Comparatif des plans de relance européens

par Sylvain BROYER et Costa BRUNNER, économistes chez Natixis

Nous comparons les plans de relance budgétaires annoncés pour 2009 dans les six premières économies de l’Union Européenne selon les montants mobilisés, les secteurs bénéficiaires et les mesures retenues :

• Les montants budgétisés sont nettement inférieurs aux recommandations de l’UE en Italie et aux Pays-Bas. Seule l’Espagne fait résolument plus, mais a épuisé ses ressources budgétaires.
• Priorités sont données à l’investissement productif, c’est-à-dire à la trésorerie d’entreprise, et aux infrastructures publiques. Les aides à la consommation sont reléguées au second rang. Cet ordre des priorités est cohérent avec la situation conjoncturelle des pays, si le revenu des ménages devient une priorité budgétaire à horizon des douze prochains mois.
• Les mesures retenues par les gouvernements européens sont plurielles mais des récurrences s’observent : réhabilitation de logements et aides aux emprunteurs en difficulté pour la construction résidentielle ; crédit et réalisation accélérée de projets publics existants pour les infrastructures ; amortissement accéléré et flexibilité des avances de TVA pour la trésorerie des entreprises. Pour la consommation en biens durables, les aides publiques ciblent le secteur automobile. Pour la consommation en biens non durables, on ne recense encore que le soutien aux chômeurs saisonniers et techniques. 
• Toutes ces mesures n’aboutiront pas à de la demande finale, par conséquent de la croissance. C’est le reproche principal que l’on fait aux mesures phares des plans allemand (crédits KfW aux PME) et anglais (baisse de la TVA) qui représentent pourtant près d’un tiers du plan de relance européen.

Nous comparons les plans de relance budgétaires annoncés pour 2009 dans les six premières économies de l’Union Européenne selon les montants mobilisés et les instruments retenus. Cette démarche nous permet d’isoler les priorités et mesures récurrentes à ces plans, ainsi que d’estimer quels postes de la demande domestique en sont les principaux bénéficiaires.

En moyenne, les plans de relance représentent 1,1% de PIB, soit 108 Mrds, dans les six plus grandes économies de l’Union Européenne. C’est moins que les 1,3% (170 Mrds) recommandés par la Commission.

Seule l’Espagne fait résolument plus. Faisant face à un ralentissement sans précédent de son économie, du à la transition de son modèle de croissance, l’Espagne a décidé trois relances consécutives depuis les élections législatives de 2008 pour un montant total de 28,4 Mrds EUR (2,5% de PIB). Le plus important est le troisième plan, adopté le 28 novembre dernier pour une ampleur de 10,9 Mrds EUR. Le surplus budgétaire a été entièrement dissipé par ces trois relances.

Les plans français, anglais et allemands sont d’une ampleur comparable, bien que de nature très différente. Pourtant, l’Allemagne sera plus touchée par la crise mondiale que la France en 2009 et les marges de manœuvre budgétaire sont apparemment plus amples. Mais l’approche des élections (automne 2009) grippe la capacité décisionnelle de la Grande coalition et le gouvernement allemand est réticent à abandonner l’agenda politique 2010 qui fait du désendettement public un objectif de moyen terme, au moment même où la politique passée de désinflation compétitive porte ses fruits en termes d’emploi. Le Royaume-Uni a été avec l’Espagne l’un des premiers pays de l’UE à réagir, ce qui ne surprend pas lorsqu’on observe que la remontée du taux de chômage est brutale dans ces deux pays.

Les plans des Pays-Bas mais surtout de l’Italie sont nettement inférieurs aux recommandations de l’UE. Ceci s’explique du côté néerlandais par le cycle immobilier moins déprimé que dans le reste de l’Europe, l’absence de spécialisation automobile de l’industrie, des marges budgétaires (surplus) contraintes par la lourde recapitalisation du secteur financier (Fortis, ING) et la baisse à venir des prix gaz exporté, qui se répercutera sur les recettes fiscales.

Côté italien, le nombre de mesures budgétaires nouvelles est très inférieur aux 80 Mrds annoncés par le gouvernement, lesquels incluent 40 Mrds de fonds européens, 10 à 12 Mrds mis à disposition pour les recapitalisations bancaires, 16 de dépenses d’infrastructures pré-budgétisées et 6 de financement privé. Il ne reste en fait que moins de 6 Mrds de mesures réellement nouvelles, soit 0,4% de PIB. Tandis que l’Italie est affectée par un affaiblissement durable et structurel de l’activité, cette timidité politique s’explique avant tout par les marges à l’endettement public réduites à néant

Si l’on regarde maintenant à quels postes de la demande domestique profiteront les plans de relance, on s’aperçoit que leur diversité ne dissimule pas les priorités. Elles sont données à l’investissement productif et aux dépenses d’infrastructures. Plus de 40 Mrds d’euros seront alloués aux entreprises européennes en 2009. Cette priorité s’explique par l’imminence d’une contraction de l’investissement productif liée à la crise des marchés boursiers et à l’arrêt soudain des commandes manufacturières, bien plus violent que dans le reste de l’Europe. L’Allemagne fait des aides aux entreprises une priorité absolue, ce qui est juste au regard de la rapidité avec laquelle chute le taux d’utilisation des capacités productives et de la dépendance de l’emploi allemand au cycle de l’investissement productif.

