BCE : retrait progressif des mesures non conventionnelles

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

– La BCE a commencé à mettre fin à ses mesures non conventionnelles de prêts en réduisant le nombre et la maturité de ses opérations de refinancement.
– Malgré certaines améliorations, les tensions persistent sur les marchés financiers, contraignant la BCE à un retrait très graduel. La liquidité demeure abondante, maintenant l’Eonia proche du taux de la facilité de dépôt.
– Les pressions inflationnistes sont limitées et l’activité économique devrait se modérer tout au long de 2010 après un fort rebond au second semestre 2009. Dans ce contexte, la BCE devrait très probablement maintenir le refi à 1% au moins jusqu’à la fin de 2010.

Les conditions sur le marché monétaire s’améliorent

Devant l’amélioration des conditions financières et de liquidité, la BCE a débuté l’abandon progressif de ses mesures non conventionnelles de prêt, en réduisant la portée de ses opérations par le biais d’adjudications moins nombreuses, d’échéances plus courtes. La dernière opération de refinancement à long terme (ORLT) assortie d’une échéance de 12 mois a été adjugée en décembre 2009 et la dernière ORLT à 6 mois le sera en mars 2010. Le coût de la liquidité à 3 mois s’est significativement détendu ces derniers mois et les adjudications de la BCE attirent moins de banques. L’ORLT à 12 mois de décembre a suscité une demande de liquidité de EUR 96,9 mds, supérieure à celle de l’opération de même échéance réalisée en septembre, mais bien en deçà de l’adjudication de juin (EUR 442,2 mds), la plus importante jamais réalisée en une seule opération depuis la création de la BCE. Le nombre des soumissionnaires a aussi considérablement diminué, à 224 contre 589 et 1 121 lors des deux précédentes opérations à 12 mois. La demande de liquidité diminue également pour les échéances plus courtes, qui attirent les soumissionnaires en moins grand nombre.

La BCE s’efforce de revenir à une situation « normale », dans laquelle les opérations principales de refinancement (OPR) sont le principal outil pour diriger les taux monétaires à court terme, gérer la liquidité de marché et imprimer l’orientation de la politique monétaire par le principal taux de refinancement (le refi, fixé par le Conseil des gouverneurs).1 Depuis le début de la crise financière, les ORLT ont remplacé les OPR comme principal canal d’acheminement de la liquidité.

Plusieurs membres du Conseil des gouverneurs soulignent dans de récents communiqués le risque de tarder à sortir des mesures non conventionnelles adoptées pour faire face à la crise2.

Les tensions persistent

Toutefois, une normalisation trop précoce pourrait également engendrer de graves difficultés. Certes, les conditions financières se sont améliorées, mais elles demeurent fragiles. Les banques qui ont facilement accès au marché monétaire interbancaire ont moins intérêt à faire appel à la BCE pour leur refinancement, mais celles qui continuent d’avoir besoin de la liquidité apportée par la BCE soumissionnent pour des montants importants. Le montant moyen adjugé à chaque banque augmente. Lors de l’ORLT à 12 mois de décembre, la BCE a adjugé en moyenne EUR 432,6 ms par soumissionnaire, contre EUR 127,7 ms en septembre et EUR 394,5 ms en juin. La tendance est identique pour les échéances plus courtes.

Retrait progressif des mesures non conventionnelles

A l’issue des dernières opérations de refinancement, quelque EUR 730 mds de liquidité ont été injectés dans l’Eurosystème, alors que les besoins courants (facteurs autonomes plus obligations de réserves) avoisinaient EUR 600 mds. L’excédent de liquidité devrait persister au moins jusqu’à la fin juin 2010 (lorsque la première ORLT à 12 mois arrivera à échéance). Les besoins de liquidité ont été relativement stables ces derniers mois, oscillant entre EUR 580 mds et EUR 610 mds. Dans l’hypothèse d’une stabilisation de la demande d’adjudications hebdomadaires aux alentours de EUR 50 mds, comme c’est le cas depuis octobre 2009, et en l’absence de demande lors des prochaines ORLT, la liquidité excédentaire atteindrait encore EUR 65 mds en juin 2010. Cet excédent contribue à maintenir l’Eonia à des niveaux très bas, proches du taux de rémunération des dépôts (0,25 %). En temps normal, l’Eonia fluctue aux environs du taux refi, qui s’établit aujourd’hui au niveau historiquement bas de 1 %. Le Président Trichet a déclaré que la BCE était « tout à fait satisfaite » que l’Eonia se traite à ce niveau, ce qui signifie que la Banque centrale n’a pas l’intention de relever ses taux directeurs pour le moment et qu’elle ne mettra fin que progressivement à ses mesures non conventionnelles de politique monétaire.

