Début de normalisation sur les marchés monétaires en zone euro

par Chantana Sam, stratégiste chez Axa IM

  • La hausse récente des taux interbancaires est due à une forte baisse des excès de liquidité. Les banques périphériques sont moins dépendantes du financement de la BCE.
  • Mais les indicateurs de stress restent à des niveaux élevés et certaines banques continuent à faire face à des difficultés de refinancement.
  • L’implémentation de la stratégie de sortie de la BCE est probablement encore lointaine.

 

Les taux interbancaires se sont tendus de manière significative depuis fin septembre. En effet, le taux EONIA, qui évoluait autour de 40-45 pdb en septembre, se trouve maintenant autour de 75pdb. Cet écartement a impacté toute la courbe OIS qui s’est alors aplatie (depuis le 28 sept, les OIS 3M et 12M se sont écartés respectivement de 23 et 20pdb), ce qui a entraîné une hausse des taux interbancaires sur toutes les maturités. L’Euribor et le Libor EUR à 3 mois sont remontés respectivement de 13 et 11,5pdb. Les deux taux sont maintenant très proches du taux refi que la BCE maintient à 1% depuis mai 2009.

Dans cette note, nous décrivons les facteurs de cette récente hausse des taux interbancaires et discutons s’il faut y voir un signal de politique monétaire.

Une forte baisse des excès de liquidités

La récente hausse des taux interbancaires coïncide avec une forte baisse des excès de liquidité dans le système bancaire. En effet, l’analyse des données des opérations de refinancement de la BCE1 permet de conclure à une diminution des excès de liquidités d’environ 79mdsEUR à la fin septembre. Plus précisément, entre le 28 et le 30 septembre, le montant total des opérations arrivant à expiration s’élevait à 379mdsEUR2, à comparer à un total de 300mdsEUR en nouvelles opérations3. Cette diminution intervient à la fin d’un trimestre où le volume d’activité sur le marché EONIA a fortement augmenté.

La hausse de l’activité sur le marché interbancaire vient probablement de banques qui étaient forcées d’emprunter à la BCE auparavant. En effet, le sentiment sur les financières s’est amélioré récemment grâce à la plus grande transparence apportée par les tests de résistance européens (notamment au niveau des expositions aux souverains) et à un meilleur sentiment général sur les souverains après plusieurs placements de dette réussis durant l’été. Les banques sont ainsi plus enclines à se prêter de l’argent entre elles, ce qui a probablement permis aux banques périphériques les plus solides (notamment espagnoles) et à de plus faibles banques core d’avoir à nouveau accès au marché EONIA où elles peuvent se financer à des taux inférieurs au 1% des opérations de la BCE. 

Mécaniquement, cette plus forte activité entraîne une hausse des taux interbancaires. Les chiffres fournis par les banques centrales périphériques sur les montants d’emprunt de leurs banques à la BCE semblent confirmer cette normalisation. Les emprunts des banques espagnoles à la BCE ont atteint 97,7mdsEUR en septembre, soit une baisse de 11% par rapport à août. Les banques grecques ont emprunté 94,3mdsEUR en septembre (contre 96,1mdsEUR en août) alors que les emprunts des banques portugaises ont baissé de 19% (pour atteindre environ 40mdsEUR).

Est-ce un signal de politique monétaire ?

Le président Trichet expliquait en début de mois que les marchés avaient raison de voir la baisse des excès de liquidité comme une preuve de normalisation progressive et qu’il ne fallait pas y voir un signal de politique monétaire. En effet, il soulignait que ce sont les banques elles-mêmes qui avaient décidé de moins emprunter à la BCE dans un environnement où la liquidité est toujours disponible de manière illimitée par l’intermédiaire des MRO et des LTRO à 3 mois. La période de liquidité illimitée, disponible pour l’instant jusqu’à la fin de l’année, sera prolongée aussi longtemps que nécessaire.

Cependant, il est intéressant de noter que la BCE a déjà commencé à durcir sa politique monétaire. Ainsi, la liquidité illimitée n’est disponible que pour un horizon de 3 mois au maximum, les opérations à plus long terme (six mois et un an) ayant déjà été arrêtées. La BCE a par ailleurs récemment adopté des règles de collatéral plus strictes. Par exemple, seuls les ABS émis dans la zone économique européenne4 sont maintenant éligibles et les ABS sur swaps et titres synthétiques sont à présent exclus. En outre, la BCE s’est donnée plus de discrétion pour rejeter certains types de collatéral ou bien pour introduire de nouveaux haircuts sur des actifs ou des contreparties spécifiques. Ces mesures soulignent les inquiétudes de la BCE vis-à-vis de la qualité de son bilan.

