Ce que la Grèce nous apprend des marchés financiers…

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Les craintes des marchés financiers, illustrées par les attaques sur les obligations publiques des pays périphériques de la zone euro (Grèce, Espagne, Portugal…), ramènent sur le devant de la scène le thème de la crise de confiance.

Avant d’aller plus en avant, il semble nécessaire de mesurer l’intensité de cette dernière. Même si une « remontée des peurs » paraît évidente depuis quelques semaines au regard des évolutions des marchés obligataires, des CDS ou même des marchés actions, l’intensité de cette dernière semble néanmoins limitée, dans tous les cas très inférieure à ce qu’on a pu observer au cours de la période septembre 2008 – mars 20091.

Cette remarque liminaire posée, il serait néanmoins contre-productif de nier les réels et graves problèmes qui se posent à terme pour les finances publiques grecques, espagnoles ou portugaises. Toutefois, la problématique qui inquiète réellement les marchés concerne la possibilité d’un défaut de paiement d’un des pays de la zone euro, Grèce en particulier. Et, soyons clairs à ce sujet, cette hypothèse apparaît extrêmement peu probable. D’une part, les mesures annoncées par le gouvernement de G. Papandreou semblent prendre la mesure des efforts nécessaires à un retour du pays dans les clous du Pacte de Stabilité et de Croissance (objectif d’un déficit de 2,8 % du PIB en 2012, contre 12,7 % en 2009). D’autre part, la Commission européenne, en exerçant de manière très pointilleuse son rôle de contrôle des engagements grecs, devrait permettre de crédibiliser le plan d’austérité du nouveau gouvernement.

Enfin, si le plan drastique d’économies décidé par la Grèce ne suffisait pas à convaincre les marchés, il est probable que les « grands pays » de la zone euro viendraient en aide aux autorités helléniques2. Et ce, malgré les Traités européens (article 103 : clause de « no bail-out ») et malgré les propos réprobateurs de Jean-Claude Trichet. Il n’est en effet dans l’intérêt d’aucun pays de la zone euro de laisser s’écrouler un des siens. En outre, même dans le pire des cas, si les Européens n’arrivaient pas à se mettre d’accord, le FMI, par la voie de son Directeur, a très récemment proposé d’aider la Grèce (comme il a pu le faire dans plusieurs pays d’Europe de l’Est au cours des derniers mois).

En fait, plus qu’une croyance réelle dans la défaillance d’un pays européen, cette attaque des marchés contre les pays périphériques renvoie à la défiance ancienne des marchés anglo-saxons envers la construction européenne et l’euro3. Pour reprendre la « métaphore du troupeau et des prédateurs », tant que le troupeau est groupé, il ne risque rien, mais, dès qu’un élément commence à être distancé par le groupe, sa situation se complique radicalement et la pression des prédateurs se renforce. Toutefois, comme le scénario du défaut d’un pays européen, l’hypothèse d’une sortie de la zone euro apparaît très peu probable (« absurde » même, selon Jean-Claude Trichet). Le pays en question serait soumis à une pression bien plus forte des marchés et les membres restant de la zone subiraient aussi des attaques spéculatives, à l’image de ce qu’on avait observé lors de la crise du SME dans les années 90.

Au final, les attaques contre la Grèce, l’Espagne ou le Portugal ne devraient pas forcément durer plus de quelques semaines ou quelques mois. En effet, si ces pays (avec l’Irlande et le Royaume-Uni) apparaissent comme les plus fragiles d’Europe occidentale au regard de leurs fondamentaux budgétaires4, le problème est en fait plus global que réellement spécifique à un pays en particulier. Ce dernier se résume ainsi à deux questions, simples en apparence :

  • Comment faire de la croissance dans les pays occidentaux, alors que le moteur du crédit au secteur privé qui avait dynamisé les économies au cours des quinze dernières années ne pourra pas repartir avant longtemps ?
  • Et, dans ces conditions, comment revenir sur les politiques monétaires et budgétaires extrêmement accommodantes mises en place pour sortir de la crise ? A ces deux questions, aucun dirigeant des principales économies du monde occidental n’apporte de réponse complètement satisfaisante. Et, tant que cela sera le cas, le problème des finances publiques risque bien de rythmer l’évolution des marchés.

NOTES

  1. Qu’on retienne comme indicateur de tension les niveaux des indices, leurs variations récentes ou la volatilité…
  2. Sous forme de prêts, de rachat de dette publique, d’émissions communes…
  3. Cf. Jonung L., Drea E. (2009), « The euro: It can’t happen. It’s a bad idea. It won’t last. US economists on the EMU, 1989-2002 », Economic Papers n°395, Commission européenne.
  4. Cf. Caffet J.C., Castillo J., Dezeure N., Thellier C. (2010), « Qualité des dettes publiques européennes : le sentiment du marché est-il le bon ? », Flash n°44, Natixis.

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