Croissance en zone euro : sauter pour mieux reculer ?

par Jean-Christophe Caffet et Cédric Thellier, économistes chez Natixis

Tirée par le rebond du couple franco-allemand, la croissance du PIB en zone euro a surpris à la hausse au T2 2009 (-0,1% T/T contre -0,5% attendu par le Consensus). Au niveau agrégé, l’économie européenne devrait sortir de récession au troisième trimestre.

Pas de triomphalisme pour autant, car cette « bonne surprise » n’est pas synonyme de reprise durable, loin s’en faut. Passé l’effet temporaire des plans de relance, la demande interne comme externe ne sera pas en mesure de prendre le relais et une nouvelle entrée en récession n’est pas exclue courant 2010.

Un deuxième trimestre meilleur qu’attendu…

Les chiffres de croissance publiés hier ont confirmé le très net ralentissement de la contraction de l’activité en zone euro entre mars et juin. Le PIB a en effet reculé de 0,1% T/T, contre -0,5% attendu par le Consensus. La croissance s’affiche désormais à -4,6% en glissement annuel. Cette bonne surprise concerne l’ensemble des grands pays de la zone, avec toutefois une certaine hétérogénéité : si la France et l’Allemagne sortent de la récession (+0,3% T/T), l’Italie (-0,5% T/T) et l’Espagne (-1% T/T) enregistrent respectivement leur 5ème et 4ème trimestre consécutif de recul du PIB.

Le détail des comptes de l’Union sera publié le 2 septembre. Au regard des données dures disponibles dans l’ensemble des pays au T2, il apparaît néanmoins :

  • Une reprise de la consommation privée, à la faveur des soutiens budgétaires mis en place, en particulier envers le secteur automobile avec la « prime à la casse ». Au total, la consommation des ménages devrait contribuer positivement à la croissance, à hauteur de 0,1 point T/T contre -0,3 pt lors des deux trimestres précédents.
  • Un recul moins prononcé de l’investissement total, avec une contribution de l’ordre de -0,5 pt au T2 contre -0,9 pt lors des deux trimestres précédents.
  • Une poursuite du mouvement de déstockage des entreprises européennes, dans une moindre mesure toutefois (contribution négative proche de 0,2 point) comparativement au T1 (-0,9 pt). 
  • Enfin, après trois trimestres négatifs, la contribution du commerce extérieur devrait redevenir significativement positive, de l’ordre de 0,5 pt, à la faveur d’un recul des importations plus prononcé que celui des exportations (voir plus loin pour le cas de la France).

… et à court / moyen terme ?

L’effet des plans de relance est plus précoce qu’anticipé et cette surprise sur le PIB européen est sans doute une bonne nouvelle. En conséquence, nous révisons à la hausse notre prévision de croissance pour 2009, de -4,2% à -4%.

Néanmoins, le risque que nous signalons depuis quelque temps concernant le contrecoup des plans de relance (dont l’essentiel des mesures a été mis en place au deuxième trimestre) pourrait être lui aussi anticipé : l’essoufflement du soutien budgétaire pourrait alors déboucher sur une croissance plus modeste que prévu initialement lors du dernier trimestre 2009 et ainsi peser mécaniquement sur l’acquis de croissance pour 2010.

En effet, compte tenu de la dégradation des finances publiques européennes déjà engagée (déficit public agrégé approchant 7 % du PIB en 2010 et dette publique à 85%) et afin de limiter les menaces sur leur soutenabilité, l’éventualité de nouveaux plans de relance semble exclue1.

Or, une fois épuisés les stimuli budgétaires et a fortiori dans un contexte de désendettement des agents, le secteur privé ne pourra constituer un relais de croissance : d’une part, la consommation des ménages devrait durablement pâtir de la montée du chômage (+2 points d’ici fin 2010), de la pression à la baisse sur les revenus à la fois en termes nominaux et réels, de la remontée du taux d’épargne pour motif de précaution voire de comportements ricardiens. Du côté des entreprises, les faibles perspectives de débouchés ainsi que le niveau historiquement bas du taux d’utilisation des capacités de production plaident pour un investissement productif durablement atone.

