Dette d’infrastructure : des perspectives mondiales

par Darryl Murphy, Directeur de la dette infrastructure chez Aviva Investors

La dette d’infrastructure, comme de nombreuses autres classes d’actifs ces dernières années, n’a pas échappé à la quête incessante de rendement des investisseurs. De fait, lorsqu’il s’agit de rechercher de la valeur sur le marché, il est préférable d’avoir accès à des opportunités aux niveaux national et international.

Heureusement pour les investisseurs, le nombre de transactions est resté élevé, le marché mondial de la dette d’infrastructure totalisant environ 282 milliards de dollars [1] l’année dernière – une légère augmentation par rapport à 2016. Bien que le boom promis de l’administration Trump ait été jusqu’à présent plus illusoire que réel – nous en reparlerons – les États-Unis ont encore livré 52 milliards de dollars d’opérations en 2017, soit nettement plus que tout autre marché, et un chiffre proche du total de l’Europe continentale.

En dépit des incertitudes associées au Brexit, le Royaume-Uni a été la deuxième source d’activité avec 34 milliards de dollars d’opérations ; juste devant l’Australie, qui a continué à démontrer sa capacité à dégager un marché de 30 milliards de dollars chaque année.

Globalement, les volumes ont été principalement soutenus par l’activité continue des Fusions & Acquisitions, les refinancements et la poursuite de la hausse des énergies renouvelables. L'une des déceptions les plus notables a été la réduction des activités ‘‘greenfield’’.

À quoi pouvons-nous donc nous attendre en 2018 ?

Suite à ses récentes prévisions concernant la dette d’infrastructure au Royaume-Uni, Darryl Murphy, responsable de la dette d’infrastructure chez Aviva Investors, nous livre certains des thèmes clés qui pourraient, selon lui, caractériser le marché mondial cette année.

Europe du Nord-Ouest : la même trajectoire

L'activité devrait rester cohérente dans toute l'Europe. Si les conditions demeurent attrayantes pour les emprunteurs, l’accent sera mis en particulier sur le refinancement des transactions réalisées dans le contexte de la crise financière mondiale et de la crise de la dette souveraine en Europe, où les écarts de taux étaient beaucoup plus importants.

Les nouvelles activités ont stagné, peu de pays ont un pipeline profond de transactions de partenariat public-privé (PPP). L’activité PPP a été poussée par les Pays-Bas, où quelques transactions restent à conclure en 2018. Les volumes de transactions devraient être modestes en 2018, il existe toutefois quelques signes indiquant que de nouveaux projets PPP devraient voir le jour : les gouvernements français et irlandais ont émis des signaux forts sur de nouveaux projets ; des routes allemandes sont en préparation et un programme routier ambitieux occupe la Norvège.

L’activité M&A reste soutenue en Europe, même si l’ampleur des infrastructures privées n’est pas aussi importante qu’au Royaume-Uni. Les énergies renouvelables seront probablement le principal moteur de croissance, en particulier l’éolien offshore, avec des opportunités de construction en France et aux Pays-Bas, ainsi que des refinancements en Europe du Nord et en Allemagne.

La plus grande inconnue porte sur le sort des conditions d'emprunt, la Banque Centrale Européenne (BCE) commençant à réduire son programme d'assouplissement quantitatif. Ce n’est certainement pas une coïncidence si les banques commerciales ont continué à prêter agressivement pendant la période de liquidité de la BCE : cela pourrait rapidement changer lorsque la BCE commencera à se retirer progressivement.

Le retour de l’Europe du Sud ?

L'Europe du Sud, un marché qui a été fermé pendant plusieurs années, est surveillé de près par les investisseurs en quête de valeur. L'Espagne, l’Italie et le Portugal sont les trois pays dont l’activité devrait être les plus soutenue.

L’annonce d’un nouveau programme routier de 5 milliards d’euros en Espagne est un développement qu’il convient de noter, un écho de l’époque heureuse du milieu des années 2000, lorsque le PPP était largement utilisé en Europe. Si les prix pratiqués dans le sud de l’Europe reflètent une certaine prudence de la part des investisseurs, de tels programmes – ainsi que le pouvoir de négociation commerciale que possèdent les grands constructeurs sur les banques locales – pourraient conduire à une convergence des valorisations vers celles de l'Europe du Nord-Ouest.

Canada et Australie : des pays qui ont fait leurs preuves

En dehors de l’Europe, le Canada et l’Australie continuent de montrer la voie, avec des transactions totalisant respectivement 11 milliards de dollars et 30 milliards de dollars en 2017. Tous deux offrent un éventail de possibilités dans les secteurs des transports et de l'énergie, les énergies renouvelables jouant à nouveau un rôle de premier plan.

Le modèle PPP est actif dans les deux pays, ainsi qu’un programme de privatisation plus large dans la plupart des États australiens, qui offre une gamme diversifiée d’opportunités. Tandis que les prix des ressources naturelles restent en berne et que les investissements dans l’exploitation minière ont reculé, d’importants financements se poursuivent dans les secteurs du pétrole, du gaz et du GNL (Gaz Naturel Liquéfié) en Australie.

