Des marchés sous perfusion

Des marchés d’actions qui plongent, des taux d’intérêt des obligations d’Etat qui montent : la perspective d’une politique monétaire moins accommodante de la Réserve fédérale a provoqué une panique chez les investisseurs qui donnent l’impression de préférer vivre sous perfusion plutôt que de voir les signes d’amélioration de l’économie américaine.

Il faut se pencher sur les déclarations du président de la Fed, Ben Bernanke, le 19 juin : si l’activité continue de se redresser, la banque centrale pourrait commencer à réduire ses rachats d’obligations du Trésor avant la fin de cette année ; la politique d’« assouplissement quantitatif » pourrait être abandonné « d’ici le milieu de l’année prochaine ».
 
Le ton est prudent. Selon Bernanke, la Fed n’a pas pré-déterminé sa politique monétaire et continuera à observer les mouvements de l’économie ; elle maintiendra sa politique de taux zéro tant que le taux de chômage ne sera pas redescendu sous les 6,5% (7,6% en mai).
 
La Fed pense que la croissance s'établira entre 2,3 et 2,6 % en 2013 (prévision de 2,3%-2,8% en mars) et entre 3% et 3,5% en 2014 (précédente fourchette de 2,9%-3,4%). « Les fondamentaux de l'économie ont l'air d'aller mieux, la construction en particulier crée des emplois… Les États et les collectivités locales ne suppriment plus d'emplois, les conditions sur les marchés sont meilleures », selon le président de la Fed.
 
Bref, les Etats-Unis ne sont peut-être pas encore sortis d’affaire mais la situation est en voie d’amélioration : l’inflation est sous contrôle, les indices avancés d’emplois sont au plus haut, l’immobilier se redresse, le crédit à la consommation commence à repartir. 
 
Mais, les marchés financiers jugent qu’il reste beaucoup d’incertitudes. L’investissement reste en retard et les entreprises américaines préfèrent racheter leurs propres actions plutôt que de dépenser pour créer des unités de production et, partant, pour créer des emplois.
 
Pour Christophe Morel, Chef économiste de Groupama AM, « la boucle ‘investissement/emploi/revenu disponible/consommation’ assurerait une croissance autonome ». Or, les perspectives à six mois des enquêtes de conjoncture ne signalent pas à ce stade une accélération de l’investissement. 
 
Dans ce contexte, comme l’explique Philippe Delienne, président de Convictions AM, même s’ils anticipaient un processus de « renormalisation » de la part de la Fed, « les marchés ont été surpris par le timing ». D’autant que, la banque centrale américaine a été régulièrement prise en excès d’optimisme sur ses prévisions de croissance ces dernières années, rappelle Alexandre Hezez, responsable des investissements dans la même société de gestion.
 
Il n’en reste pas moins que les marchés financiers donnent l’impression de voir tout en noir. Certes l’Europe ne sait absolument pas comment régler ses gigantesques défis, au premier rang desquels la relance de l’activité. Mais les Etats-Unis actionnent tous les outils pour favoriser la croissance. Quant au Japon, qui vient de traverser 20 ans de déflation, il a décidé de mener une politique expansionniste d’une ampleur exceptionnelle.
 
Bien entendu, personne ne peut prédire que les Etats-Unis vont rapidement oublier la crise ou que le Japon parviendra à « normaliser » son économie. Certains investisseurs font le pari d’une amélioration, comme le montre l’évolution des indices boursiers américains et japonais.
 
La décision de la Fed d’adopter une politique monétaire qui fluctuera en fonction des données économiques va créer évidemment des incertitudes au cours des prochains mois et à la moindre déconvenue macro-économique les taux d’intérêt pourront de nouveau monter tandis que les marchés d’actions plongeront. C’est ce qui explique la nervosité actuelle. 
 
Mais, on peut créditer la Fed et la Banque du Japon d’accepter de prendre des risques pour faire bouger les choses et soutenir la croissance. A tout prendre, c’est une option courageuse et sans doute plus payante sur le moyen et long terme que la timidité de la Banque centrale européenne (BCE), qui agit uniquement en mode réactif. Elle risque ainsi de devoir intervenir prochainement si les taux des pays périphériques remontent face à la dégradation de la situation économique.