Chine : la croissance à tout prix

par Christine Peltier, économiste chez BNP Paribas

La croissance chinoise s’est fortement redressée depuis le deuxième trimestre 2009, attestant du succès de l’important plan de relance budgétaire du gouvernement et de sa capacité à mobiliser les ressources financières, les entreprises d’Etat et les banques pour stimuler l’activité

Nous tablons sur une croissance du PIB de 8,0% en 2009.

La croissance cette année est tirée par les investissements soutenus par le gouvernement, les dépenses publiques et la consommation privée.

L’investissement du secteur privé est resté sévèrement contraint par la faiblesse des exportations et la chute des profits des entreprises. Depuis peu, cependant, il montre également des signes de reprise.

Le rebond de la croissance est bienvenu et réduit les risques sociaux. Néanmoins, le boom du crédit bancaire comporte aussi des risques, susceptibles de freiner l’économie à moyen terme.

L’économie chinoise a atteint son point bas au 1T09, avec une croissance de 6,1% en glissement annuel, et enregistré au deuxième trimestre un rebond plus fort qu’attendu, à 7,9%. Corrigé des variations saisonnières, le taux de croissance trimestriel annualisé s’est redressé à 12,1% au 2T09, contre 7,1% au 1T09 et un point bas à 3,3% au 4T08.

Reprise de l’investissement tirée par le secteur étatique

La croissance de l’investissement domestique a connu une accélération dès mars 2009, tirée par des investissements encouragés par le gouvernement dans les infrastructures de transport, le bâtiment, les secteurs énergétique et minier. Les entreprises étatiques, principal instrument du gouvernement pour appliquer son plan de relance et lancer des projets d’infrastructure, ont naturellement constitué la principale source des nouveaux investissements chinois. L’investissement du secteur privé est resté à la traîne, notamment dans des secteurs manufacturiers clefs (textile, IT…), contraint par de sombres perspectives d’exportations et des profits en baisse (sous l’effet de la chute des ventes et des surcapacités industrielles). Sur la période janvier-mai 2009, les bénéfices totaux des entreprises industrielles ont chuté de 23% par rapport à la même période en 2008. En août 2009, les exportations chinoises étaient encore inférieures d’un quart à leur niveau record atteint en juillet 2008. Ces chiffres illustrent la gravité de la crise qui touche le secteur manufacturier exportateur en Chine.

Plus récemment, cependant, l’injection massive de crédits dans l’économie et le redressement de la demande interne sous l’impulsion des mesures de relance du gouvernement ont fini par avoir un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie – avec des effets positifs sur l’investissement privé.

Des signes de redressement du secteur immobilier se sont multipliés. Après avoir chuté tout au long de 2008, les ventes de biens immobiliers ont rebondi cette année, contribuant à la hausse des prix immobiliers et encourageant l’investissement immobilier.

La croissance de l’investissement immobilier s’est en effet accélérée depuis mars 2009 après deux mois de forte baisse. Compte tenu de l’importance du secteur immobilier et de ses liens avec de nombreux autres secteurs, le récent rebond est un important facteur de l’amélioration des perspectives de croissance de la Chine à court terme.

La consommation résiste bien

La progression des ventes de détail, qui était au ralenti depuis le mois de septembre 2008, s’est accélérée à nouveau à partir de mars 2009, tandis que les ventes de véhicules surprennent par leur dynamisme depuis janvier 2009. La consommation des ménages a été soutenue par : des mesures fiscales, dont certaines ciblant spécifiquement les ventes automobiles ainsi que les familles à revenus faibles (baisses d’impôt sur les ventes de petites cylindrées, subventions en faveur des agriculteurs, réduction des frais de scolarité, etc.) ; des effets de richesse liés au récent rebond des marchés actions ; de la baisse des prix à la consommation, avec parfois d’importantes remises proposées par les distributeurs ; et de la progression des revenus réels des ménages. En outre, le chômage ne semble pas avoir augmenté aussi vite qu’on l’avait craint, le marché du travail absorbant en partie les travailleurs licenciés au 2S08 et au début de l’année 2009 dans les industries exportatrices.

Projections pour 2009 et 2010

Nous tablons sur une progression du PIB de 8,0% en 2009, en léger repli par rapport aux 9,0% de 2008. En l’absence de dispositif de relance, la seule dynamique de cycle aurait abaissé la croissance à un niveau bien inférieur en 2009. Le rebond, entamé dès le mois de mars 2009, atteste de la réussite du gouvernement à mobiliser les ressources internes pour stimuler l’activité, utilisant des sources de croissance à la disposition de l’Etat pour combler le vide laissé par l’effondrement de la demande extérieure.

