Chine : réserves de change et sorties de capitaux… Faut-il s’inquiéter ?

par Mo Ji, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

Fin janvier2016, les réserves de change de la Chine se montaient à 3 230 milliards USD, soit 762 milliards USD de moins qu’au moment de leur pic en juin 2014 (ce qui représente une érosion de valeur de 20 %) ; par rapport à juillet 2015, les réserves ont fondu de 420 milliards USD, dans un contexte de dévaluation brutale et inattendue du RMB début août 2015 (soit une érosion de valeur de 12 % par rapport à juillet). Bien sûr, la dépréciation du RMB a précipité le rythme de la baisse des réserves et des sorties de capitaux hors de la Chine.

Est-ce pour autant si inquiétant? Quelle est la composition des réserves de change? Dans quelle mesure sont-elles liquides et utilisables? Quel niveau peut être considéré comme suffisant? Quand le niveau des réserves va-t- il se stabiliser? Comment se décomposent les sorties de capitaux? Quelles en sont les forces motrices? Quand la tendance va-t-elle s’essouffler? Et que nous indiquent les derniers messages adressés par la PBoC (entretien Caixin et réunion du G20 à Shanghai) ? Autant de questions qui soulèvent des inquiétudes, lesquelles vont probablement perdurer plus longtemps qu’on ne le pense.

Quelle est la composition des réserves de change de la Chine ?

Les réserves de change chinoises se composent de 39 % de bons du Trésor américain, de 7 % d’actifs en USD détenus indirectement par l’intermédiaire de tiers (tels que des sociétés de gestion d’actifs, avec notamment une exposition aux bons du Trésor américain sur un compte belge), de 11 % d’autres actifs en USD (actions, crédit d’entreprise et autres), de 5 % de dette d’agences fédérales américaines (Fannie Mae et Freddie Mac), de 20 % d’actifs libellés en EUR et de 18 % d’actifs dans d’autres devises (principalement GBP, CHF, JPY, d’autres devises du G10 et un très petit nombre de monnaies de pays émergents).

Cela représente donc 62 % environ d’actifs en USD, une proportion en ligne avec celle des réserves d’autres pays émergents, dont la moyenne avoisine les 62,5 %. 20 % des réserves de change chinoises sont des actifs en EUR, soit encore une fois une proportion similaire à celle détenue par les autres pays émergents (21 %). Il faut donc se demander de quelle manière cette composition évolue ; la liquidité et l’usage possible de ces réserves risquent de changer et d’entraîner très probablement une hausse de la représentation des actifs illiquides puisque ce sont généralement les plus liquides que l’on vend en premier.

Liquidité et usage possible des réserves de change chinoises

La principale question que les investisseurs doivent se poser concerne le degré de liquidité et d’utilité des réserves de change chinoises, ce qui revient à se demander à partir de quand elles peuvent être considérées comme illiquides et inaptes à empêcher les sorties de capitaux.

Les actifs les plus liquides parmi les réserves de change chinoises sont les emprunts d’État des marchés développés ; par exemple, fin janvier 2016, la Chine détenait 1 246 milliards USD de bons du Trésor américain, soit 39 % de ses réserves. De plus, avec les investissements indirects en bons du Trésor américain, le montant total de dette publique américaine détenue par la Chine serait d'environ 1480 milliards USD (46 % des réserves de change chinoises). Les emprunts d’État d’autres marchés développés représentent quant à eux 800 milliards USD environ (25 % des réserves). Au total, elles sont donc investies à 61 % dans des obligations souveraines de pays développés, l’actif le plus liquide présent dans les réserves chinoises.

Si l’on ajoute la dette d’agences fédérales américaines, les actions et le crédit d’entreprise de marchés développés, la portion liquide et utilisable des réserves atteint près de 2500 milliards USD, soit 77 % des réserves.

La Chine est libre de vendre ses actifs liquides quand elle le souhaite. Pourtant, d’un point de vue pratique, il y a peu de chance qu’elle opte pour cette solution, car les conséquences pourraient être très graves au niveau des marchés financiers qui, face à ce scénario catastrophe inédit, pourraient mettre très longtemps à se remettre.

