Conseil de Coopération du Golfe : une reprise incertaine en 2010

par Pascal Devaux, économiste chez BNP Paribas

Grâce au soutien des dépenses publiques, les pays du Conseil de Coopération du Golfe échappent à la récession en 2009. Les grands projets d’investissement restent des moteurs importants de l’activité.

L’amélioration des conditions de financement est réelle mais se limite, pour le moment, aux grands groupes et projets d’investissement liés au souverain.

Le risque de crédit a augmenté pour l’ensemble des segments (ménages, immobilier, construction principalement), mais les banques font preuve de solidité grâce au soutien public. Les grands groupes des Emirats Arabes Unis devraient pouvoir faire face à leurs obligations externes à court terme, mais l’impact de la crise en termes d’activité sera plus durable que pour le reste de la zone.

La mise en évidence de problèmes de gouvernance (publique et privée) dans les principaux pays (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis et Koweït) pourrait retarder la reprise de l’activité. 

La forte réduction des flux de pétrodollars1, conjuguée à des conditions de crédit plus difficiles, a affecté l’activité économique des pays du Conseil de Coopération du Golfe (GCC2) en 2009.

La réduction des quotas OPEP décidée fin 2008 entraîne une récession du secteur pétrolier chez les principaux producteurs de la zone (la baisse de la production avoisine 10% en Arabie Saoudite, aux EAU3 et au Koweït). Le Qatar qui, avec Oman n’est pas soumis aux quotas OPEP, est le seul pays qui bénéficie d’une hausse de sa production dans le secteur des hydrocarbures en 2009 grâce à la poursuite du développement de la production gazière. Au-delà de cet impact récessif lié à l’importance du secteur des hydrocarbures dans le PIB (environ 1/3 du PIB en moyenne), l’évolution du secteur non pétrolier ne permet pas de maintenir la croissance économique à un niveau soutenu. Celle-ci devrait être quasi nulle en 2009.

Si, sur les dernières années, la croissance avait paru moins directement corrélée à l’activité pétrolière, et plus dépendante du secteur non pétrolier, le brusque reflux du montant des pétrodollars en 20094 en apporte un démenti. Malgré les efforts de diversification de l’économie, le poids de l’Etat – et donc des pétrodollars – reste déterminant pour l’activité économique. Cependant, l’économie non pétrolière devrait partout connaître une évolution positive en 2009 (environ 3%, hormis aux EAU), essentiellement grâce au soutien gouvernemental. Pour l’ensemble du GCC hors EAU, le rythme des grands projets d’investissement (un moteur important de la croissance) devrait se maintenir à un niveau assez soutenu, puisque seuls 11% des projets seraient retardés ou annulés5. Plus généralement, certains gouvernements ont mis en place des plans de soutien massif à l’activité.

Les émirats en récession

Les émirats, et plus particulièrement Dubaï, sont les plus affectés par la crise. A la dégradation de la conjoncture pétrolière se sont ajoutées les conséquences de l’effondrement du modèle spéculatif de développement mis en place par Dubaï ces dernières années. La croissance basée sur le secteur immobilier (environ 30% du PIB non pétrolier des EAU) et le recours à un endettement élevé (partiellement en devises) n’a pas résisté à l’assèchement des crédits bancaires internationaux et à l’éclatement de la bulle immobilière. Plus d’un tiers des projets (principalement immobiliers) sont actuellement stoppés ou annulés, un nombre important d’expatriés ont quitté le pays6, le crédit bancaire domestique a cessé de progresser, et enfin la relance par la dépense publique a ici un impact moindre, étant donné l’importance du secteur privé dans l’économie. Au total la récession pourrait atteindre 2,6% cette année.

Légère amélioration des conditions de financement

La liquidité bancaire s’est améliorée grâce aux mesures prises par les banques centrales depuis fin 2008 (réduction des taux directeurs, baisse des coefficients de réserves obligatoires, injections de liquidités). Les taux interbancaires saoudiens et koweitiens baissent depuis le début de l’année, suivant l’évolution du LIBOR. Seuls les taux interbancaires des émirats restent sensiblement plus élevés (près de 170 pb) en raison d’une situation économique plus difficile.

Cependant, si la liquidité bancaire s’est détendue, l’accès au crédit reste relativement difficile pour les entreprises locales.

D’une manière générale, les primes de risque sur les entreprises se sont significativement réduites. Toutefois, les banques locales et étrangères mènent des politiques de crédit plus sélectives qu’auparavant. La volonté de réduction des niveaux d’endettement, la hausse des créances douteuses et les conséquences de la faillite des conglomérats Saad Group et Al-Gosaibi sur le climat des affaires amènent les banques à privilégier la restauration de leur bilan. L’activité des banques se concentre sur des contreparties de la sphère gouvernementale et le financement des grands projets. Pour les entreprises hors du giron public, la situation reste donc difficile, particulièrement pour les PME.

Par ailleurs, on constate le dynamisme des émissions obligataires depuis le début de l’année. Durant le premier semestre 2009, les émissions obligataires (conventionnelle et islamique) ont augmenté de 37% par rapport à la même période de 2008 pour atteindre 18,4 mds d’USD. La majeure partie des émetteurs est liée aux gouvernements. Environ 40% des émissions concernent des contreparties émiraties. 

