BCE : prochain assouplissement en mars

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

La performance de la zone euro au T4 a été très mauvaise, avec très probablement une contraction du PIB comprise entre 1% et 1,5 t/t . Les indicateurs tirés des enquêtes menées auprès des entreprises et des ménages sont proches de leur plus bas historique.
Le PIB devrait se contracter de nouveau au T1 2009. Face au ralentissement de l’inflation et à une croissance économique très faible, le cycle d’assouplissement monétaire devrait se poursuivre.
La BCE devrait abaisser de 50 pb, à 1,50 %, son taux de refinancement en mars et le ramener à 1 % d’ici à la mi-2009.

 

Depuis octobre 2008, la BCE a assoupli son taux de refinancement de 225 pb pour le porter à 2 %, son niveau le plus bas depuis plus de trois ans. Lors du ralentissement économique de 2001/2003, la BCE avait ramené son taux de refinancement à 2 %, niveau auquel il avait été maintenu pendant deux ans et demi environ. Aujourd’hui, les conditions sont pires qu’à l’époque, nécessitant de nouveaux assouplissements.

La prochaine réunion du Conseil des gouverneurs étant prévue le 5 février, trois semaines seulement après la dernière réunion (15 janvier), le Président Trichet avait insisté sur le fait que le prochain rendez-vous « important » en matière de politique monétaire serait la réunion du mois de mars (même si la BCE ne prend jamais d’engagement à l’avance). A cette occasion, la Banque publiera ses nouvelles projections d’inflation et de croissance du PIB ; d’autres données macroéconomiques auront également été publiées comme la production industrielle de décembre 2008 et le PIB du T4 2008 (respectivement les 12 et 13 février, deux semaines seulement avant la réunion de mars du Conseil des gouverneurs).

En novembre, la production industrielle a connu une contraction significative dans la zone euro. L’indice corrigé des variations saisonnières s’est replié de 1,6 % en glissement mensuel, après une contraction au cours des deux mois précédents. La comparaison en glissement annuel a confirmé la poursuite du ralentissement de l’activité. L’indice corrigé des jours ouvrés a de nouveau reculé, cédant près de 8 %, sa pire performance historique. Les composantes les plus cycliques, comme les biens d’équipement et les produits intermédiaires, se sont contractées de façon sensible (de l’ordre de 2 % et 3 % respectivement), signe de l’impact relativement important de la crise du crédit sur l’investissement. Le secteur manufacturier, très sensible aux fluctuations de la demande extérieure, est lui aussi affecté par le ralentissement économique mondial.

L’Allemagne, qui avait profité de la demande vigoureuse en biens d’équipement et produits intermédiaires en provenance des pays d’Europe centrale et orientale et d’autres pays émergents, est particulièrement exposée aux difficultés du secteur manufacturier, dont la contribution à l’activité totale (mesurée par la valeur ajoutée), est plus élevée que dans d’autres grandes économies de la zone. Les commandes industrielles en Allemagne se sont, en effet, effondrées au cours des derniers mois, tandis que l’indice PMI fait état d’une poursuite de la tendance sur les premiers mois de l’année.

En décembre, la production industrielle s’est probablement de nouveau contractée dans la zone euro. Un certain nombre de constructeurs automobiles ont mis à l’arrêt les chaînes de montage durant la période des fêtes de fin d’année, ce qui suppose une diminution non négligeable de la production industrielle. En outre, les données d’enquêtes ont fait état d’une activité atone en décembre. Ainsi, la production industrielle de la zone euro pourrait avoir enregistré un recul compris entre 4 % et 5%t/t. Compte tenu de la corrélation étroite entre croissance du PIB et dynamique de la production industrielle, nous tablons sur une contraction du PIB allant de 1% à 1,5% au T4, après un repli de 0,2 % lors des deux précédents trimestres. Rappelons que durant le ralentissement économique de 2001/2003 la croissance trimestrielle du PIB en glissement trimestriel s’était toujours maintenue en territoire positif, tandis qu’au cours de la récession de 1992-1993 le PIB s’était contracté de -0,8 % t/t (sa pire performance) au maximum au T1 1993 avant de se redresser au T2 1993 (+0,2 %).

