Du subprime à l’économie réelle

par Philippe d’Arvisenet.

La correction du marché immobilier américain, l’éclatement de la crise  du subprime, qui s’est propagée au marché monétaire et au crédit, vont amplifier et prolonger le ralentissement américain. Les conséquences réelles de cette crise débordent les frontières américaines. Ecarter le risque de récession supposera de la part de la Fed une réactivité sans état d’âme.

… du subprime au marché monétaire…

La montée des défauts sur les prêts “subprime” a provoqué une poussée des craintes quant à la solvabilité des institutions exposées via leurs investissements dans les supports de titrisation. Les prêts hypothécaires ont, en effet, été largement cédés sur le marché après avoir fait l’objet de titrisation et de transformation sous forme d’instruments de dette, grâce à l’utilisation de techniques de rehaussement du crédit (collatéralisation accrue, hiérarchisation en tranches equity, mezzanine, senior).
Ceci a permis de bénéficier de notations favorables de la part des agences de rating et donc d’élargir la base des investisseurs. Si ces techniques ont permis une plus ample mutualisation du risque, elles ont débouché sur une dispersion de celui-ci, d’où la montée des incertitudes quant à la localisation des pertes. Les instruments cédés sur les marchés créés à partir de portefeuille de créances sont structurés en tranches de telle manière que la dernière tranche à essuyer des pertes soit notée AAA. Cela permet de les céder à une communauté élargie d’investisseurs qui bénéficient de surcroît d’un rendement supérieur à celui des Treasuries de même rating. Le pricing de ces instruments sur des marchés étroits est apparu problématique, d’où la poussée des craintes d’insolvabilité. La notation des tranches “senior” et “super senior” (AAA) est attribuée en raison de l’appartenance de ces dernières à une structure donnée et non pour la qualité de la dette qu’elles contiennent. La modification d’une structure résultant de la contraction de la tranche prévue pour absorber les premières pertes, ce qui se passe en cas de hausse des défaillances, rend naturellement caduque la notation initiale(1).
Dans la première quinzaine du mois d’août, les inquiétudes se sont exacerbées et ont touché le marché interbancaire, notamment dans la zone euro et aux Etats-Unis. Les taux overnight ont bondi du fait de la recherche généralisée de liquidité, pour atteindre des niveaux bien supérieurs aux cibles des banques centrales (respectivement 4,7 % contre 4% en zone euro et 6% contre 5,25% aux Etats-Unis). La fuite vers la sécurité a provoqué une demande accrue de titres d’Etat, conduisant à creuser l’écart entre les taux interbancaires et les taux des bons du Trésor. Ainsi, aux Etats-Unis, l’écart entre ces taux est passé de 0,5% à 2,5%.
Les autorités monétaires n’ont pu faire autrement qu’injecter massivement de la liquidité afin de ramener le marché vers des conditions de fonctionnement normales et d’éviter ainsi d’amplifier un mouvement de ventes d’actifs de bonne qualité. Le 9 août, la BCE a injecté 95 milliards d’euros et 61 milliards le lendemain, la Fed injectait respectivement 24, puis 38 milliards de dollars, ce qui a amené le taux des Fed funds à s’établir nettement en dessous de l’objectif de 5,25%. En outre, la Fed a, de son côté, ramené le 17 août son taux d’escompte de 6,25% à 5,25% pour des échéances de 30 jours et admis des Asset Backed Securities (ABS) à l’escompte. L’écart du taux d’escompte par rapport aux Fed funds a été ainsi réduit de moitié. Les quatre principales banques américaines ont eu recours à cette facilité, vraisemblablement pour effacer le caractère stigmatisant du recours à la discount window(2) .