Incertitudes sur les Emirats

Le soutien d’Abu-Dhabi et l’appétit du marché pour les émissions obligataires ont permis à Dubaï7 de faire face à ses obligations externes en 2009, le besoin de refinancement s’élevant à environ USD 10 mds. Cependant, des incertitudes demeurent sur le refinancement des grands groupes de Dubaï (principalement dans le secteur de la promotion immobilière) pour les deux années à venir.

Les besoins de refinancement externes sont de USD 13 et 19 mds en 2010 et 2011 respectivement. Ces obligations devraient être honorées, notamment grâce au soutien financier d’Abu-Dhabi qui dispose de moyens considérables. Cependant, le processus accéléré de croissance de Dubaï, basé sur un financement de court terme et un retour rapide sur investissement, devra être remis en question.

Situation contrastée du secteur bancaire

En raison d’une intégration assez limitée aux marchés financiers internationaux, les banques du Golfe ont été directement peu impactées par la crise financière internationale. Cependant, le risque de crédit a augmenté sensiblement sur la période récente pour un certain nombre de raisons. L’éclatement de la bulle immobilière (les corrections de prix dépassent 50% dans certains segments) affecte de nombreuses banques, principalement aux émirats, étant donné l’importance du secteur dans l’économie locale. Pour les EAU, l’exposition directe au secteur immobilier est d’environ 20% des prêts, auxquels il faudrait ajouter les prêts personnels affectés à ce secteur ainsi que l’exposition au secteur de la construction (15% des prêts). Au Koweït, la surexposition, tant géographique que sectorielle, des fonds d’investissements au risque sur les marchés d’actifs aura des répercussions négatives sur la qualité du portefeuille des banques locales. Ces dernières étant exposées aussi au risque immobilier et au secteur de la construction. Par ailleurs, la hausse du chômage parmi les expatriés devrait accroître le niveau des impayés. Enfin, la faillite des conglomérats Saad Group et Al-Gosaibi aura un impact non négligeable sur l’ensemble des banques de la région, plus particulièrement en Arabie Saoudite et aux EAU.

Soutien public au secteur bancaire

Malgré la hausse sensible du risque de crédit attendue en 2009, les fondamentaux du secteur restent bons, et le soutien gouvernemental est important. Parallèlement à l’amélioration de la liquidité bancaire, la position extérieure des banques revient plus franchement en territoire positif depuis mars 2009. Les banques des EAU restent débitrices vis-à-vis de l’extérieur (pour environ USD 20 mds), mais leur endettement tend à se résorber depuis décembre 2007. Il est important de noter que les liens capitalistiques des banques avec les gouvernements sont importants, et que le soutien des autorités au secteur bancaire est fort (notamment via la recapitalisation des banques). Les avoirs accumulés grâce aux revenus pétroliers couvrent largement l’ensemble des actifs bancaires de la zone. Les avoirs extérieurs de l’ensemble des pays du GCC (officiel et secteur financier) représentent environ 150% des actifs totaux des banques du GCC (chiffres 2007). Par ailleurs, la distinction doit être faite entre, d’une part, une poignée de banques qui dominent leur marché local et qui, en raison de leur taille, bénéficient de leur participation aux grands projets de développement et, d’autre part, les nombreuses autres banques de plus petite taille qui, plus orientées vers le marché des particuliers et des entreprises de taille intermédiaire, auront à faire face à une hausse sensible de leurs créances douteuses.

Incertitudes sur la reprise à court terme

Deux éléments devraient soutenir l’activité en 2010 (nous prévoyons une croissance du PIB de 4,5% environ pour l’ensemble de la zone) : la hausse des prix du pétrole (78 USD/b attendus pour le Brent en moyenne pour 2010) et, dans une moindre mesure, l’activité économique soutenue en Asie (une zone d’échange importante pour le GCC) en 2009 et qui devrait se poursuivre en 2010.

Cependant, des incertitudes demeurent et pourraient freiner la reprise de l’activité économique, au moins à court terme. La crise a mis en évidence un certain nombre de failles en matière de gouvernance : manque de transparence dans les comptes publics et privés, et faiblesse dans la régulation de certains secteurs. Par conséquent, la confiance des investisseurs étrangers pourrait tarder à revenir.

NOTES

  1. Le baril de Brent devrait atteindre en moyenne USD 60 en 2009 contre USD 99 en 2008.
  2. GCC : Gulf Cooperation Council.
  3. EAU : Emirats Arabes Unis.
  4. Pour l’ensemble des pays du GCC, le surplus courant (qui est un proxy de la manne pétrolière) devrait être divisé par 4,5 en 2009 par rapport à la moyenne des surplus des années précédentes.
  5. L’assèchement des financements bancaires internationaux est un élément important du ralentissement des investissements.
  6. La baisse de population de Dubaï pourrait atteindre 10% en 2009.
  7. L’endettement externe de Dubaï se situe entre USD 80 et 100 mds en 2009, soit environ 100% du PIB de Dubaï.

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