Vu le ralentissement de la demande anticipée, il est peu probable que les aides accordées se transforment en investissement. Mais, il faut les replacer dans l’urgence de la situation. Elles servent en fait à donner rapidement des liquidités de trésorerie pour éviter une vague d’insolvabilité, donc de licenciements.

La seconde priorité des plans de relance est assez classique d’une phase de ralentissement : près de 30 milliards d’euros seront dépensés en infrastructures publiques, le double si l’on ajoute les 30 milliards devant être débloqués par l’UE. La France en particulier fait des infrastructures publiques une priorité de la relance, ce qui se conçoit au regard du ralentissement rapide de la construction, une industrie très intensive en main-d’œuvre.

Le soutien du Royaume-Uni à la consommation par un abaissement temporaire de la TVA normale de 17,5 à 15% semble faire exception aux plans de relance européens. Mais cette conclusion serait hâtive. Il faut en effet préciser que la baisse de TVA profite aux entreprises : 1/ si elle n’est pas entièrement répercutée sur les prix à la consommation, ce qui pourrait être le cas ; 2/ en diminuant les avances de TVA, elle allège considérablement la trésorerie des entreprises en milieu et fin de chaîne de production.

Il ne faut pas être surpris du faible soutien apporté à l’investissement logement. La réunification allemande (fiscalité très favorable à l’achat logement) nous rappelle qu’un choc positif de demande dans ce domaine perturbe le marché immobilier pendant de longues années. Les baisses de taux banques centrales sont probablement un accompagnement plus efficace du secteur. Par ailleurs, certains pays ont des stocks conséquents de logements invendus (l’Espagne autour de 1 million). Enfin, les capacités de construction seront déjà bien utilisées aux infrastructures publiques. Soutenir tous les volets du secteur en même temps pourrait être inflationniste.
Pour finir, certains regrettent le manque de soutien à la consommation en dehors du cas britannique. Peut-être un tel soutien serait précipité, dans la mesure où le taux de chômage reste encore historiquement très bas dans l’Union et où les salaires seront toujours bien orientés en 2009 en raison de leur rigidité nominale, à l‘exception du Royaume-Uni.

Il est en revanche souhaitable que le revenu des ménages devienne la priorité des gouvernements européens au tournant 2009-2010, lorsque la crise aura marqué le marché du travail de son empreinte. On sera en droit d’attendre des baisses d’impôt et autres aides conséquentes au revenu des ménages à ce moment.

Regardons maintenant les différents types de mesures mobilisées par les gouvernements européens.

Avant même de se pencher sur le détail, on observe une spécificité de la politique française : les mesures prises pour la relance sont en nombre important, alors que le montant total engagé est similaire aux relances

Mesures prises pour la construction résidentielle : seule l’Allemagne tente d’infléchir la demande, ce qui s’explique par une moindre détérioration des conditions de crédits et des prix. Les mesures récurrentes prises par les autres gouvernements européens sont la réhabilitation de logements (France, Espagne) et les aides aux ménages pour faire face aux charges d’intérêt (France), notamment sur les crédits immobiliers à taux variables (Royaume-Uni, Italie).

Mesures prises pour les infrastructures publiques : le crédit public domine (Allemagne, France, Italie), suivi des dépenses nettes (Allemagne, France, Espagne) avec notamment la réalisation accélérée de projets existants (France, Pays-Bas).

Mesures prises pour l’investissement productif : on trouve de façon récurrente dans les plans de relance l’accélération des règles d’amortissement (Allemagne, France, Pays-Bas), de la flexibilité sur les avances de TVA (France, Italie, Espagne) et le payement accéléré de l’Etat à ses fournisseurs. L’avantage de ces mesures est de redonner très rapidement de la trésorerie aux entreprises sans imputer fortement les budgets publics.

Mesures prises pour la consommation : pour la consommation de biens durables, les aides ciblent le secteur automobile (Allemagne, France). Pour le pouvoir d’achat, c’est-à-dire la consommation de biens non durables, on voit une unanimité au soutien des chômeurs saisonniers et techniques confrontés à l’arrêt soudain des productions industrielles (Allemagne, France, Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas). Comme nous l’avons dit plus haut toutefois, la consommation n’est pas une priorité des plans actuels et les mesures en place sont de faible ampleur.

