Caisse des dépôts, l’éternel recours

par Gilles Bridier est journaliste.

Se doter d’un fonds souverain : clairement, la France n’en a pas les moyens ! La Caisse des dépôts et consignations (CDC) elle-même refuse la comparaison. Le 20 octobre dernier à l’occasion de la présentation d’un livre consacré à cette vénérable institution, Augustin de Romanet, directeur général, précisait : « La Caisse des dépôts ne peut être comparée à un fonds souverain, car elle ne peut s’appuyer sur une progression de ses moyens financiers au même titre que des fonds qui bénéficient d’une rente pétrolière ou d’un fort excédent du commerce extérieur ». La distinction est fondamentale.

Certes, les fonds souverains en provenance de Chine, de Norvège, d’Abou Dhabi, d’Arabie saoudite, du Koweit et du Qatar pour les plus actifs, mais aussi de Singapour, de Russie, de Lybie ou de Corée du Sud sont, comme la Caisse des dépôts, placés sous l’autorité des Etats dont ils sont les bras séculiers pour acquérir des participations dans les entreprises. Mais ils sont alimentés en permanence alors que la CDC, qui ne dispose pas de rente particulière, travaille avec l’épargne des Français et les dividendes de ses placements. Et alors que les fonds souverains vont se loger au capital d’entreprises étrangères pour soutenir le rayonnement économique de leurs pays, la Caisse des dépôts n’a vocation à acquérir de participations que dans des entreprises françaises. Elle est d’ailleurs dans toutes les entreprises du CAC 40 !

Aussi, lorsque le président Nicolas Sarkozy avait émis un peu plus tôt l’hypothèse de créer un fonds souverain à la française, Augustin de Romanet vers qui les regards s’étaient tournés, avait-il clairement énoncé les limites de son action, tout en se déclarant au service de la politique de l’Elysée.

Un fonds défensif très hexagonal

Le directeur général de la Caisse des dépôts fut bien inspiré de ne pas fermer définitivement la porte à cette nouvelle mission. Car le 20 novembre, tout juste un mois plus tard, le Président de la République annonçait la création de ce fonds souverain à la française qui lui tient tant à cœur. Ce Fonds stratégique d’investissement présenté dans le Loir et Cher et doté de 20 milliards d’euros dont 14 milliards à la charge de la Caisse des dépôts – l’Etat apportant le complément.

L’intention est louable : se substituer aux banques qui ne font plus leur travail, pour soutenir des entreprises dynamiques mais placées en situation difficiles à cause de la crise. Même si cette initiative ne peut faire office de politique industrielle, elle doit permettre de relancer l’activité des bureaux de recherche et développement, éviter des délocalisations, empêcher des faillites pures et simples… Par ailleurs, pour les entreprises sous-traitantes qui seraient condamnées par l’interruption des commandes des grands donneurs d’ordres, ce fonds devrait permettre de survivre à la crise en offrant un remède à l’assèchement des filières industrielles pour un redémarrage plus rapide au moment de la reprise. Nicolas Sarkozy, fort du sauvetage d’Alstom grâce à l’intervention de l’Etat qu’il initia, crée une structure pour réitérer l’opération.

Pour autant, ce fonds stratégique ne s’inscrit pas dans le sillage des fonds souverains. D’abord, son rôle est défensif alors que les autres sont au contraire offensifs. Ensuite, il est en grande partie alimenté par l’emprunt alors que les fonds souverains utilisent des richesses qui leurs sont attribuées. Enfin, avec 20 milliards d’euros, il arrive loin derrière les fonds de référence, dix fois plus riches que lui. Une mission différente, des moyens d’une autre échelle, une vocation à émettre de la dette… Augustin de Romanet, qui préside le conseil d’administration du fonds stratégique français, avait bien raison de ne pas vouloir se comparer à l’une de ces institutions d’un nouveau genre aujourd’hui courtisées par les plus grandes banques de la planète et par les groupes internationaux de premier rang.

Une mission essentielle pour l’industrie

Toutefois, cette distinction n’enlève rien au rôle capital que la Caisse de dépôts, « groupe public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays », va devoir jouer pour la sauvegarde de l’emploi et le sauvetage de l’industrie. Elle est d’ailleurs coutumière du fait : lorsqu’elle crée un fonds pour soutenir les start-up dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, lorsqu’elle crée un autre fonds dans le capital investissement pour financer la croissance des PME, lorsqu’elle s’engage sur le long terme en tant que partenaire des entreprises cotées (son portefeuille d’actions se montait avant la crise à quelque 30 milliards d’euros investis sur la place de Paris où elle est le premier investisseur)… la Caisse des dépôts et consignations accompagne déjà les entreprises. Elle le fait depuis sa création, en…1816.

Il restera juste à préciser les critères qui permettront de définir les entreprises les plus stratégiques, car l’enveloppe de 20 milliards d’euros ne permettra pas de régler tous les problèmes. Pour le comité d’orientation du fonds, c’est une tâche à haut risque : comment définit-on une entreprise stratégique, au regard des emplois qui pourront être sauvés ou détruits ? Le problème se pose déjà : alors que l’entreprise Daher, spécialiste du secteur de l’aéronautique, devrait être la première bénéficiaire de ce fonds, personne jusqu’à présent n’a indiqué qu’Amora pourrait également en profiter… Pourtant, il ne fait aucun doute que la seconde est considérée dans le département de la Côte d’Or comme aussi stratégique que la première peut l’être dans son Loir et Cher natal !