Dette émergente : un enthousiasme non dissimulé

par Blaise Antin, économiste chez Amundi Asset Management

Le relèvement de la note souveraine de la Turquie à Ba2 par Moody’s restera un événement historique pour la dette des marchés émergents. Et l’un des principaux indices de référence utilisés par les investisseurs (le JP Morgan Emerging Markets Bond Index – Global Diversified) appartient désormais à la catégorie investment grade (Baa3). Ces dernières années, les investisseurs ont de plus en plus considéré la dette des marchés émergents comme une classe d’actifs de qualité, l’écart de crédit moyen par rapport aux bons du Trésor américain étant désormais beaucoup plus proche du crédit aux entreprises de qualité (investment grade) que des obligations à haut rendement (high yield).

En 2009, l’écart de rendement entre l’indice EMBI-GD et les bons du Trésor américain s’est resserré de 460 pb, pour finir l’année à 288 pb. Sans égaler les performances 2009, la dette émergente pourrait continuer sa progression en 2010. Ces perspectives positives sont renforcées par des facteurs techniques favorables (par ex. le paiement des coupons sur la dette souveraine extérieure devrait dépasser 85 % du montant des émissions souveraines cette année) et par les prévisions de baisse des taux de défaut sur la dette émergente, qui devraient passer de 12 % fin 2009 à 2 % fin 2010.

Deux tiers d’obligations d’entreprises

En 2009, le marché de la dette émergente a globalement rebondi après la forte baisse déclenchée par l’effondrement de Lehman Brothers. En 2010, la sélection des pays et des titres sera primordiale. Et bien qu’elles aient surperformé la dette souveraine en 2009, les obligations d’entreprises des marchés émergents devraient offrir des opportunités attractives en 2010.

Nous nous attendons également à un resserrement écarts des emprunts d’État émergents dont les fondamentaux devraient s’améliorer. Etant donné que cette classe d’actifs est sous-représentée dans les portefeuilles de nombreux investisseurs institutionnels, les nouvelles émissions des pays émergents devraient s’opérer dans de bonnes conditions en 2010, probablement supérieures à USD 200 Mds, dont environ deux tiers d’obligations d’entreprises. Les obligations libellées en devise locale devraient également susciter un intérêt croissant en 2010 car les rendements offerts sont particulièrement élevés par rapport à ceux des marchés américains, européens et japonais.

Par ailleurs, de nombreuses devises de pays émergents semblent encore sous-évaluées par rapport au billet vert. En particulier les devises de l’Asie émergente mais aussi le zloty polonais et le peso mexicain.

Une croissance structurellement dynamique

Les marchés obligataires des marchés émergents bénéficient de taux de croissance économique élevés. Depuis 2000, la croissance de ces pays a toujours été supérieure à celles des pays développés d’environ 4 % par an (soit un facteur de 2 à 3 fois en fonction de la phase du cycle économique mondial).

Cette tendance devrait se poursuivre à moyen terme. Pour 2010, le FMI prévoit une croissance mondiale de 3,1 % ; celle des pays émergents serait de 5,1 % et celle des pays développés de 1,3 %. Ces chiffres pourraient être révisés à la hausse, ce qui corrobore notre propre prévision d’une croissance mondiale plus proche de 4 % (plus de 6 % pour les pays émergents et environ 2 % pour les pays développés).

Malgré les problèmes systémiques causés par la crise financière de 2008, les principaux moteurs de la croissance de la dette émergente ces dix dernières années restent d’actualité.

Premièrement, les pays émergents ont une intensité en main d’œuvre beaucoup plus élevée que les pays développés. Cela se traduit par un rendement plus élevé des nouvelles dépenses d’investissement, et incite davantage à épargner et à investir. Deuxièmement, la démographie des pays émergents est bien plus favorable. Si ces tendances de fond caractérisent depuis bien longtemps les marchés émergents, elles sont aujourd’hui renforcées par les évolutions récentes, notamment l’assainissement profond des finances publiques et des bilans des entreprises. Éternel talon d’Achille des pays émergents, les déficits budgétaires représentent désormais seulement 3 % du PIB, à comparer à une moyenne de 7-8 % dans les pays développés. La dette publique se situe aux alentours de 40 % du PIB, alors que les ratios de dette publique sont proches de 90 % dans les nations développées. L’endettement des entreprises et des ménages est également nettement plus faible dans les économies émergentes

La chasse au rendement

Avec l’atténuation du fardeau de la dette et l’augmentation des réserves de change, il n’y a rien d’étonnant à ce que la part « investment grade » dans l’indice JP Morgan EMBI-GD ait augmenté, passant de 20 % en 2000 à plus de 50 % aujourd’hui. Le passage de l’indice dans la catégorie investment grade s’inscrit dans une tendance de fond et les investisseurs devraient donc continuer à renforcer leur exposition à la dette émergente, compte tenu de leur sous-investissement.

Pour l’année 2010, nous prévoyons un retrait progressif des mesures de relance massives déployées dans le monde entier fin 2008 et début 2009. Ce processus se fera progressivement, avec des hausses de taux tout d’abord en Asie émergente, suivies plus tard dans l’année par un resserrement graduel des politiques monétaires en Amérique du Nord et en Europe. En 2009, le resserrement des écarts de crédit a plus que compensé la hausse des taux des bons du Trésor américain. Ce ne sera probablement pas le cas en 2010. Les investisseurs vont continuer à rechercher du rendement, une tendance qui sera favorable à de nombreux titres souverains de pays émergents, en particulier ceux offrant les rendements les plus élevés.