Quel est le niveau de réserves de change suffisant pour la Chine ?

La baisse accélérée des réserves de change chinoises soulève des inquiétudes quant à leur niveau adéquat et celui en dessous duquel elles seraient considérées comme insuffisantes: où se situe donc ce palier mystérieux et sera-t-il bientôt atteint ?

Il y a plusieurs façons de calculer l’adéquation des réserves de change, et aucune n’est parfaite. D’une manière générale, lorsque l’on pense à l’adéquation des réserves, on l’associe à quatre grandes variables qui sont les exportations, la dette extérieure à court terme, la masse monétaire au sens large et d’autres engagements de portefeuille. On comprend facilement le lien avec les exportations, la dette extérieure à court terme et les engagements de portefeuille; en revanche, la relation avec la masse monétaire au sens large paraît moins évidente. Celle-ci sert à mesurer le risque de fuite des capitaux, au regard de nombreux exemples récents de crises des comptes de capital qui s’étaient accompagnées de retraits de dépôts des résidents (« fuite des dépôts »).

Un grand nombre de calculs entrent en jeu, mais en définitive, on estime que le niveau adéquat des réserves de change chinoises est compris entre 2500 et 3 000 milliards USD (en l’absence de contrôles des capitaux), et entre 1 600 et 2 000 milliards USD (avec contrôles des capitaux).

Parmi les variables qui déterminent l’adéquation des réserves de change, les exportations ne posent pas de problème puisque la balance courante chinoise est toujours excédentaire; la dette à court terme, quant à elle, diminue, et la fuite des capitaux n’est pas envisageable étant donné les contrôles de capitaux plus stricts déjà mis en place (et dont le niveau risque d’être encore renforcé).

Par conséquent, il nous semble qu’à partir d’aujourd’hui, les réserves de change chinoises peuvent encore baisser environ de moitié avant de s’établir à un niveau toujours adéquat de 1 600 milliards USD avec contrôles stricts des capitaux. Selon nous, les réserves devraient toutefois se stabiliser avant ; mais à quel niveau ?

À quel niveau les réserves de change chinoises vont-elles se stabiliser ?

La baisse des réserves chinoises devrait ralentir au même rythme que ralentiront les sorties de capitaux, ce qui prendra probablement entre six et neuf mois. Étant donné le rythme de baisse actuel (120 milliards USD environ par mois), les réserves ne devraient donc pas passer en dessous de 2250 ou 2 500 milliards USD, montant qui reste dans la fourchette d’adéquation que nous avons définie ci-dessus.

D’un autre côté, si la Chine déploie des contrôles de capitaux plus stricts et que le RMB se dévalue plus que prévu dans cet horizon, alors il est très probable que les réserves de change chinoises se révèlent supérieures aux attentes et se stabilisent aux alentours de 2 800 à 3 000 milliards USD.

Décomposition des sorties de capitaux

Les flux (entrants et sortants) de la Chine, qu’on appelle les flux de capital hors IDE, se calculent généralement en soustrayant aux réserves de change l’excédent commercial net des IDE, des effets de valorisation et des produits d’intérêts, correspondant grosso modo aux flux de capitaux hors IDE au cours du mois considéré. Les marchés tentent d’apporter des révisions à ce calcul au titre de surfacturations ou du commerce des services, mais ces changements sont trop limités pour changer le résultat global.

On voit que la Chine subit des sorties de capitaux hors IDE depuis 22 mois consécutifs, tout particulièrement depuis la dévaluation surprise du RMB en août; entre fin août et jusqu’à janvier, les sorties de capitaux hors IDE ont représenté en moyenne 120 milliards USD, soit le double des sorties de capitaux moyennes enregistrées entre juillet 2014 et juillet 2015.

Quelles sont les forces motrices des sorties de capitaux en Chine ?

