Chine : pressions sur les finances publiques

par Christine Peltier, économiste chez BNP Paribas

• Afin de stimuler la demande intérieure, les autorités poursuivent l’assouplissement prudent de la politique monétaire et élargissent leur champ d’actions sur le plan budgétaire.

• La progression de l’investissement dans les projets d’infrastructure va réaccélérer cette année, notamment grâce au redressement des revenus et des sources de financement des collectivités locales. Des allègements fiscaux devraient soutenir la demande des entreprises et des ménages.

• Les déficits budgétaires se sont accrus ces dernières années et la dette publique a augmenté, sous l’effet du ralentissement économique et de la mise en œuvre de mesures contra-cycliques.

• Le risque souverain chinois reste très bon. Il subit néanmoins des pressions croissantes liées au moindre dynamisme économique et à la montée des risques « contingents ».

Le ralentissement de la croissance économique s’est poursuivi au début de l’année 2016, et la progression du PIB réel s’est établie à 6,7% en glissement annuel au premier trimestre, contre 6,8% au T4 2015. Les autorités ciblent un intervalle de croissance de 6,5% à 7% pour 2016. En annonçant cet objectif lors de l’Assemblée Populaire Nationale (APN) au début du mois de mars, Pékin a signalé sa volonté de stabiliser – et donc de soutenir – la croissance cette année. Les réformes structurelles visant à améliorer la qualité de l’offre, à rééquilibrer les sources de la croissance et à promouvoir un développement économique plus « harmonieux » du pays restent des priorités à moyen terme. A court terme, les autorités envisagent aussi et surtout d’encourager la demande via l’assouplissement « prudent » de la politique monétaire et une politique budgétaire plus « proactive »1.

Une politique budgétaire résolument accommodante

Dans la définition de leurs politiques contra-cycliques, les autorités chinoises ont le plus souvent mis l’accent sur les changements d’orientation de la politique monétaire et de crédit, ainsi que sur l’évolution des dépenses dans les infrastructures publiques. Un rôle plus important est dorénavant donné à la politique fiscale, en réponse au ralentissement prononcé et prolongé de l’activité, mais aussi à cause des risques croissants liés à l’assouplissement monétaire. Les entreprises et les collectivités locales se trouvent en effet déjà en situation d’excès de dette, et les banques font face à une hausse de plus en plus rapide de leurs créances douteuses depuis 2012. Les autorités monétaires sont donc contraintes à mener une politique de relance très prudente, et pourraient continuer à privilégier des mesures ciblées visant à diriger le crédit vers certains secteurs. Néanmoins, même modérée, la réaccélération de la progression du crédit (« social financing ») alimentera la hausse continue des niveaux d’endettement de l’économie (déjà supérieurs à 200% du PIB fin 2015). Elle empêchera tout processus d’assainissement du secteur corporate (des entreprises publiques en particulier) et du système financier, d’autant plus qu’elle pourrait s’accompagner d’une nouvelle dégradation de l’efficacité du crédit.

Dans ce contexte, le gouvernement élargit son champ d’actions sur le plan budgétaire. La progression de l’investissement dans les projets d’infrastructure, qui joue depuis longtemps un rôle de stabilisateur macroéconomique en Chine, devrait réaccélérer en 2016. Les difficultés financières des collectivités locales avaient contribué au ralentissement de cet investissement en 2015 (+17% en valeur, contre 20% en 2014). Cette année, les collectivités locales devraient profiter du redressement de leurs revenus tirés de la vente de terrains (après leur effondrement en 2015), d’un allègement de la charge d’intérêts sur leur dette (grâce aux programmes d’échange de leurs prêts bancaires par des émissions obligataires moins coûteuses), et d’un meilleur accès aux financements (après la période de resserrement qui a suivi l’adoption de la nouvelle loi budgétaire fin 2014). Le gouvernement envisage également de développer le financement des projets d’infrastructure par les banques publiques d’investissement ainsi que par les partenariats public-privé.

Par ailleurs, des mesures d’allègement fiscal ont déjà été introduites et d’autres sont envisagées, pour stimuler la consommation des ménages et réduire les coûts pour les entreprises. En outre, la réforme visant à introduire progressivement la TVA dans tous les secteurs se poursuit : en remplaçant l’assiette de taxation actuelle basée sur le chiffre d’affaires par un système basé sur la valeur ajoutée, cette réforme devrait encourager la recherche de profits, et dans le même temps réduire le poids de la fiscalité pour les entreprises.

