Chères actions américaines…

par Raphaël Gallardo, Stratégiste multi-assets Investissement et Solutions Clients chez Natixis AM

A l’heure où nous écrivons ces lignes, le marché actions américain n’est qu’à 1% de son sommet historique, la volatilité implicite (VIX) languit proche de son étiage historique, alors que le FOMC se réunit. Le comité de politique monétaire devrait entériner une hausse de taux clairement annoncée au marché avant la période de silence de deux semaines. Le volte-face de la Fed a pu surprendre : alors que le comité de février laissait planer le doute, une majorité de participants ont martelé sur plusieurs jours le message qu’une hausse de mars était devenue inévitable, malgré l’absence de publications économiques susceptibles d’infléchir le scénario central de la Fed dans un sens comme dans l’autre.

Il se pourrait que le FOMC se soit senti obligé de sévir afin d’endiguer « l’exubérance irrationnelle » (expression greenspanienne) qui semble poindre sur les marchés d’actifs risqués (actions, crédit). En effet, la valorisation du S&P 500 s’éloigne de plus en plus des épures historiques, notamment depuis l’apparition d’un effet de confiance lié à l’élection de D. Trump. Le ratio prix/cours comptable atteint 3.2x pour le S&P 500, soit un plus haut de treize ans et le double du ratio équivalent pour l’Eurostoxx 300. Le ratio de prix/bénéfices futurs, ou PE (Price to Earnings) prospectif, dépasse 18x pour le MSCI US, contre 14.2x en zone euro et 13.3x dans les pays émergents, ces mesures étant retraitées par nos soins pour retirer les biais sectoriels liés à la composition différente des indices (surreprésentation des matières premières dans les émergents, des financières en Europe, par exemple). Certes, le marché américain se paie historiquement plus cher que ses concurrents émergents ou européens, en raison d’une croissance supérieure des BPA (par rapport à l’Europe) et une moindre volatilité cyclique et cambiaire (par rapport aux émergents).

Mais la position des grandes zones dans leurs cycles respectifs militerait au contraire pour que l’écart de valorisation soit inférieur à sa moyenne historique: on constate notamment que les révisions de bénéfices futurs par les analystes sont sensiblement négatives aux Etats- Unis, alors qu’elles sont positives en Europe et au Japon. Enfin, on peut objecter que ces ratios de PE sont inflatés par le bas niveau des taux d’intérêt à long terme. La prime de risque actions est une métrique qui vise à supprimer cet effet : elle mesure le surplus de rendement attendu des actions par rapport aux obligations d’Etat (en théorie exemptes de tout risque de défaut).

Comme le rendement attendu des actions est déduit des croissances de bénéfices prévues par les analystes actions, elles- mêmes très inertielles, cette prime de risque a un comportement cyclique. La prime de risque, de facto, reflète la croissance future à long terme des dividendes attendue par le marché, qui, en théorie, est égale à la croissance de la productivité de l’économie. Comme le montre la corrélation entre la prime de risque et la croissance tendancielle de la productivité, le niveau actuel de prime de risque, à 5.9%, anticipe un retour des gains de productivité à 3%, soit le niveau qui prévalait lors du boom des nouvelles technologies à la fin du siècle dernier – un pronostic qui semble héroïque si l’on considère que la productivité s’est effondrée à 0.5% depuis la crise. Le marché parie que les années Trump pourront « make productivity great again » ; la Fed semble en douter.