Chine : la question de la croissance

par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis

La croissance chinoise a montré des signes de faiblesse nets (construction, automobile, industries de biens intermédiaires, industries peu sophistiquées exportatrices, moins de 6 % de croissance annualisée sur le 3ème trimestre (9% de croissance sur un an)) qui ont conduit le gouvernement chinois a un important plan de relance. Le maintien d’une croissance importante en Chine est la condition du maintien d’une croissance mondiale décente, et il nous parait donc important de savoir :

  • quelle est vraiment la croissance de la Chine ? Les chiffres officiels du PIB sont parfois mis en question ;
  • quelle est vraiment la croissance minimale que le gouvernement chinois est prêt à accepter, compte tenu des exigences de création d’emplois ?
  • par quels moyens (politiques budgétaire, monétaire, salariale, de change) cette croissance minimale peut-elle être obtenue ? 

Nous pensons :

  • que la « vraie croissance » de la Chine n’a pas une variabilité très différente de celle publiée par le gouvernement ;
  • que la croissance minimale acceptable par le gouvernement est de 9 % par an, compatible avec la création de 10 millions d’emplois privés urbains par an ; − que la hausse des dépenses d’infrastructures publiques et l’affaiblissement du RMB devraient être les deux politiques utilisées pour soutenir la croissance.

La bonne nouvelle est donc que la croissance de la Chine va rester forte, la mauvaise nouvelle que le RMB va se déprécier ; ce qui est clairement non coopératif.

On doit s’attendre, dans les grands pays de l’OCDE, à une faiblesse durable de la demande intérieure en raison du besoin de réduction du levier d’endettement des ménages, en Europe : des entreprises, des banques.

On a vu, en Allemagne et au Japon, que le désendettement du secteur privé pouvait durer très longtemps et était effectivement accompagné d’une faiblesse durable de la demande intérieure.

Pour que la croissance mondiale reste forte, si la demande intérieure dans les pays de l’OCDE est faible, il faut que la demande intérieure des pays émergents soit forte, et, à l’intérieur des pays émergents, la Chine a bien sûr un poids très important.

La poursuite d’une croissance rapide de la Chine (de la demande intérieure en Chine) est donc nécessaire au maintien d’une croissance mondiale décente.

L’affaiblissement présent de la croissance de la Chine (notre estimation de la croissance en Q3 2008 en Q/Q est de 5,6 %) vient assez peu de celui des exportations, même les exportations vers les Etats-Unis, l’Europe et le Japon affichent une croissance assez forte, mais vient du recul de la demande pour les mêmes biens que dans les grands pays de l’OCDE, c’est-à-dire les biens qui sont achetés à crédit :

  • stagnation de l’investissement en construction ;
  • fort ralentissement des achats de voitures.

En conséquence, les secteurs industriels liés à la construction ou à l’automobile (ciment, acier…) souffrent, d’où aussi un affaiblissement de la demande d’électricité et de la production industrielle globale.

Sont aussi en difficulté, surtout en raison de l’appréciation du RMB, les secteurs bas de gamme, à marges faibles, exportateurs, comme le jouet ou le textile.

Ces signes de faiblesse de l’économie chinoise inquiètent, car si les importations de la Chine continuent à ralentir, l’un des derniers moteurs de la croissance mondiale va disparaître. 

Le gouvernement chinois vient, pour stimuler l’économie, de lancer un plan de relance par les investissements publics de 4000 Mds de RMB.

Pour essayer de prévoir les politiques économiques qui vont être menées en Chine dans le futur, nous nous interrogeons :

  • sur le vrai niveau de la croissance chinoise ; 
  • sur le niveau de croissance minimum acceptable par les autorités chinoises ;
  • sur les politiques économiques qui peuvent être menées pour atteindre cette croissance minimum.

On avance souvent que la croissance chinoise mesurée par le PIB lisse les évolutions réelles. On voit, par exemple qu’elle est beaucoup plus lisse que la production industrielle qui a pourtant un poids important dans la valeur ajoutée totale.

Nous allons essayer de reconstituer les vraies oscillations de la croissance chinoise de la manière suivante :

  • nous partons des variables liées à la croissance ou qui expliquent la croissance : production industrielle, exportations, importations, ventes au détail (en volume), investissement total, investissement en construction, production d’électricité, consommation de pétrole, crédit ; 
  • nous réalisons une analyse en composantes principales de ces variables, et nous calons les deux premiers facteurs issus de l’analyse sur la croissance officiellement mesurée du PIB. Ceci nous fournit une croissance corrigée du PIB chinois, tenant compte des informations cycliques, égale à une somme pondérée de deux premiers facteurs.

Puisque nous calons la croissance estimée sur la croissance observée, les deux séries ont la même moyenne : nous ne pouvons pas dire ici si la croissance de la Chine est structurellement sous-estimée. Mais nous voyons que les indicateurs de la croissance ne fournissent pas une série plus variable que la série publiée.

Nous devons nous demander quel est le taux de croissance qui génère le nombre suffisant de créations d’emplois.

Regardons d’abord l’évolution de la population urbaine, de l’emploi urbain et du taux de chômage urbain (tel qu’il est donné par les statistiques officielles, le taux de chômage réel étant sans doute nettement plus élevé.