Toutes ces mesures n’aboutiront à la demande nouvelle. On peut reprocher aux deux mesures phares des plans allemand (15 Mrds de crédits KfW à l’économie) et anglais (15 Mrd de baisse de la TVA) de potentiellement rester lettre morte. Il faut en effet que les PME allemandes souhaitent bénéficier des crédits offerts par la KfW, ce qui n’est pas certain dans un contexte de baisse de la demande anticipée. Que la baisse de TVA se répercute dans les prix ou non est peu important pour les entreprises britanniques (la mesure augmente leur profit soit par le volume soit par le prix après taxe), mais la remontée de l’épargne de précaution pourrait infléchir la consommation. Ces deux mesures font près d’un tiers du plan de relance européen.

Synthèse

Nous avons comparé les plans de relance budgétaires annoncés pour 2009 dans les six premières économies de l’Union Européenne selon les montants mobilisés, les postes bénéficiaires de la demande domestique et les mesures retenues :

• Les montants budgétisés sont nettement inférieurs aux recommandations de l’UE en Italie et aux Pays-Bas. Seule l’Espagne fait résolument plus, mais a épuisé ses ressources budgétaires.

• Priorités sont données à l’investissement productif, c’est-à-dire à la trésorerie d’entreprise, et aux infrastructures publiques. Pendant que l’Allemagne fait du premier point une priorité absolue, la France devrait ouvrir le plus vaste chantier public. Le soutien apporté à l’investissement résidentiel est logiquement faible. La baisse de TVA britannique profite aux liquidités d’entreprise bien avant la consommation.

• Les aides à la consommation sont reléguées au second rang. Mais l’ordre des priorités est cohérent avec la situation conjoncturelle des pays, si le revenu des ménages devient une priorité budgétaire à horizon des douze prochains mois.

• Les mesures retenues par les gouvernements européens sont plurielles mais des récurrences s’observent : réhabilitation de logements et aides aux emprunteurs en difficulté pour la construction résidentielle ; crédit et réalisation accélérée de projets publics existants pour les infrastructures ; amortissement accéléré et flexibilité des avances de TVA pour la trésorerie des entreprises. Pour la consommation en biens durables, les aides publiques ciblent le secteur automobile. Pour la consommation en biens non durables, on ne recense encore que le soutien aux chômeurs saisonniers et techniques.

• Toutes ces mesures n’aboutiront pas à de la demande finale. C’est le reproche principal que l’on peut faire aux mesures phares des plans allemand (crédits KfW aux PME) et anglais (baisse de la TVA) qui représentent pourtant près d’un tiers du plan de relance européen.

  Tableau 1a – Plans de relance européens par type demande favorisée et montants mobilisés (en Mrd EUR)

 

 
Allemagne
France 
R.U. 
Italie 
Espagne 
Pays-Bas 
Total
Construction résidentielle 
1,8 
1,8 
2, 1 
0,3 
0,5 
6,5
 
Infrastructures publiques 
4,6 
10,5 
1,2 
1,4 
8,0 
2,0 
27,7
Investissement productif 
19,5 
10,7 
0,5 
1,2 
7,3 
2,0 
41,3
Conso. en biens durables 
3,5 
1,0 
 
 
1,8
1,6
22,9
Conso. en biens non durables 
0,5 
1,5 
15,0
2,6 
 
0,2 
5,4
Consommation publique 
2,0 
 
1,2
 
0,9 
 
4,1
Total 
31,9 
25,5 
20,0 
5,5 
19,1 
5,8 
107,9

 

Source : Natixis

Tableau 1b – Plans de relance européens par type demande favorisée et montants mobilisés (en point de PIB)

 

 
Allemagne 
France 
R.U. 
Italie 
Espagne
Pays-Bas
total
Construction résidentielle 
0,1 
0,1 
0,1 
0,0 
0,0 
 
0,1
Infrastructures publiques 
0,2 
0,5 
0,1 
0,1 
0,7 
0,4
0,3 
Investissement productif 
0,8 
0,5 
0,1 
0,1 
0,6 
0,4 
0,4
Conso. en biens durables 
0,1 
0,1 
0,0 
 
0,2 
0,3
0,2
Conso. en biens non durables 
0,0 
0,1 
0,9 
0,2 
0,1 
0,0 
0,1
Consommation publique 
 0,1
 
0,1 
 
0,1
 
0,0
Total 
1,3 
1,3 
1,2 
0,4 
1,7
1,0 
1,1 

 

 Source : Natixis