Les données montrent clairement qu’une baisse des réserves de change a entraîné des sorties de capitaux hors IDE, en particulier l’année dernière. Quelles sont les forces motrices de cette tendance ? Il y a selon nous deux raisons principales :

  1. Le remboursement de la dette extérieure. Début 2015, l’endettement en devise étrangère des entreprises chinoises représentait environ 1 100 milliards USD, engendrant de lourdes pressions qui ont poussé les émetteurs à vendre du RMB pour acheter de l’USD et rembourser cette dette. De fait, la dette extérieure a fondu et atteignait 800 milliards USD fin 2015, ce qui correspond bel et bien à près de 300 milliards USD de sorties de capitaux hors IDE au cours de l’année dernière.
  2. Les couvertures. Les établissements financiers mais aussi les entreprises et les particuliers, pour qui la dépréciation du RMB était inenvisageable, ont dû se couvrir contre ce risque depuis la fin du mois d’août, venant accroître de facto les ventes de RMB contre de l’USD. Auparavant situé entre 20 et 30 %, le ratio de couverture a donc été relevé.

À quel niveau les sorties de capitaux vont-elles se stabiliser ?

Il nous semble que les sorties de capitaux hors IDE pourraient se stabiliser quand le niveau de la dette extérieure aura atteint 400 à 500 milliards USD, soit deux fois moins qu’actuellement. Étant donné l’accélération des sorties de capitaux en ce moment, il faudra probablement au moins six à neuf mois.

En ce qui concerne les couvertures, il est possible qu’il faille attendre que le ratio touche 50 à 60 % avant que la situation se stabilise, soit approximativement autant de temps (six à neuf mois).

À court terme, la baisse des réserves de change, les sorties de capitaux et la dépréciation du RMB devraient se poursuivre. À horizon six à neuf mois, que va-t-il se passer? Une dévaluation ponctuelle du RMB pour épargner les réserves de change et limiter les sorties de capitaux? Ou une dévaluation graduelle sans calendrier précis, qui accroîtra la baisse des réserves et les sorties de capitaux ? Nous avons tendance à penser que la PBoC va privilégier la seconde approche car elle ne peut plus se permettre de déclencher d’autres ondes de choc comme lors des deux dévaluations précédentes.

Qu’est-ce qui se cache derrière les derniers propos de la PBoC ?

Les marchés auront noté la remarquable stabilité du RMB pendant les deux dernières semaines de février. Qu’est-ce qui explique cette tendance? Voici notre hypothèse: à l’approche de la fin des vacances du Nouvel an chinois le 14 février, le Gouverneur de la PBoC Zhou Xiaochuan s’est longuement entretenu avec le magazine Caixin, publication majeure de l’industrie financière, s’expliquant de manière directe pour la première fois depuis les dévaluations d’août et de janvier. Ces propos ont porté leurs fruits et contribué à stabiliser les anticipations du marché, notamment à l’aube de la réunion du G20 prévue fin février. De plus, le Gouverneur Zhou s’est de nouveau adressé au marché à l’occasion de la rencontre du G20 à Shanghai.

Quelles sont les conséquences de ces deux tentatives d’approche? Le Gouverneur Zhou répète à l’envi son opinion sur le RMB, les flux de capitaux et les réserves de change, rappelant que sa mission principale demeure la libéralisation du compte de capital chinois, et que le rythme de celle-ci peut être ajusté en fonction des conditions du marché. La PBoC indique donc qu’elle attend que ces conditions se stabilisent pour dévaluer encore le RMB et affirme que selon elle, des mesures de contrôle des capitaux plus radicales permettront de limiter les sorties de capitaux et la baisse des réserves de change.

Encore une fois, nous pensons que la Banque choisira la voie d’une dépréciation graduelle pour éviter de bouleverser davantage les marchés ; mais elle trouvera sur sa route des obstacles imprévus, au premier rang desquelles les incertitudes majeures des intervenants, qui forment aux côtés du pétrole et de la Fed les principaux risques à horizon 2016.

Conclusion

Au niveau des marchés financiers, les incertitudes quant au rythme et au calendrier de la dévaluation du RMB constituent toujours le principal risque, qui s’ajoute à la volatilité liée aux cours pétroliers et aux décisions de la Fed. Les sorties de capitaux et la baisse des réserves de change devraient mettre encore six à neuf mois avant de se stabiliser, après quoi les réserves atteindront toujours, selon nous, un niveau adéquat. La dissipation à court terme du risque lié au RMB, fin 2016/début 2017, devrait donc offrir un soulagement certain aux marchés internationaux.