En outre, le redémarrage du commerce mondial pourrait être moins vigoureux que prévu dans la mesure où la demande intérieure des émergents, en particulier en Chine, semble davantage satisfaite par la production domestique et moins par les importations que durant le cycle précédent.

A moyen terme donc, une nouvelle entrée en récession de l’économie européenne ne peut être exclue courant 2010. Nous tablons sur une croissance annuelle nulle, avec un scénario invalidant le profil traditionnel de sortie de crise, en V. Une reprise durable de la croissance en zone euro ne se fera pas avant 2011, au mieux.

France : sortie de récession

La France est le seul Etat-membre de l’Union publiant le détail de ses comptes nationaux en première estimation. A cet égard, les chiffres de l’Insee montrent que la sortie de récession de l’économie française (+0,3% T/T ; -2,6% en GA) est très étroitement (et paradoxalement) liée à son traditionnel point faible : le commerce extérieur.

Dans le détail :

  • La consommation des ménages résiste (+0,3% T/T, +0.7% en GA). La désinflation et les dispositifs de soutien des dépenses adoptés fin 2008 / début 2009 expliquent la relative robustesse de la consommation privée au début de l’année. Ce moteur est toutefois appelé à s’essouffler à partir du T3 (désinflation énergétique parvenue à son terme, contraction du revenu disponible, désendettement …).
  • La formation brute de capital fixe continue de se contracter, mais à un rythme bien inférieur à celui observé depuis la fin 2008 (-1,0% T/T, après -2,5% et – 2,6% au T4 2008 et T1 2009). L’investissement productif ne recule en effet "que" de 1,8% T/T (-0,9% pour l’investissement logement) tandis que l’investissement des administrations publiques se stabilise (+0,1% T/T) après cinq trimestres consécutifs de baisse. 
  • Les exportations augmentent de 1% T/T, un chiffre relativement surprenant au regard des données de balance commerciale publiées mensuellement (voir plus loin). Les importations reculent pour leur part assez nettement (-2,3% T/T) ce qui peut aussi paraître étonnant vu la relative résistance de la consommation privée et le rebond des exportations observé sur le trimestre. Au final le commerce extérieur contribue à hauteur de +0,9 pt de PIB à la croissance, du jamais vu depuis plus de 25 ans.
  • Dans un contexte de reprise modérée de la production, et parallèlement à la bonne tenue de la consommation et à la très bonne performance extérieure, les variations de stocks contribuent de nouveau très négativement à la croissance (-0,6 pt de PIB).

Une sortie de récession en trompe l’œil ?

Les chiffres publiés pour la France – qui nous semblent pouvoir être transposables, au moins pour partie, aux autres pays de la zone euro – sont-ils si rassurants ? La bonne tenue de la consommation privée et le rebond inattendu des exportations ne s’expliquent-ils pas essentiellement par les fortes baisses de prix observées sur le marché intérieur français et sur les marchés d’exportations ? Dit autrement, les chiffres apparemment rassurants lorsqu’ils sont exprimés en volume ne recouvrent-ils pas une réalité moins favorable, à savoir le renforcement des pressions déflationnistes ?

Si la baisse des prix à l’exportation s’explique pour partie par celle des prix à la production, en lien avec la baisse des prix d’importations observée depuis T4 2008 (pétrole et matières premières), elle trouve également son origine dans les baisses de prix très substantielles pratiquées sur les produits manufacturés finaux (déstockage), notamment dans le secteur automobile. Dans la mesure où les salaires restent relativement rigides à la baisse, une telle évolution, si elle devait se poursuivre, participerait d’un affaiblissement significatif des marges des entreprises, déjà très affaiblies dans le cas français, donc de leur capacité d’autofinancement, donc de l’investissement et/ou de l’emploi.

Si nous continuons d’exclure l’hypothèse de déflation dans notre scénario central (ampleur de l’intervention des autorités budgétaires et monétaires, soutenabilité de l’endettement des ménages européens, reprise du crédit dans certains Etats- membres…), le risque reste néanmoins non négligeable, comme le montre la très forte baisse des anticipations de prix des ménages – particulièrement adaptatives il est vrai – ces derniers mois.

NOTES

  1. Pour plus de détails, voir la Note Mensuelle de juillet 2009.

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