Elle a certes modifié en décembre le taux de l’ORLT à 12 mois, qui sera fonction des enchères à venir et égal au taux moyen minimum de soumission des opérations hebdomadaires durant la durée de l’opération de décembre (1 an). M. Trichet a toutefois déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un premier pas vers un resserrement des taux clefs. Jusqu’au début du mois d’avril 2010, les OPR seront réalisées à un taux fixe, le taux refi, toutes les demandes étant servies. Dans ce cas, le taux minimum de soumission et le taux refi coïncideront.

Par la suite, au cas où la BCE décide de renouer avec des procédures d’adjudication à taux variable, le taux minimum de soumission pourrait être légèrement supérieur au taux refi. Nous pensons toutefois que le taux refi n’est pas près d’être modifié, ce qui signifie que le taux qui sera finalement appliqué à l’opération de décembre ne différera pas substantiellement des deux précédentes ORLT à 12 mois.

Le taux refi n’est pas près d’être modifié

A plusieurs occasions, différents membres du Conseil des gouverneurs de la BCE ont souligné que les anticipations inflationnistes guideraient l’évolution des taux directeurs, tandis que le retrait des mesures non conventionnelles serait fonction de l’évaluation de la stabilité du secteur financier. Les pressions inflationnistes sont très modérées. En 2010 et en 2011, l’inflation totale devrait se maintenir bien en deçà de l’objectif-plafond de 2 % de la BCE. Certes, l'inflation augmente. En décembre, elle a atteint 0,9 %, le niveau le plus élevé depuis février 2009. Pourtant, cette hausse est principalement imputable à des effets de base liés aux produits énergétiques, qui ont artificiellement abaissé l’inflation durant l’été et qui ont maintenant l’effet inverse. En revanche, des tensions baissières significatives s’exercent sur l’inflation sous-jacente. Un « output gap » negatif important au cours des prochains trimestres et la persistance d’une demande obstinément faible continueront de freiner l’inflation sous-jacente. En outre, la poursuite de la dégradation du marché du travail devrait limiter l’inflation salariale, l’un des principaux moteurs de l’inflation sous-jacente.

Les tendances des agrégats monétaires militent en outre pour des pressions inflationnistes extrêmement faibles. En novembre, la progression annuelle des emprunts des ménages a atteint 0,5 % contre –0,1 % le mois précédent. Dans le même temps, la progression annuelle des prêts aux entreprises non financières a chuté à –1,9 %, soit le niveau le plus faible jamais enregistré.

Compte tenu de l’importance des concours bancaires comme source de financement des entreprises, ce phénomène est particulièrement inquiétant.

Selon les derniers indicateurs économiques publiés, le rebond de l’activité au T3 200/9 devrait se poursuivre au T4 2009 (voir encadré). L'indice du sentiment économique publié par la Commission européenne et l'indice composite PMI pour l'activité (enquête PMI) ont continué de se redresser en décembre, bien qu’à un rythme moindre qu’au cours des mois précédents. Toutefois, la croissance pourrait ralentir tout au long de 2010. Les mesures ponctuelles qui ont stimulé l’activité au second semestre 2009 vont s’épuiser. On table en outre sur une demande intérieure atone, la dégradation des conditions du marché de l’emploi freinant la consommation des ménages, tandis que l’ampleur des surcapacités pèse sur l’investissement des entreprises.

De plus, une hausse des taux risquerait de créer des pressions supplémentaires sur le taux de change, resserrant les conditions monétaires et financières et nuisant à la compétitivité-prix des exportations hors de la zone euro.

Enfin, un relèvement des taux d’intérêt risquerait de se transmettre aux taux longs ce qui renchérirait le financement de la dette, à un moment où il risque déjà d’augmenter compte tenu de la détérioration des fiances publiques. Dans ce contexte, la BCE devrait très probablement maintenir le refi à 1% au moins jusqu’à la fin de 2010.

NOTES

  1. cf. J. Stark : « Criteria and timing for the phasing out of crisis measures » Berlin, 15 septembre 2009.
  2. cf. L Bini-Smaghi : « Is there still a paradigm for monetary policy today? » Paris, 20 novembre 2009.

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