Néanmoins, la capacité de l’économie chinoise à s’affranchir de la dynamique des exportations et de l’investissement manufacturier, les deux engins de la croissance de ces dix dernières années, est nécessairement limitée dans la durée. Pour pérenniser le redressement de la croissance, la demande privée devra prendre le relais de la croissance induite par les dispositifs publics. A court terme, ce transfert dépendra en grande partie de la demande mondiale en produits manufacturés. A moyen terme, il dépendra de la dynamique de la demande, y compris des exportations et de la consommation des ménages, mais aussi des ajustements du côté de l’offre visant à améliorer la rentabilité des entreprises et l’environnement des affaires.

Pour 2010, nous tablons sur une croissance du PIB réel de 9,0%, fondée sur la poursuite de l’impact des efforts de relance et de l’investissement public, sur la résistance de la consommation privée, ainsi que sur une stabilisation des stocks et une reprise modérée des exportations et de l’investissement privé.

L’envolée du crédit bancaire comporte des risques

Dans le sillage de l’introduction du dispositif de relance budgétaire de novembre 2008, en réponse à l’assouplissement de la politique monétaire et aux directives du gouvernement, les banques ont accru leur distribution de crédits dés novembre 2008 et de façon plus agressive encore à partir de janvier 2009.

La progression des crédits bancaires a atteint des taux record en 2009. En glissement annuel, la croissance des encours de prêts est passée de 15,9% en termes nominaux en décembre 2008 à plus de 30% chaque mois depuis juin 2009. En rythme mensuel, la croissance moyenne des encours de prêts a atteint 3,7% au 1S09, contre 1,2% en 2008. Elle a ralenti depuis juillet, mais est restée vigoureuse.

Cette envolée du crédit a d’importants effets potentiels. D’abord, les banques doivent gérer un boom de l’activité de prêt et de gestion des risques, ce qui soulève des inquiétudes sur l’évolution de la qualité de leurs actifs. Ensuite, la distribution de prêts a signifié une injection massive de liquidités dans l’économie, induite par l’offre plus que par la demande, ce qui conduit à s’interroger sur le « gâchis » potentiel de ressources financières. Sur les huit premiers mois de l’année 2009, 17% des nouveaux prêts étaient destinés aux ménages (y compris les prêts immobiliers) et 83% aux entreprises, dont un peu plus de la moitié a financé des investissements moyen-long terme (essentiellement des projets inclus dans le plan de relance budgétaire) et le reste était constitué de crédits court terme et de « discount bills ». En conséquence, les nouveaux crédits bancaires ont bien soutenu la récente expansion des projets d’infrastructure et autres investissements, mais ils ont également été utilisés par les entreprises et les ménages (incités par un coût de financement très bas) pour réaliser des arbitrages financiers, replacer leurs nouvelles liquidités sur des comptes de dépôt (dont les encours ont également fortement progressé) et réaliser des placements spéculatifs, sur les marchés boursier et immobilier notamment.

Reflation des prix des actifs, et bulles

Le boom des prêts bancaires a sans conteste contribué au très fort rebond des prix boursiers depuis le début de l’année. L’indice de la bourse de Shanghai a bondi de près de 50% au 1S09, après avoir chuté de 65% en 2008. Son PER est passé de 15 à 29 entre fin 2008 et juillet 2009, laissant deviner la formation d’une bulle sur ces actifs (le PER avait culminé à 50 fin 2007). L’injection massive de crédit bancaire a également alimenté la hausse des transactions immobilières. Les signes d’une bulle étaient visibles dans les principales agglomérations comme Pékin, Shanghai et Canton (où les prix ont augmenté jusqu’à 40% depuis le début de l’année), mais, au niveau national, le récent rebond du marché immobilier est apparu plus modéré et également induit par les fondamentaux.

La forte expansion monétaire a également renforcé les anticipations inflationnistes. Il est cependant probable que toute inflation resterait modérée à court terme, essentiellement parce que l’économie croît aujourd’hui à un rythme inférieur à son potentiel. La Chine est clairement en déflation depuis février 2009, mais les pressions déflationnistes devraient en effet commencer à se dissiper d’ici la fin de l’année, sous l’impact de la relance budgétaire et monétaire et de la hausse des ventes de détail. Nos prévisions d’inflation pour l’indice des prix à la consommation sont de -0,5% en moyenne en 2009 et +2,0% en 2010 (contre 5,9% en 2008).