Poursuite de la contraction de l’activité au T1 2009

L’indice PMI composite qui mesure l’activité dans l’industrie et dans les services, généralement considéré comme un indicateur pertinent de la croissance du PIB, est ressorti au-delà des attentes à 38,5 (contre 37,4 attendus par le consensus) mais se situe toujours à un niveau très bas, supérieur de 0,3 point seulement à son plus bas historique. En janvier, l’indice mesurant le climat économique de la Commission européenne, qui offre un recul plus important, s’est inscrit à 68,9, établissant ainsi un nouveau plus bas historique. L’indice se situe nettement en deçà du niveau qu’il avait atteint lors de la récession de 1993 lorsque le PIB s’était contracté de 0,8 %. Les deux indices ont révélé une stabilisation à un très bas niveau des composantes relatives à la production et une possible poursuite de la détérioration dans les prochains mois.

Selon l’enquête de la Commission européenne, les stocks de produits finis restent élevés. L’indice relatif se situait en janvier à un niveau proche de son record historique, ce qui pourrait se traduire par un nouveau ralentissement de la production.

Dans ces conditions, il est probable que le PIB subisse de nouveau un fort recul au T1 2009, quoique de moindre ampleur que celui attendu au T4 2008. Sur l’ensemble de cette année, la contraction du PIB pourrait s’établir à 2,5 % environ.

Inflation : nouvelle décélération

Les risques inflationnistes sont manifestement orientés à la baisse. Selon l’estimation préliminaire d’Eurostat, l’inflation a reculé pour s’établir à 1,1 % en janvier, contre 1,6 % en décembre. Le détail n’est toujours pas disponible, mais, en ligne avec la tendance observée depuis quelques mois, ce sont sans doute les prix de l’énergie qui ont pesé à la baisse sur l’inflation. La morosité économique, couplée aux effets de base positifs liés à l’énergie, devrait continuer de freiner l’inflation au cours des prochains mois.

Quelle limite à la politique d’assouplissement monétaire ?

Dans ces conditions, la BCE devrait poursuivre sa politique d’assouplissement monétaire. Nous tablons sur une nouvelle baisse de 50 pb à 1,5 % du taux de refinancement lors de la réunion de mars du Conseil des gouverneurs. La BCE pourrait ramener son taux de refinancement à 1 % d’ici à la mi-2009.

Cependant, la Banque semble réticente à envisager un taux proche de zéro, contrairement à la Fed et la BoJ. Jean-Claude Trichet a rappelé que la BCE appréhendait une réduction trop importante des taux d’intérêt et « trappe à liquidité », dans laquelle les investisseurs et les consommateurs thésaurisent, quelle que soit la quantité. En effet, lorsque les taux d’intérêt se rapprochent de zéro, l’efficacité d’une baisse supplémentaire décroît.

Faibles risques de déflation dans la zone euro

Lors de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs, M. Trichet a insisté sur le fait que, compte tenu de la situation de l’économie, des taux d’intérêt proches de zéro n’étaient pas appropriés pour la zone euro. Les risques de déflation, à savoir une diminution généralisée des prix conjuguée à des anticipations de baisses de prix à venir, sont, tout au moins pour le moment, limités ou beaucoup moins forts qu’aux Etats-Unis ou au Japon. Certes, l’inflation est orientée à la baisse et pourrait même basculer en territoire négatif durant l’été. Mais ce devrait être principalement le résultat d’effets statistiques liés aux fluctuations des prix de l’énergie. Par ailleurs, les déséquilibres de la zone euro sont moins forts qu’aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon, par exemple. Les ménages italiens, allemands ou français sont beaucoup moins endettés que leurs homologues américains ou britanniques, ce qui réduit le danger de voir se former une spirale déflationniste alimentée par la dette. En outre, le marché de l’emploi de la zone euro, en dépit de certains progrès au cours des dernières années, reste moins flexible que dans les pays anglo-saxons. Ainsi, la rigidité des salaires peut contribuer à éviter aux anticipations d’inflation de trop diminuer et de basculer en territoire négatif, réduisant ainsi les risques de déflation(1).