Certains membres de la BCE semblent également inquiets du timing de la stratégie de sortie. Axel Weber, le président de la Bundesbank, expliquait la semaine dernière que le risque d’une sortie trop tardive des mesures d’urgence était plus grand que celui d’un retrait trop anticipé et militait ainsi pour une fin du programme d’achats d’obligations. M. Trichet a rejeté cet appel en expliquant que ce n’était pas la position du Conseil des gouverneurs et qu’il faisait toujours sens d’utiliser le programme comme un filet de sécurité. Tous ces signaux contradictoires soulignent l’ambivalence de la BCE vis-à-vis de sa politique de normalisation. Cette attitude contraste avec celle de la Fed qui est sur le point de s’embarquer pour un deuxième tour d’assouplissement quantitatif. Cette divergence est la source de la force récente de l’euro par rapport au dollar.

La stratégie de sortie de la BCE est encore loin

Malgré l’ambivalence de la BCE sur sa stratégie de sortie, il nous semble que celle-ci est encore loin de pouvoir être implémentée. En effet, même si les marchés monétaires ont commencé à se normaliser, certains indicateurs de stress restent à des niveaux élevés.

Le premier graphique montre que le spread entre l’Euribor et l’OIS à 3 mois, une prime de risque de terme, s’est récemment resserré pour atteindre 22pdb, soit 8pdb plus bas que le niveau de début d’année. Cependant, cela reste un niveau historiquement élevé5. Un autre signe de stress sur les banques est le haut niveau des swap spreads courts (une mesure de la qualité moyenne des banques fixant l’Euribor). La structure par terme des swap spreads reste fortement inversée et le niveau du swap spread à 2 ans (environ 60pdb) demeure élevé d’un point de vue historique6 malgré une baisse de 20pdb sur le dernier trimestre. Par ailleurs, le spread entre l’Euribor et l’EUR Libor à 3 mois est actuellement à 6,4pdb, ce qui reste proche des plus hauts historiques. Ce spread peut être considéré comme un proxy des difficultés de refinancement des banques périphériques car ces dernières sont beaucoup plus représentées dans le panel fixant l’Euribor7 que dans le panel du Libor qui n’en contient aucune. Il semble donc que les banques périphériques continuent à faire face à de grandes difficultés pour se refinancer.

Même si les banques espagnoles, portugaises et grecques ont récemment diminué leurs emprunts à la BCE, elles restent très dépendantes de la liquidité fournie par la banque centrale. Par ailleurs, le sentiment sur ces banques reste fragile et leurs conditions d’accès au marché peuvent rapidement se détériorer. Ainsi, l’Irlande ayant été récemment la principale source d’inquiétude, il n’est pas étonnant de voir que, contrairement aux autres banques de la périphérie, les emprunts des banques irlandaises ont augmenté en septembre (119,1mdsEUR) par rapport en août (95,1mdsEUR). En raison de ces difficultés, il sera compliqué pour la BCE de stopper ses opérations de liquidité illimitée au début de l’année 2011. Le futur du programme d’achat d’obligations est plus incertain car, depuis sa création, son utilisation a été assez irrégulière. Cependant, tant que le risque souverain restera une source de préoccupation pour les investisseurs, la BCE préférera sans doute garder toutes ses options ouvertes. 

Conclusions

La récente convergence des taux interbancaires vers le taux refi de la BCE peut être considérée comme un signe de normalisation. En effet, la récente amélioration du sentiment sur les banques, notamment périphériques, a permis à celles-ci de réduire leur dépendance vis-à-vis de la BCE et le montant d’excès de liquidité dans le système bancaire a donc chuté. Cependant, plusieurs indicateurs de stress restent à des niveaux élevés, suggérant que pour certaines banques, les difficultés de refinancement restent fortes. Malgré une certaine ambivalence de la BCE vis-à-vis de sa politique de normalisation, il est donc sans doute trop tôt pour envisager de mettre fin aux mesures exceptionnelles.

NOTES

  1. Main Refinancing Operations (MRO) et Longer-Term Refinancing Operations (LTRO
  2. Notamment 154mdsEUR au MRO, 132mdsEUR au LTRO à 3 mois et75mdsEUR au LTRO à 1an.
  3. Notamment 166mdsEUR au MRO, 140mdsEUR au LTRO à 3mois et 30mdsEUR sur une opération de régularisation à 6 jours.
  4. Les 27 pays de l’union européenne ainsi que l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein.
  5. La moyenne pré-crise est d’environ 6pdb.
  6. La moyenne pré-crise est d’environ 20pdb.
  7. Parmi les 42 institutions bancaires européennes du panel, on retrouve quatre espagnoles, deux irlandaises, une portugaise et une grecque.