BCE : éclairage attendu sur les stratégies de sortie

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

La BCE devrait effectuer en décembre sa dernière opération de refinancement à long terme (ORPLT) sur un an, et le taux d’intérêt appliqué sera probablement égal au taux de refinancement (sans marge).

La sortie des mesures non conventionnelles sera progressive. La Banque centrale n’a aucune intention de pousser trop vite à la hausse les taux du marché.

Le 3 décembre, la BCE actualisera ses prévisions d’inflation et de PIB pour 2009 et 2010 et dévoilera celles relatives à l’année 2011. 

Compte tenu du rebond de l’activité en cours, il est probable qu’elle ajuste à la hausse ses prévisions de croissance. Toutefois, la BCE devrait annoncer une prévision d’inflation nettement inférieure à 2 % pour 2011.

La tonalité du discours de la BCE ne devrait pas changer. Le taux de refinancement (actuellement à un plus bas historique de 1 %) ne devrait pas être relevé avant la seconde moitié de 2011. 

Le 15 décembre, la BCE effectuera la dernière des trois opérations programmées de refinancement à plus long terme (ORPLT) sur 12 mois. Le 5 novembre, lors de la réunion du Conseil des gouverneurs, Jean-Claude Trichet, le président de la BCE avait précisé que « toutes les mesures en matière de liquidité ne seront pas reconduites », signe que l’ORPLT du mois de décembre sera probablement la dernière.

En outre, Monsieur Trichet a insisté sur le fait que la BCE se réjouissait de constater que le taux de l’Eonia restait proche du taux de la facilité de dépôt plutôt que du taux de refinancement, comme cela était le cas avant l’intensification de la crise financière, signe d’une ‘situation normale’. Cela laisse à penser que la BCE devrait opter pour un processus de retrait progressif des mesures de prêt non conventionnelles. Elle n’a aucune intention de pousser trop vite à la hausse les taux du marché. La dernière ORPLT sur 12 mois prendra, selon toutes probabilités, la forme d’un appel d’offres à un taux de 1 % (c’est-à-dire sans marge par rapport au taux de refinancement), la totalité des soumissions étant servie (les détails seront rendus publics lors de la réunion du Conseil des gouverneurs de la semaine prochaine). Le taux du swap contre Eonia à 1 an se situant actuellement aux alentours de 0,75 %, soit 25 pb en deçà du taux de refinancement, le taux de 1 % appliqué à l’appel d’offres à 1 an est d’ores et déjà supérieur aux taux du marché.

Dans ce contexte, les opérations de refinancement sur les échéances plus courtes n’ont attiré que peu de demande au cours des dernières semaines. Lors de la dernière ORPLT à 6 mois effectuée mi-novembre, le montant des adjudications a atteint EUR 0,78 md seulement, contre EUR 6,8 mds en moyenne lors des quatre procédures d’appels d’offres précédentes d’échéance identique. Le nombre de participants a également sensiblement diminué. Les conditions de liquidité s’améliorent ; le coût de la liquidité à 3 mois est aujourd’hui inférieur au niveau constaté avant l’effondrement de Lehman Brothers. Compte tenu des niveaux des taux d’intérêt pratiqués actuellement sur le marché monétaire, pour les banques qui ont facilement accès au marché interbancaire, les opérations de refinancement de la BCE apparaissent de moins en moins intéressantes.

Pourtant, cette dernière ORPLT d’une durée d’un an devrait susciter un fort engouement, dans la mesure où ce type d’opérations ne devrait pas être reconduit en 2010. En outre, même si la BCE a fait part de son intention de procéder à un abandon progressif de ses mesures non conventionnelles, nul n’est aujourd’hui en mesure de dire avec certitude si elle proposera encore des opérations de refinancement au taux de 1 % l’année prochaine ou si elle introduira une marge sur le taux de refinancement lors des prochaines ORPLT. De plus, on ne connaît pas le nombre et la maturité des ORPLT que la Banque effectuera en 2010. En d’autres termes, l’ORPLT du mois de décembre offre la possibilité de se procurer de la liquidité à des conditions qui devraient être moins avantageuses en 2010. La demande de liquidité devrait dans ces conditions être sensiblement plus forte que lors de l’ORPLT à 1 an de septembre ; lorsque le montant des adjudications avait atteint EUR 75 mds.

Le rebond de l’activité se poursuit…

Lors de la réunion du 3 décembre, la BCE actualisera ses prévisions d’inflation et croissance, comme elle le fait chaque année en mars, juin, septembre et décembre. Cette fois-ci, elles couvriront 2009, 2010 ainsi que 2011.

Compte tenu du rebond de l’activité qui se poursuit, il est probable que la BCE ajuste à la hausse ses prévisions de croissance pour 2009 et 2010 par rapport à ses projections du mois de septembre.

Les estimations de la BCE sont généralement comparables à celles de la Commission européenne qui ont été actualisées au début du mois de novembre. Dans ses prévisions d’automne, la Commission européenne table sur une contraction du PIB de 4 % en 2009 puis sur une croissance de 0,7 % et 1,5 % respectivement en 2010 et 2011. Les données d’enquêtes publiées récemment montrent que la croissance sera plus forte qu’initialement attendu au T4 2009 et au T1 2010. Les projections de la BCE devraient dans ces conditions être quelque peu plus optimistes que celles de la Commission européenne.

…mais la prudence restera de mise pour la BCE

La tonalité du discours de la BCE ne devrait toutefois pas radicalement changer. Les contraintes qui devraient peser sur l’activité économique n’ont en effet pas disparu. La reprise dans le secteur manufacturier pourrait notamment se modérer l’année prochaine une fois que les effets des mesures exceptionnelles, telles les primes à la casse, ne se feront plus sentir. Par ailleurs, le rebond technique initié par la fin du cycle de déstockage ne durera pas. C’est le secteur extérieur qui devrait être le principal moteur de la croissance dans la zone euro l’année prochaine.

La détérioration du marché de l’emploi devrait peser sur la consommation privée

La détérioration du marché de l’emploi se poursuit malgré la reprise en cours. Dans une certaine mesure, la plus grande flexibilité du marché du travail, grâce aux reformes structurelles mises en place au cours de la dernière décennie, ont permis de contenir le recul de l’emploi par rapport aux précédents récessions. Selon les données publiées récemment par Eurostat, les employeurs, plutôt que de réduire fortement leurs effectifs, ont opté pour des dispositifs comme le temps partiel ou la réduction du nombre d’heures travaillées.

Dans certains pays, les autorités ont d’ailleurs encouragé ces mesures, notamment en Allemagne1, où les autorités prennent à leur charge le coût lié au recours au temps partiel ou à la réduction du temps de travail hebdomadaire.

Pour l’ensemble de la zone euro, au T2 2009, la part des salariés à temps partiel s’établissait à 20 % de la population active totale, soit une hausse de 0,4 point de pourcentage par rapport au T2 2008. Il s’agit là d’une progression relativement importante si l’on considère qu’entre le T2 2007 et le T2 2008, la hausse n’avait pas dépassé 0,1%. En outre, le temps de travail hebdomadaire des salariés à temps plein a diminué pour s’établir à 40 heures en moyenne au T2 2009, soit un recul de 0,8 heure par rapport au T2 2008. A contrario, entre le T2 2007 et le T2 2008, le temps de travail hebdomadaire avait progressé de 0,3 heure.

La crise a durement frappé les salariés sous contrats temporaires.

Ainsi, entre le T2 2009 et le T2 2008, le nombre de personnes occupant des contrats temporaires a diminué de 8,3 %, tandis que la part de cette catégorie de salariés dans la population active totale a reculé de près de 1 point de pourcentage au cours de cette même période.