Quasi-doublement du bilan de la BCE

Par ailleurs, contrairement à la Banque du Japon au début de la décennie, la BCE n’a pas attendu d’amener les taux d’intérêt à zéro pour commencer à augmenter son bilan (ce qui peut être considéré comme une forme d’assouplissement quantitatif) en fournissant au marché des quantités considérables de liquidités. Depuis août 2007, lorsque les turbulences financières ont débuté, le bilan de la BCE a été multiplié par près de deux. Après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, les marchés monétaires ont été frappés d’une quasi-paralysie. La BCE a réagi rapidement face à ce dysfonctionnement du marché ; elle a ainsi alloué des fonds pour des montants illimités via des appels d’offres à taux fixe sur toutes les maturités aux contreparties de la zone euro lors de ses opérations principales de refinancement hebdomadaires et de ses opérations de refinancement à long terme ; elle a également élargi la liste des actifs éligibles admis en garantie dans le cadre des opérations de crédit de l’Eurosystème et fourni toute la liquidité nécessaire en dollars aux contreparties de l’Eurosystème n’ayant pas un accès direct à la Fed(2).

 L’EONIA pourrait approcher zéro

Depuis le 21 janvier, le corridor autour du taux de refinancement est à nouveau de 100 pb. Si, conformément aux attentes, le taux de refinancement est ramené à 1 %, le plancher du taux au jour le jour sera 0 %. Ce niveau pourrait effectivement être approché par l’Eonia, M. Trichet ayant déclaré récemment que les liquidités considérables injectées par la BCE ne devraient pas être retirées du marché à court terme. Le 27 janvier, le taux Eonia s’était stabilisé à 1,19%, plus de 80 pb en dessous du taux refi.

Les injections de liquidité de la BCE ont contribué à atténuer sensiblement les tensions sur le marché monétaire. Les Euribor à maturités différentes ont poursuivi leur détente. Le 27 janvier, l’Euribor 3 mois s’établissait à 2,13 %, son niveau le plus bas depuis plus de trois ans. Il s’agit d’un élément important pour l’économie, étant donné que de nombreux prêts hypothécaires sont liés à l’Euribor dans la zone euro. Les conditions du marché monétaire sont loin de s’être normalisées. Le spread entre le taux de swap à 3 mois contre Eonia, qui traduit les anticipations en matière de politique monétaire, et l’Euribor 3 mois reste relativement élevé, et bien supérieur au niveau qu’il affichait avant la crise. Enfin, le montant des réserves déposées auprès de la BCE reste relativement important, même si le recours à la facilité de dépôt s’avère moins intéressant (ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, le taux d’intérêt appliqué aux dépôts est inférieur de 100 pb au taux de refinancement, contre 50 pb entre octobre 2008 et janvier 2009), signe que les tensions sont encore bien présentes sur le marché monétaire.

NOTES

(1) Si la rigidité des salaires peut s’avérer utile pour empêcher la déflation, elle n’est pas sans effets négatifs. Ainsi, lorsqu’une économie ralentit ou se trouve en récession, la rigidité des salaires peut avoir pour effet d’alourdir les coûts salariaux unitaires, réduisant la compétitivité du pays avec pour conséquence une contraction de l’emploi et, au final, du PIB.
(2) Pour le détail des mesures prises par la BCE en vue de lutter contre la crise de liquidité, veuillez vous reporter à l’EcoWeek 08-43 d’octobre 2008 : « BCE : face à la crise de liquidité » (Eric Vergnaud/Clemente De Lucia).