Du Credit Easing à la mode BCE

par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole

• Le cycle de baisse des taux est selon toute vraisemblance arrivé à son terme, le taux Refi atteignant un plancher historique de 1 %.
• La BCE est désormais passée en mode non-conventionnel. Les banques restent au cœur de ce nouveau dispositif que ce soit avec l’approvisionnement de liquidité à terme ou le rachat de covered bonds.

 La BCE n’a pas créé la surprise sur le front de la politique monétaire traditionnelle. Comme attendu, elle a abaissé le taux Refi de 25 centimes tout en maintenant le taux de dépôt à 0,25 % (avec un rétrécissement du corridor à +/- 75 pdb) et ce afin d’éviter l’écueil d’une politique de taux zéro. Le taux directeur atteint désormais 1 %, un nouveau plancher historique. Au cours de la conférence de presse, M. Trichet n’a pas fermé la porte à un nouvel assouplissement monétaire.

Mais les marges de manœuvre sont désormais réduites et une baisse de supplémentaire ne ferait pas grande différence. Par ailleurs, certains membres du conseil, comme Weber, se sont déjà ouvertement exprimés sur ce niveau de 1 % qu’ils considèrent comme un plancher minimum. Sauf en cas de nouvelle dégradation de la conjoncture, il semble peu probable que la BCE aille un cran plus loin et vienne flirter avec la ligne des zéros.

La BCE est désormais passée en mode non-conventionnel, mais d’une manière très différente de celle de ses consœurs.

Elle ajoute en fait à la panoplie des différents modes opératoires des politiques non conventionnelles (du Credit Easing au Quantitative Easing) une notion nouvelle celle d’endogéneïté (voir Bini Smaghi, 28/04/2009). Il s’agit d’étendre les mesures non-standards existantes en proposant des allocations illimitées de liquidité aux banques, à taux fixe pour des maturités étendues (à douze mois à partir du 23 juin) et contre une gamme large de collatéraux. Cette gestion inhabituelle de la liquidité bancaire a déjà fait gonfler son bilan, ce qui correspond bien à une forme de Quantitative Easing dans son acceptation la plus large, mais elle conserve un caractère réversible (Repo) qui est une manière de s’extraire de la problématique de stratégie de sortie. Selon la BCE, les différentes facilités de financement vont perdre de leur attrait ce qui devrait conduire mécaniquement à leur extinction une fois les conditions sur le marché interbancaire normalisées.

Une pincée de Credit Easing à la mode BCE

Dans son souci de desserrer la contrainte de refinancement des banques, la BCE est prête à racheter en direct des « covered bonds » pour un montant avoisinant les 60 Mds USD. Ce « credit Easing » à la mode BCE constitue une petite surprise. Il s’agit d’un marché d’environ 2 000 Mds d’euros (en incluant le Royaume-Uni et le Danemark) de titres de dette émis par des établissements de crédits et gagés sur un pool de créances (majoritairement des créances hypothécaires). Ces collatéraux sont conservés aux bilans des banques et servent à garantir l’émission et à rémunérer les titres. Les covered bonds diffèrent des autres types d’actifs titrisés (comme les ABS) puisque l’émetteur est souvent l’originateur du prêt, les actifs restent au bilan de la banque, les critères d’éligibilité des collatéraux sont stricts et surtout ces titres peuvent s’échanger sur un marché secondaire. Mais, en raison de la crise, les émissions primaires en euros (500 Mds d’euros en moyenne en 2006-2007) se sont taries et la liquidité sur le marché secondaire s’est évaporée.

Une décision en demi-teinte et défendable

Cette décision est le fruit d’un consensus alors que l’institution est traversée par des courants contraires entre les tenants d’une politique agressive de type anglo-saxon et les partisans d’une approche prudente qui prend également en compte les particularités institutionnelles de la zone euro. Axer les mesures sur la liquidité bancaire a du sens dans une économie qui reste très intermédiée. Ainsi, le stock de crédits bancaires représente fin 2007 145 % du PIB de la zone, contre seulement 63 % aux Etats-Unis, la proportion s’inverse pour les instruments de dette de marchés (Bini Smaghi, 28/04/2009) avec des pourcentages respectifs de 81 % et 168 %.

Chercher à contourner les banques pour apporter directement de la liquidité et du financement sur les segments de marchés endommagés pas la crise, du « Credit Easing » à la mode Fed, semble donc moins adapté dans le cas européen. Une telle approche se heurte également à des modes de financement très hétérogènes suivant les pays, avec en filigrane des problèmes de distorsion entre régions mais aussi entre acteurs, les grandes entreprises étant une cible privilégiée avec ce mode d’intervention (via le rachat de billets de trésorerie) au détriment des PME-PMI. Cibler le marché des covered bonds permet d’esquiver certains de ces problèmes ; d’abord et surtout il s’agit de raviver un marché où les banques viennent se refinancer, ce qui met toujours les établissements de crédits au cœur du dispositif BCE ; ensuite, même si les noms sont différents (Pfandfried en Allemagne, obligations foncières en France et les Cédulas en Espagne…) ; les conditions d’émission de ces obligations sont sensiblement similaires suivant les pays ; enfin ces actifs sont considérés comme moins risqués que les actifs titrisés, type ABS (Asset Backed Securities) pour les raisons évoquées plus haut.

Avec cette décision la BCE prouve qu’elle est pragmatique tout en fixant elle-même les limites de son action. Oui au non conventionnel suivant un mode opératoire adapté à la zone euro avec au cœur du dispositif, les banques, qui jouent un rôle crucial dans le financement de l’économie. Elle a aussi un petit côté dogmatique en semblant dire non définitivement au QE dans sa version la plus pure (i.e. des achats de titres publics). Il est ici question d’indépendance et de ce point de vue, la BCE se montre clairement intransigeante.

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