Chine : Priorité à la stabilisation de la croissance

par Christine Peltier, économiste chez BNP Paribas

•  La session annuelle de l’Assemblée Populaire Nationale, qui vient de s’achever, a été l’occasion pour le gouvernement de présenter ses objectifs pour 2016 ainsi que les priorités du 13ème plan quinquennal.

  Sur le plan économique, la priorité à court terme est la stabilisation de la croissance, au risque de retarder tout processus de désendettement des entreprises et des collectivités locales.

•  Le ralentissement économique et les difficultés du secteur industriel se sont encore aggravés au cours des deux premiers mois de l’année.

Entre réformes et politiques de soutien à la demande

La session annuelle de l’Assemblée Populaire Nationale (APN), qui s’est achevée le 16 mars, a réuni les quelques 3 000 députés chinois pendant une dizaine de jours afin qu’ils approuvent un ensemble de lois présentées par le gouvernement. Celui-ci y a notamment présenté le bilan de son action en 2015, ses objectifs de croissance et de politique économique pour 2016 et les principales orientations du 13ème plan quinquennal pour la période 2016-2020.

Concernant son plan de développement économique et social pour les cinq prochaines années, le gouvernement a surtout rappelé les priorités déjà présentées en octobre 2015. L’objectif de croissance est fixé à au moins 6,5% par an en moyenne, ce qui doit permettre de doubler le revenu par habitant entre 2010 et 2020.

La croissance devra être davantage tirée par la consommation et les services, ainsi que par les industries innovantes, et devenir moins polluante. La modernisation de l’agriculture, l’assouplissement des règles d’obtention du permis de résidence dans les zones urbaines, ou encore l’amélioration du système de sécurité sociale font également partie des mesures envisagées afin de favoriser un développement économique plus « harmonieux » d’ici 2020. Pour 2016, les réformes structurelles annoncées visent, plus particulièrement, à améliorer la qualité de l’offre, via la réduction des capacités excédentaires dans les industries du charbon et de l’acier, et la réduction des coûts pour les entreprises (fiscaux, financiers, administratifs, logistiques). Le gouvernement met néanmoins aussi l’accent sur la nécessité de mener des politiques de soutien à la demande à court terme.

Cette priorité transparaît dans les objectifs de croissance et de politique économique pour 2016 qui ont été dévoilés lors de l’APN. Ainsi, le gouvernement a choisi un intervalle, de 6,5% à 7%, comme cible de croissance pour 2016. Au vu de la dynamique économique récente, et bien qu’elle soit effectivement inférieure à l’objectif d’environ 7% qui avait été fixé pour 2015, cette cible signale la volonté des autorités de soutenir, et stabiliser, la croissance à court terme. Pour y parvenir, elles envisagent de recourir à une politique budgétaire de relance « plus proactive », à des investissements dans de nouveaux projets d’infrastructure et à un assouplissement « prudent » de la politique monétaire.

L’objectif de déficit budgétaire a été fixé à 3% du PIB pour 2016, contre 2,4% pour 2015. Il s'agit là du déficit le plus important jamais ciblé par Pékin qui envisage, en particulier, toute une série d’allégements fiscaux pour les entreprises et les particuliers. Ceci sera complété par des mesures de relance auxquelles les autorités sont plus habituées, c’est-à-dire des dépenses en infrastructures, en particulier routières, ferroviaires et énergétiques. Pour financer ces investissements, le gouvernement compte sur l’amélioration de la situation financière des collectivités locales (grâce au redressement des prix immobiliers et à la poursuite du programme de swap de leurs prêts bancaires par des émissions obligataires moins coûteuses) et leur recours à l’endettement, ainsi que sur le développement des partenariats public-privé.

Sur le plan monétaire, un objectif de croissance de 13% pour 2016 a été établi à la fois pour M2 et pour l’ensemble des financements à l’économie (« social financing »), ce qui, au vu de la cible de croissance de M2 définie pour 2015 (12%) et de la récente progression des financements à l'économie (estimée à 11,4% en 2015), annonce un nouvel assouplissement monétaire. Les autorités envisagent d’utiliser tous les instruments qui sont à leur disposition pour améliorer l’accès au crédit de l’ensemble des entreprises (y compris des PME et dans les zones rurales) et en réduire le coût. On peut donc s'attendre à court terme à de nouvelles baisses des taux d'intérêt de référence (le taux sur les prêts à un an est déjà passé, depuis octobre 2014, de 6% à 4,35%) et des coefficients de réserves obligatoires (déjà réduits, depuis janvier 2015, de 20% à 17% pour les grandes banques), ainsi qu'à de nouvelles injections de liquidités et à des mesures ciblées visant à encourager les crédits vers certains secteurs.

Au final, les textes votés par le parlement chinois n'ont pas vraiment créé de surprise. Le 13ème plan quinquennal approuvé lors de l'APN confirme la direction des réformes structurelles que le gouvernement souhaite poursuivre à moyen terme pour conduire la Chine vers un modèle de croissance plus modéré et plus équilibré, et réduire les vulnérabilités qui se sont aggravées au cours des dernières années (crise du secteur industriel, développement déséquilibré du marché immobilier, risques de crédit dans le secteur financier, détérioration des finances des collectivités locales, sorties de capitaux). Néanmoins, le dilemme est devenu de plus en plus grand pour les autorités qui doivent réduire ces vulnérabilités et prendre des mesures aux effets souvent récessifs, sans déclencher une correction encore plus brutale et prolongée de l'investissement et de la croissance. Les politiques expansionnistes annoncées pendant l'APN indiquent qu'à court terme, la balance penchera plutôt en faveur de ce deuxième objectif.