Hausse des déficits budgétaires…

Les autorités ont dévoilé lors de l’APN un ensemble d’objectifs de politique économique pour 2016. Elles prévoient notamment une hausse du déficit budgétaire « ciblé » de CNY 560 milliards à CNY 2180 milliards, ce qui représenterait 3% du PIB. En annonçant le déficit budgétaire le plus important jamais ciblé en Chine, le gouvernement signale clairement sa détermination à user davantage de sa marge de manœuvre budgétaire. En réalité, les nouvelles mesures fiscales envisagées et la réaccélération des dépenses en infrastructure renforcent un assouplissement de la politique budgétaire en cours depuis 2012 (une période de resserrement avait suivi les deux années de mise en œuvre de l’énorme plan de relance d’après-crise). Ainsi, l’objectif de déficit budgétaire, qui est annoncé au début de chaque année et signale l’orientation de la politique, a été augmenté progressivement, passant de 1,5% du PIB pour 2012 à 3% pour 2016.

Le déficit budgétaire « réalisé » (dont le périmètre évolue et n’est pas exactement identique au déficit « ciblé », ce qui limite les comparaisons entre objectifs et réalisations) est quant à lui passé de 1,6% du PIB en 2012 à 3,5% en 2015. La progression des recettes budgétaires a ralenti depuis 2012, pour atteindre 8,4% en 2015. Ce chiffre inclut certains fonds spéciaux, auparavant extra-budgétaires et désormais intégrés dans le budget, et serait donc plus faible sans cette nouvelle inclusion. Le ratio des recettes budgétaires (dont plus de 80% proviennent des impôts) sur PIB est resté proche de 22% en 2015 (un niveau très modeste par rapport aux économies avancées). La progression des dépenses a également fléchi en 2012-2014, mais dans une moindre mesure que les recettes, et l’investissement dans les infrastructures (principalement « hors budget ») s’est redressé en parallèle. En 2015, les dépenses apparaissant au budget officiel ont fortement augmenté (+15,8%, contre 8,3% en 2014), le gouvernement ayant partiellement pallié les difficultés financières des collectivités locales (traditionnellement responsables des projets d’infrastructure) pour soutenir l’investissement public (qui a néanmoins fléchi l’an dernier).

Les comptes budgétaires publiés par les autorités ne rapportent en effet qu’une partie des activités des administrations publiques. Le FMI publie des estimations de déficits « augmentés » qui reflètent probablement mieux la réalité de la performance budgétaire chinoise. Le FMI révise le solde budgétaire officiel (ciblé) en y ajoutant les fonds étatiques et la sécurité sociale, et surtout les recettes et les dépenses des collectivités locales qui sont exclues du budget (ventes de terrains, investissements en infrastructure). Au final, le déficit total « augmenté », défini comme le besoin net de financement des administrations publiques, est estimé à 7,3% du PIB en 2014, contre 6,5% en 2012, et devrait s’être approché de 8% en 2015. Il met en évidence une performance budgétaire médiocre qui découle, en particulier, de celle des collectivités locales.

… de la dette publique et des risques « contingents »

Les finances publiques souffrent des effets du ralentissement économique et de la politique budgétaire contra-cyclique mise en œuvre depuis quatre ans. Les déficits se sont accrus, et la dette totale des administrations publiques a augmenté. Une distinction doit néanmoins être faite entre le gouvernement central et les collectivités locales. La dette du premier reste très modérée, à environ 20% du PIB, et sa dynamique rassurante. L’endettement des secondes est beaucoup plus préoccupant. Il a rapidement augmenté ces dernières années, d’abord en 2009 à cause du plan de relance d’après-crise, puis depuis 2012 du fait de la forte progression des investissements dans les infrastructures (largement financés par de la dette). La dette des collectivités locales est ainsi passée de moins de 20% du PIB en 2007-2008 à 38% en 2015. Dans le même temps, la capacité des collectivités locales à servir leur dette s’est affaiblie, les projets financés n’étant pas suffisamment ou pas assez rapidement rentables, et parce que leurs revenus se sont dégradés (ralentissement de l’activité, retournement du marché immobilier de fin 2013 à 2015).

Le risque souverain chinois reste aujourd’hui très bon, notamment grâce aux niveaux modérés des déficits et de la dette du gouvernement central, à son accès facile aux financements (principalement internes) et à son large portefeuille d’actifs (y compris de réserves de change). Néanmoins, le risque souverain subit de plus en plus de pressions liées au ralentissement économique ainsi qu’à la montée des risques « contingents ». Ceux-ci résultent de l’excès de dette des collectivités locales et des entreprises publiques, que le gouvernement central peut être amené à soutenir en cas de besoin, et des risques de crédit élevés dans le secteur financier. En outre, les autorités donnent à court terme la priorité à la stabilisation de la croissance, au risque de retarder les réformes structurelles qui permettraient de restructurer les entreprises publiques, de renforcer les finances des collectivités locales ou d’assainir le système financier. C’est dans ce contexte que deux agences de rating ont récemment introduit une perspective négative sur la note souveraine en devises de la Chine (de Aa3 pour Moodys’ et AA- pour Standards & Poor’s).

NOTES

  1. Cf. Chine : Priorité à la stabilisation de la croissance, EcoWeek, 18 mars 2016.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas