de résolution unique. Ce mécanisme permet de recapitaliser directement les banques jugées non viables par la BCE. Il renforce la confiance dans le système bancaire en prévenant les retraits massifs de dépôts. De plus, il permettra aux Etats membres de coordonner leurs efforts en cas de faillite transnationale. Des décisions distinctes pourraient avoir une incidence néfaste sur le coût et la durée d’une résolution.

Hélas, ce pilier est fragilisé par le lien entre les banques et les Etats. Effectivement, des éléments essentiels de réglementation restent nationaux. Les créances dites senior – et qui font l’essentiel des dettes bancaires – font toujours l’objet d’une protection publique locale. A ce titre, Monte Dei Paschi, la plus ancienne banque au monde, a quasiment été nationalisée par l’Etat italien. De même, une garantie européenne des dépôts fait défaut. La garantie des dépôts reste pour l’heure nationale, et les déposants préfèrent les banques nationales.

Force est de constater que les compromis politiques nécessaires à la création d’un marché bancaire unique plus large, plus diversifié et plus efficace ont fait défaut.

Partir, revenir

Nos gérants d’actions européennes sont revenus vers le secteur au cours des derniers mois. Pour eux, l’essentiel des efforts réglementaires a été accompli. La mise en place de Bâle IV est remise à 2020 et demandera peu comparativement aux efforts déjà consentis. Nombre de banques sont aujourd’hui surcapitalisées et distribuent en conséquence de généreux dividendes. De belles franchises dans la banque de détail ont largement investi en technologie et devraient bientôt en récolter les fruits. Et les taux, déjà négatifs, ne devraient pas baisser matériellement.

Rappelons que, pendant les trois décennies malheureuses, les valeurs bancaires japonaises ont connu de beaux rallyes, très visibles sur ce graphique.

INDICE DES ACTIONS BANCAIRES JAPONAISES

Source : Bloomberg

NOTES

  1. Source Bloomberg du 31.12.2006 au 17.06.2019
  2. Deutsche Bank Research, 13.03.2019, «How to fix European Banking…and why it matters»