En réponse aux craintes de bulles sur les actifs et de bulles des crédits, la Banque centrale chinoise a récemment pris quelques mesures. Après avoir émis certaines notifications réglementaires aux banques de ralentir la distribution de prêts, elle a rouvert en juillet 2009 le placement de bons de stérilisation à un an, y compris le placement « forcé » auprès de banques « imprudentes ». Ces mesures ont rapidement eu un impact, tant sur les encours de crédits, dont le rythme de croissance s’est modérée depuis juillet 2009, que sur la bourse, qui a subi une correction majeure en août 2009 (l’indice de Shanghai a perdu 22% sur le mois, avant de rebondir en septembre).

De nouvelles mesures de resserrement monétaire sont possibles au cours des prochaines semaines, ce qui affectera les prix des actifs et la croissance des prêts bancaires. Néanmoins, le contexte international restant défavorable, il est peu probable que les autorités chinoises relèvent les taux d’intérêt et resserrent notablement leur politique monétaire avant plusieurs mois.

Quelles menaces pour le secteur bancaire

Les banques, qui se sont vues confier un rôle clef dans le plan de relance du gouvernement, pourraient être affectées par les conséquences de l’envolée du crédit. Les effets potentiels sont de deux ordres : la montée des risques de crédit et un coup de frein temporaire à la réforme du secteur bancaire.

Une détérioration de la performance financière des banques est attendue à court et moyen terme. L’atterrissage brutal de l’économie au 4T08 et au 1T09 suivi par le boom du crédit sous l’impulsion des pouvoirs publics a mis les banques chinoises à l’épreuve, après plusieurs années de croissance économique dynamique, d’amélioration de leur performance et de transition vers un fonctionnement davantage basé sur des règles de marché.

De nouvelles créances douteuses ont déjà émergé à la fin de l’année dernière et au début de cette année, émanant de secteurs tels que les PME, les promoteurs immobiliers ou les exportateurs industriels. Plus inquiétant est l’impact de l’actuelle expansion du crédit sur la qualité des actifs bancaires à un horizon de deux à trois ans. L’économie absorbe aujourd’hui un volume important de liquidités, induit par les directives du gouvernement plutôt que par la poursuite d’objectifs de rentabilité. Dans ce contexte, la nouvelle prise de risques des banques suscite des interrogations. Une montée des créances douteuses est attendue, émanant des entreprises et notamment des entreprises d’Etat. Les banques ont étendu leur portefeuille de clients, probablement au prix d’une détérioration du profil de risque moyen des emprunteurs, ou consenti des concours supplémentaires à des clients existants dont la performance financière s’est dégradée. En outre, des doutes subsistent sur la future rentabilité des récents investissements dans des projets d’infrastructure.

D’un point de vue positif, le secteur bancaire a une forte capacité financière à augmenter ses crédits grâce à des niveaux de liquidité très confortables ; le ratio prêts/dépôts est resté stable à 66%-67% depuis janvier 2009. La facilité des banques à trouver des liquidités vient notamment du fait que l’épargne domestique est principalement placée en dépôts bancaires, en l’absence de placements alternatifs. Les banques disposent ainsi d’une ample « marge de sécurité ». Par ailleurs, les risques de crise « systémique » du secteur bancaire est largement modéré par l’amélioration des bilans des banques observée ces dernières années et, surtout, par le fort soutien de l’Etat, qui viendrait sans aucun doute à l’aide de tout établissement important rencontrant des difficultés.

La forte expansion du crédit bancaire cette année soulève aussi des interrogations sur le rythme de réforme et de modernisation du secteur bancaire chinois. Elle illustre la persistance d’une gouvernance d’entreprise fragile au sein des banques, dont les pratiques restent sous l’influence de facteurs politiques. L’envolée du crédit en 2009 pourrait effacer certains acquis des récentes années en termes de gestion du risque et retarder le processus de libéralisation du marché bancaire (d’autant plus que la récente crise du système financier américain pourra avoir renforcé la détermination du gouvernement chinois à maintenir un contrôle strict sur les activités bancaires).

En même temps, il ne fait aucun doute que le gouvernement reconnaît que le développement économique de la Chine et le rééquilibrage de ses moteurs de croissance au cours des prochaines années passeront nécessairement par une allocation plus efficace de ses ressources financières et par la poursuite du processus d’approfondissement financier.

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