Même si certaines mesures ont pu contribuer à freiner la baisse de l’emploi total, la situation du marché de l’emploi devrait continuer de se détériorer au cours des prochains mois. Ainsi, les données d’enquêtes ont confirmé une poursuite de la contraction de l’emploi dans la zone euro en novembre. Dans ces conditions, le taux de chômage qui se situait à 9,7 % en septembre pourrait bien se rapprocher de la barre des 10 % d’ici à la fin de l’année et poursuivre sa progression l’année prochaine. Dès lors, les dépenses de consommation ne devraient pas repartir à la hausse de sitôt. L’investissement devrait rester morose l’année prochaine en raison des excédents de capacité substantiels. Au total, la demande intérieure ne devrait guère soutenir la croissance en 2010.

Pressions inflationnistes modérées

Les prévisions d’inflation de la BCE pour 2009 et 2010 ne devraient pas présenter de différences majeures avec les projections du mois de septembre. En 2010, l’inflation devrait notamment rester largement en deçà du plafond de 2 %. Les projections d’inflation pour 2011 seront déterminantes pour comprendre l’évolution des taux directeurs. A plusieurs reprises, des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE ont insisté sur le fait que l’ajustement des taux directeurs serait déterminé par les anticipations d’inflation.

Selon nos estimations, l’inflation devrait s’établir légèrement en dessous de 1 % en 2011, soit plus de 1 point de pourcentage en deçà de l’objectif d’inflation de la BCE, essentiellement à cause de la dynamique de l’inflation sous-jacente.

Ralentissement de l’inflation sous-jacente

Même si les cours des matières premières devaient continuer de tirer l’inflation à la hausse dans les prochains mois, des pressions baissières substantielles devraient s’exercer sur l’inflation sous-jacente (les produits industriels hors énergie et les services représentent environ 70 % de l’IPCH). L’écart de production devrait rester négatif et important au cours des prochains trimestres, contribuant à tirer l’inflation sous-jacente à la baisse. Si les facteurs extérieurs ont une certaine influence (au travers des prix des moyens de production importés et des prix des biens et services importés destinés à la consommation finale), les facteurs intérieurs tels que les salaires constituent les principaux moteurs de l’inflation sous-jacente. Cela est d’autant plus évident quand on examine le déflateur du PIB qui présente une forte corrélation avec l’inflation sous-jacente.

La dynamique du déflateur du PIB est principalement déterminée par les coûts salariaux unitaires.

La variation annuelle du e déflateur du PIB a culminé aux alentours de 2,5 % en variation annuelle au cours du T4 2008 avant de diminuer fortement. La contribution des coûts salariaux unitaires reste positive mais est plus modeste. Compte tenu de la détérioration ininterrompue de la situation du marché de l’emploi, la progression des salaires devrait encore ralentir. Cette modération salariale, conjuguée à l’amélioration prévisible de la productivité suite au rebond de l’activité, devrait contribuer à freiner fortement les coûts salariaux unitaires.

D’une manière générale, la baisse attendue de l’inflation sous-jacente2 devrait permettre de compenser la hausse des cours des matières premières dans les prochains trimestres et, partant, de limiter les pressions inflationnistes. Dans ces conditions, la BCE ne devrait pas relever son taux de refinancement (actuellement à un plus bas historique de 1 %) avant la seconde moitié de 2011.

NOTES

  1. Pour plus d’informations sur le marché de l’emploi en Allemagne, veuillez vous reporter à l’étude de Catherine Stephan : « Allemagne: point sur le marché du travail» – Focus 1 EcoWeek 09-44, BNP Paribas
  2. Pour plus d’information concernant l’estimation de l’inflation sous-jacent, voir « Encadré 1 : Estimation de l’inflation sous-jacente », dans « Zone euro : les conditions de marché s’améliorent, mais la BCE ne va pas modifier son analyse » EcoWeek 09-41, BNP Paribas.

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