En particulier, la progression du crédit devrait ré-accélérer cette année, tirée par les financements aux entreprises et aux collectivités locales. La dette interne totale (hors gouvernement central) n'a cessé d'augmenter depuis 2009 pour dépasser 200% du PIB fin 2015 (dont 160% pour les entreprises et les collectivités locales), et pourrait augmenter de 10 points de PIB supplémentaires en 2016. En retardant encore un nécessaire processus de désendettement de l'économie, la politique de relance des autorités empêchera tout assainissement du secteur financier, alors que celui-ci fait face à une augmentation rapide de ses créances douteuses.

Ralentissement prononcé en début d'année

Les indicateurs d'activité pour les deux premiers mois de 2016 ont sans doute conforté les autorités dans leurs choix de politique économique à court terme. Le ralentissement s'est aggravé dans l'industrie qui affiche une production en hausse de seulement 5,4% en g.a. en janvier-février, contre 6,1% sur l’ensemble de 2015 (déjà un point bas historique). Les derniers indices PMI confirment la tendance baissière dans le secteur manufacturier, mais signalent également une perte de vitesse dans le secteur des services (l’indice PMI officiel était de 52,7 en février, contre 54,4 en décembre). On peut effectivement craindre que la demande de services commence à subir des effets de contagion liés à la crise industrielle. Après sa solide performance en 2015 (+8,3%), la croissance du secteur tertiaire pourrait ainsi marquer le pas en ce début d’année.

Du point de vue de la demande, toutes les composantes participent au ralentissement de la croissance. Le secteur exportateur se trouve particulièrement fragilisé : les exportations se sont effondrées en janvier-février 2016 (-17,9% en dollars, en g.a.), après une année 2015 déjà mauvaise (-2,6%), et cette chute a concerné l’ensemble des régions partenaires de la Chine. La progression des ventes au détail en janvier-février (estimée à 8,2% en volume en g.a., contre 9,1% en 2015) signale un ralentissement de la consommation des ménages qui s’explique, notamment, par la moindre hausse des revenus disponibles au cours des derniers trimestres.

L’évolution de l’investissement sur les deux premiers mois de l’année semble déjà refléter les efforts de relance du gouvernement, puisque l’investissement des entreprises publiques s’est redressé alors que celui du secteur privé s’est affaibli. La progression nominale de l’investissement total a ainsi pu se maintenir à 10,2% en g.a. en janvier-février (contre 10% en 2015), principalement tirée par l’investissement dans les infrastructures (+15,7% en janvier-février). Le ralentissement de l’investissement dans le secteur manufacturier s’est poursuivi (+7,5%), conséquence de la faiblesse de la demande, des efforts faits pour réduire les capacités de production excédentaires et de la dégradation des profits des entreprises.

En revanche, outre les projets d’infrastructure, le secteur immobilier pourrait bien recommencer à soutenir l’activité et la demande de biens durables dans les prochains mois. En effet, après une longue période de correction de fin 2013 au T2 2015, le marché immobilier a enregistré d’abord des signes de stabilisation, puis de reprise, en réponse aux différents trains de mesures d’assouplissement de la politique économique. Ainsi, le volume total des ventes s’est accru de 28,2% en g.a. en janvier-février 2016, contre 6,5% sur l’ensemble de l’année 2015, et le prix moyen des logements pour les 70 principales villes est reparti à la hausse (+1% en g.a. en janvier). Il existe des divergences très marquées entre les plus grandes villes, où les prix augmentent depuis plusieurs mois et de plus en plus rapidement (+17% en g.a. en janvier à Shanghai par exemple) et les villes moins importantes, dont les stocks d’invendus restent excessivement élevés et les prix continuent de chuter (45 des 70 principales villes suivies par le Bureau National des Statistiques affichaient des prix encore en baisse en janvier). Une des priorités du gouvernement pour 2016 est de continuer à réduire les stocks totaux d’invendus. Au niveau national, les transactions et les prix devraient donc continuer à se redresser. L’investissement dans le secteur immobilier, dont la progression s’est effondrée au cours des dernières années pour passer sous les 3% en 2015, pourrait finalement s’en trouver stimulé. Néanmoins, les autorités devront s’efforcer de mener une politique différenciée en fonction des régions, afin de contenir les distorsions sur le marché immobilier.

Dans notre scénario central, la croissance du PIB réel, qui était de 6,8% en g.a. au T4 2015, devrait être proche de 6,5% au T1 2016, soit le point bas de l’intervalle ciblé pour 2016. Elle pourrait ensuite se stabiliser grâce aux politiques de soutien à la demande interne. Les principaux risques baissiers restent liés à la gravité de la crise dans l’industrie, dont les effets de contagion sur le reste de l’économie pourraient être plus importants qu’attendu, à la baisse de l’efficacité de l’investissement, qui pourrait encore se détériorer dans un contexte de ré-accélération du crédit, et à la dégradation de la situation financière des entreprises, des collectivités locales et des banques. Etant donné les discours des autorités lors de l’APN, il est probable que le gouvernement étendrait encore son champ d’actions en cas de poursuite du ralentissement dans les prochains trimestres.

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