Bulles et paillettes… de France !

par Hervé Juvin, Président de l'Observatoire Eurogroup Consulting

Pour ce dernier Point de l’Observatoire 2016, l’optimisme est de rigueur ! Et cet optimisme, durable parce que raisonné, est porté par une révolution silencieuse, qui pourrait bien exercer dans le temps des conséquences comparables à celles des « révolutions vertes » du passé.

Souvenons-nous. La grande « révolution verte » des années 1970 reposait sur une amélioration des variétés de riz, de manière à ce que les plants atteignent plus vite la maturité et permettent une récolte de plus par an. Il n’en fallait pas plus pour qu’une grande partie de l’Asie du Sud-Est et surtout, l’Inde, échappent au spectre de la famine.

La nouvelle révolution verte ne doit rien aux manipulations génétiques ou à l’industrialisation du vivant, bien au contraire. Elle se passe au quotidien, au plus près des territoires, des marchés et des étiquettes. Et elle commence à devenir visible. En 2016, plus d’un agriculteur sur cinq participe, d’une manière ou d’une autre, à un circuit court ; et un jeune agriculteur sur trois qui s’installe vend tout ou partie de sa production directement à la ferme, sur le marché local, prépare des « paniers » sur commande ou approvisionne le café du coin ou les restaurants locaux.

Voilà qui répond à la perte de confiance des consommateurs dans les marques commerciales, leurs doutes sur la composition réelle des produits vendus et leur origine ; dans les circuits courts, qu’ils soient ou non « bio », tous les produits sont sourcés, leur producteur connu, leur lieu de récolte ou d’élevage identifié, et le consommateur peut entrer directement en contact avec le producteur. Voilà qui tient compte du coût réel d’une agriculture hypermécanisée et hyper industrielle qui sera tôt ou tard comptable de ses externalités ravageuses ; les fermes du futur ne peuvent reposer sur l’énergie carbonée et les intrants chimiques, même repeintes en vert ! Voilà qui répond aussi à la recherche des agriculteurs ; disposer d’un revenu stable et récurrent. Car beaucoup ne peuvent supporter la volatilité des cours mondiaux, certains se sont brûlé les doigts en s’engagent dans des mécanismes d’options et d’achats de couverture, et d’autres comprennent que la politique ; « quand c’est gagnant, c‘est pour moi, quand les cours baissent, au contribuable de payer » a trouvé ses limites.

Comme l’agriculture « bio », portée par une croissance à deux chiffres de la demande, les circuits courts font preuve d’une remarquable résilience aux cycles économiques, aux crises passagères et aux effets de mode. Ils permettent à l’exploitant de compter sur un revenu stable, récurrent et directement lié à la satisfaction du client. Et les coopératives elles-mêmes commencent à réviser leur vertige international, pour réinvestir dans la proximité avec leurs sociétaires, et dans ce sujet décisif ; l’indépendance alimentaire de la France. Quand vont-elles en convenir ; il n’y a pas de marché mondial des produits agricoles ( moins de 10 % de la production de blé ou de lait fait l’objet du trading mondial, tout en pesant sur les cours locaux de produits non différenciés par des appellations d’origine), il n’y a que des stratégies de puissance et de constitution d’oligopoles qui fabriquent les prix en fonction de leurs objectifs, nationaux ou privés ?

Le lien avec le territoire, qu’il soit d’origine ou d’élection, continue de caractériser ce vieux et grand pays terrien qu’est la France. Ceux qui plaident, non sans raisons, pour la maritimisation des stratégies françaises, peuvent le déplorer, mais c’est ainsi. L’urbanisation, la métropolisation, transforment ce lien sans le rompre. Le Salon de l’agriculture, vitrine des fermes de France, n’a pas son équivalent dans les autres pays européens. Les familles franciliennes viennent y chercher quelque chose comme un mythe commun, part vitale de ce récit national qui manque ailleurs. Et la montée en puissance des circuits courts s’accompagne de la multiplication des labels locaux, des appellations territoriales, et de la traçabilité des produits. L’ensemble contribue à un développement significatif du tourisme des Français en France, qui renouvelle ses pratiques, diversifie ses destinations, et tourne résolument le dos au tourisme de masse aussi bien qu’aux centres de loisirs standardisés et aux parcs d’attraction industrialisés.

L’évolution en ce sens converge avec celle de la révolution des circuits courts ; s’il a changé de nature, s’il est choisi plus qu’hérité, s’il procède du choix et de la préférence individuelle plus que de la tradition, le besoin de confiance, de proximité et de même, de complicité, grandit et bouleverse beaucoup des habitudes acquises. La globalisation naïve a idéalisé l’image du nomade, de l’homme de nulle part, sans racines et sans liens. Cette page est tournée. A l’idéal de mobilité, de liquidité, d’accélération permanente, succède une quête de confiance, de sécurité, d’unité, tous ces ingrédients d’un « bonheur national brut » que ne donnent pas les chiffres de la croissance, ni de rendement du capital. A la redécouverte de la France ; voilà une invitation au voyage que partagent de plus en plus des fatigués du jet lag et de ces avions qui n’atterrissent jamais nulle part qui soit vraiment ailleurs. Et voilà une invitation qui vaut bien quelques paillettes et quelques bulles… de champagne de France !

A LIRE :

  • Maxime de Rostolan, « Fermes d’avenir », Manifeste et propositions sur www.changeonslagriculture.org
  • Dominique Dron, « Environnement et Choix Politiques », Flammarion, 1995
  • José Bové, « Paysan du monde », Fayard, 2002
  • Pierre Rabhi, « La part du Colibri », L’Aube poche, 2015