Un effet Trump surestimé

Alors que les investisseurs peuvent considérer les États-Unis comme une source de richesses inexploitée, nombreux sont ceux qui négligent le fait qu'ils restent le plus grand marché au monde avec plus de 50 milliards de dollars d'activités liées à la dette d'infrastructure en 2017. Une caractéristique intéressante est l’absence de « méga-contrats », qui peuvent être significatifs ailleurs, mais le volume des transactions est important avec 149 opérations.

L’énergie classique demeure le secteur le plus important avec près de 30 milliards de dollars d’opérations réalisées en 2017, tandis que les énergies renouvelables ont rapporté 14 milliards de dollars. Malgré l’importance historique du transport, celui-ci n’a rapporté que 6 milliards de dollars d’activité l’année dernière. Cela montre que les investisseurs qui cherchent à se développer aux États-Unis doivent regarder au-delà des secteurs des transports et de l'énergie.

En ce qui concerne l’avenir, si le président Donald Trump fournit une fraction de l’infrastructure dont les États-Unis ont besoin, la donne pourrait être changée pour les investisseurs. Les États-Unis sont confrontés à un énorme défi en ce qui concerne la modernisation et le remplacement des infrastructures vieillissantes, en particulier dans le secteur des transports, qui a connu des années de sous-investissement.

Le modèle PPP a été utilisé dans les secteurs routier et ferroviaire, mais la croissance accrue de l’infrastructure sociale, notamment les écoles, les hôpitaux et les édifices gouvernementaux, s’est enlisée en comparaison avec le Canada, où le modèle est bien établi.

Malgré un intérêt marqué des investisseurs européens, la possibilité d’un pipeline durable aux États-Unis reste floue. Les choses sont compliquées par le fait que l'infrastructure est mise à disposition au niveau des États et des municipalités, avec peu de soutien ou de contrôle à un niveau central.

Amérique latine : l’axe émergent

Les investisseurs en Amérique du Nord, qui se sentent frustrés par l’absence relative de PPP et de dossiers dans le secteur des transports, se tournent de plus en plus vers le Sud. En 2017, le Mexique était le sixième marché mondial de titres d’emprunt pour l’infrastructure en termes de taille, avec 12,5 milliards de dollars d'opérations, tandis que le Pérou, la Colombie et le Chili affichaient une activité encourageante, notamment grâce aux PPP dans le secteur des transports et à la présence d'entrepreneurs et d'investisseurs européens.

Il semble que ces marchés ne devraient plus être considérés comme émergents, un certain nombre d'opérations ayant été vendues à des investisseurs internationaux sur la base de structures financières solides. L'Argentine continue de proposer un mélange de projets d'énergies renouvelables et d'électricité, tandis que le Brésil s'est remis de ses très nombreux investissements avec plus de 9 milliards de dollars de transactions en 2017, principalement dans le secteur des énergies renouvelables.

Moyen-Orient, Asie et Afrique

Historiquement, le Moyen-Orient a été un moteur du financement de projets grâce à un approvisionnement régulier de grands projets sur le secteur de l’énergie. Un ralentissement généralisé de l’investissement a réduit le volume des transactions, mais le thème des énergies renouvelables a façonné le marché des infrastructures. L’année dernière, nous avons vu des projets solaires en Égypte, en Jordanie et aux Émirats Arabes Unis, tandis qu’il existe des projets ambitieux pour le secteur en Arabie Saoudite.

L’activité en Asie reste difficile pour les investisseurs, étant donné la forte fragmentation de la région. Les véritables moteurs d'investissement dans les infrastructures restent la Chine et l'Inde, bien que ces deux pays n'aient fourni qu'une activité limitée de financement privé en 2017 (1 milliard et 3 milliards de dollars respectivement). Ces marchés restent hors de portée pour la grande majorité des investisseurs européens, avec un rôle limité pour les capitaux véritablement privés.

L'Afrique a livré près de 10 milliards de dollars d’opérations en 2017, dont 4,7 milliards de dollars avec l’accord GNL Coral South au Mozambique. Historiquement, le marché a toujours été tributaire des banques multilatérales et de développement pour fournir des financements, mais les investisseurs en actions commencent à se tourner vers l’Afrique subsaharienne. Sur ce constat, nous pourrions à l’avenir voir les investisseurs européens de dette infrastructure s’intéresser davantage à l’Afrique, ce n’est qu’une question de temps.

Les besoins en infrastructures sont bien réels et la croissance économique escomptée en Afrique, conjuguée à la progression de la croissance démographique et de l’urbanisation, devrait engendrer une forte demande d’infrastructures durant les prochaines décennies. Le défi pour les investisseurs européens sera de faire confiance aux marchés locaux, qui dépendent de la stabilité politique à long terme sur l’ensemble du continent.

NOTES

  1. Source : Infranews, au 29 décembre 2017