Le besoin d’emplois urbains est alimenté par les migrations des campagnes vers les villes et par la croissance démographique. Le besoin d’emplois urbains est aussi alimenté par les pertes d’emplois dans les administrations et dans les entreprises d’Etat.

Au total, nous pensons que la croissance doit être telle, que l’emploi urbain non public augmente au moins de 10 millions par an. Le chômage urbain semble être stable quand l’emploi urbain augmente de 3 % par an, c’est-à-dire de 9 millions de personnes.

La population en âge de travailler a augmenté en 2008 de 10,5 millions de personnes. La population urbaine représentait 46 % de la population totale, ceci donne une hausse de 4,8 millions de personnes de la population urbaine en âge de travailler, hors migrations. 

Les migrations totales sont de 9,8 millions de personnes vers les villes, soit 4,9 millions d’actifs potentiels. 4,8 + 4,9 =, 9,7 millions est une estimation raisonnable de la hausse de la population active urbaine.

Ceci est cohérent avec une hausse nécessaire de 9 millions d’emplois urbains pour stabiliser le chômage urbain.

Mais il y a toujours 1 million d’emplois perdus chaque année dans le secteur public, d’où un besoin de 10 millions d’emplois urbains privés chaque année.

Il reste à passer de la croissance de l’emploi urbain à celle du PIB (officiellement mesuré). L’emploi total augmente de 1,1 % par an, l’emploi urbain de 2,5 à 3 % par an.

Les gains de productivité pour l’ensemble de l’économie sont donc, en 2008 de 8,8 %, ce qui est considérable. Si on y ajoute 10 millions d’emplois privés urbains, l’emploi total devrait progresser de 1,1 à 1,2 % : ceci donnerait une croissance minimale de 10 %.

Mais les gains de productivité pourraient revenir au niveau de 2002, en période de freinage économique : 8 % par an. Ceci donnait une croissance minimale de 9%. Il nous semble donc que la croissance minimale acceptable par le gouvernement chinois est de 9% par an. Ce taux de croissance est élevé, car les gains de productivité sont élevés. Ceci vient :

  • des migrations des campagnes vers les villes, qui accroissent fortement la productivité individuelle des migrants ;
  • des transferts technologiques par les investissements directs étrangers.

Comment obtenir la croissance souhaitée ?

Le gouvernement chinois dispose de divers instruments pour obtenir la croissance souhaitée :

  • politique monétaire (taux d’intérêt, taux de réserves obligatoires, plafonds de crédit) ; 
  • politique budgétaire (investissements publics) ;
  • politique de change.

(1) Les taux d’intérêt sont déjà très bas par rapport au taux de croissance. Il est donc peu probable qu’une baisse des taux d’intérêt ait beaucoup d’effets sur la croissance chinoise. La baisse des taux de réserves obligatoires permet aux banques d’utiliser une plus grande partie de la croissance de la base monétaire pour distribuer du crédit. Ceci, avec la hausse des plafonds de crédit pourrait permettre aux banques de distribuer davantage de crédit. Mais il faut aussi que la demande de crédit puisse augmenter, ce qui n’est pas sûr : la baisse de 30 % à 20 % du taux d’apport minimal n’a pas fait repartir l’investissement immobilier. Nous pensons donc que la politique monétaire risque aujourd’hui d’être assez peu efficace en Chine.

(2) La capacité à accroître les déficits publics est considérable en Chine ; en effet :

  • avant le ralentissement économique, le déficit public était très réduit (1% du PIB) et la dette publique très faible (15 % du PIB) ; 
  • le taux d’épargne est tellement élevé en Chine que la capacité à émettre une dette publique supplémentaire est énorme ;
  • le besoin d’infrastructures publiques étant considérable (train, routes, eau, électricité, santé…), ces dépenses supplémentaires (comme celles annoncées en novembre 2008) sont légitimes.

(3) Les autorités chinoises ont mentionné la possibilité d’affaiblir (et plus seulement de stabiliser) le RMB par rapport au dollar. La hausse des dépenses d’infrastructures publiques relance la croissance, mais ne soutient ni la demande privée, ni les secteurs en difficulté (automobile, textile, jouet…). La dépréciation du RMB permettrait à ces secteurs d’accroître leurs marges bénéficiaires, c’est-à-dire le mouvement inverse de celui qu’avait imposé l’appréciation du RMB à partir de la fin de 2007.

Une bonne et une mauvaise nouvelle pour le reste du monde 

Nous avons d’abord évalué la « vraie » croissance de l’économie chinoise (elle a une variabilité similaire à la croissance publiée), puis le niveau le plus faible de croissance que le gouvernement chinois peut accepter (9 % par an).

Nous avons ensuite examiné quelles politiques le gouvernement chinois pourra mettre en œuvre pour soutenir la croissance alors que plusieurs signes d’affaiblissement apparaissent.

Une politique monétaire plus expansionniste serait sans doute peu efficace.

Nous pensons que le gouvernement chinois se reposera sur la hausse des dépenses d’infrastructures publiques, ce qui a déjà été décidé, et sur un affaiblissement du RMB.

La bonne nouvelle est donc que la croissance chinoise va rester forte ; la mauvaise nouvelle est que le gouvernement chinois va sans doute affaiblir le RMB par rapport au dollar, ce qui sera, à juste titre, considéré comme très non coopératif.