… puis du marché monétaire au crédit

L’action de prêteur en dernier ressort des banques centrales a permis de calmer le jeu. On a cependant assisté à un effet de contagion qui a touché le marché du Commercial Paper, en particulier le segment de l’Asset Backed CP (ABCP). En une quinzaine de jours, l’encours a baissé de plus de 10%, tandis que le spread de rendement entre les notations AA et A2/P2 se tendait, passant de 0,1% début août à 0,8% sous l’effet de l’inquiétude quant à la solvabilité des emprunteurs ayant investi dans des actifs de liquidité incertaine. Cette situation résulte de la préférence des fonds monétaires pour les liquidités à très court terme.
Elle a conduit les débiteurs (“conduits”…) à tirer sur les lignes “filet”, matérialisant un mouvement de réintermédiation. Ceux qui ne bénéficient pas de lignes “filet” (Structured Investment Vehicles) étant amenés à céder des actifs dévalorisés par un marché devenu illiquide. Ces tensions ont conduit la BCE, le 22 août, à offrir des fonds à 91 jours à hauteur de 40 milliards d’euros. L’approche des échéances de renouvellement du papier a maintenu le marché sous tension.
Les injections de liquidité ont d’ailleurs dû continuer jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, le 26 septembre, la Fed a injecté 38 milliards de dollars, montant équivalant à celui du 10 août et seulement dépassé par les 50,5 milliards de dollars du 19 septembre 2001. De son côté, la BCE a de nouveau prêté à 3 mois à hauteur de 50 milliards d’euros à un taux moyen de 4,50%, alors que l’Euribor 3 mois s’élevait à 4,75%. Cet écart persistant entre les taux interbancaires à trois mois et les taux directeurs est une des manifestations les plus tangibles de la poursuite de la crise : 5,20% pour le Libor dollar, alors que le taux objectif des Fed funds a été ramené à 4,75% (voir infra), et entre 4,70% et 4,75% pour l’Euribor avec un refi à 4%.
Enfin, la BCE, toujours le 26 septembre, a prêté 3,9 milliards d’euros à son taux directeur supérieur, 5%, celui de la facilité de prêt marginal.
Faisant figure d’exception parmi les principales Banques centrales, la Banque d’Angleterre s’était d’abord montrée plutôt réticente à approvisionner les marchés monétaires en liquidité, au titre qu’un tel soutien aurait pour effet d’accentuer “l’aléa moral”, voire de contribuer à l’apparition d’une nouvelle crise. Ainsi, elle continuait de refuser de fournir de la liquidité sur une gamme plus étendue de titres.
Elle a, toutefois, changé d’opinion à ce sujet lorsqu’elle a été sollicitée par Northern Rock. Basée à Newcastle, Northern Rock est à l’origine une société d’épargne immobilière de petite taille, qui est devenue, suite à son introduction à la Bourse de Londres en 1997, le cinquième établissement de prêts hypothécaires au Royaume-Uni, faisant même son entrée au sein de l’indice FTSE 100.
Cette expansion rapide a été financée en empruntant massivement sur les marchés monétaires : 75% des financements de Northern Rock dépendent de ces marchés et un peu plus de 40 % d’entre eux de la titrisation de marché. A titre de comparaison, la plupart des autres banques britanniques ne dépendent des marchés monétaires qu’à hauteur de 50 % environ de leurs financements. En revanche, la part des dépôts clients est très limitée par rapport aux autres banques.
Du point de vue commercial, cette stratégie s’est révélée très peu coûteuse, dans la mesure où orthern Rock ne doit pas gérer un réseau étendu d’agences (76 seulement au total). Néanmoins, sa dépendance à un seul mode de financement l’a conduite à la situation actuelle. Face à l’assèchement du marché des titres adossés à des créances, Northern Rock a dû se tourner vers la Banque d’Angleterre pour être renflouée. Cette dernière lui a permis d’emprunter à un taux majoré, en utilisant des titres adossés à des créances comme garantie.
Ce plan de sauvetage a entraîné une panique parmi les clients de Northern Rock, en dépit de la confirmation de la solvabilité de la banque par la FSA. Toutefois, la plupart des clients n’ont pas réussi à faire la distinction entre problèmes de liquidité et problèmes de solvabilité, à en juger par les queues de plusieurs heures à l’entrée des agences. Pour restaurer la confiance parmi les épargnants, le gouvernement a donc décidé de garantir la totalité de l’épargne confiée à Northern Rock.
Mercredi 19 septembre, la Banque d’Angleterre a de nouveau assoupli sa position en annonçant une prochaine mise aux enchères en vue de fournir des fonds à échéance trois mois garantis contre une plus large gamme d’actifs, tels que des crédits hypothécaires.
Les spreads sur les obligations privées se sont tendus, matérialisant, là encore, le repricing du risque.
Toutefois, l’incidence sur les rendements corporate a été en partie contrebalancée par la baisse des taux longs, ainsi, le rendement des T Notes à dix ans est passé de 5,20% le 6 juillet à 4,5% le 28 août, remontant légèrement par la suite (4,65% le 27 septembre).
La volatilité accrue a touché le carry trade, le débouclage de positions a entraîné une appréciation des devises de financement, ainsi le yen contre dollar est passé de 123 fin juin à 114 mi-août, puis s’est stabilisé au-dessus de ce niveau par la suite, tandis que les devises de placement connaissaient une forte baisse.
Ainsi, le cours NZD/JPY est revenu de 97 le 24 juillet à moins de 80 à la mi-août, ce mouvement se corrigeant en partie par la suite, la parité repassant au-dessus de 85 fin septembre.

… et à l’économie réelle

Le “subprime”, de quoi s’agit-il ?
Au cours des dernières années, l’abondance de liquidité, l’affaiblissement corrélatif de la sensibilité au risque et les innovations financières ont conduit à une forte augmentation de la distribution de crédit hypothécaire aux Etats-Unis, en particulier dans ses composantes “subprime” et “Alt A”. Ceci a permis une progression sensible de la proportion de ménages propriétaires de leur logement (64% en 1995, 69% l’an dernier).
Les crédits “subprime” sont consentis à des emprunteurs pour lesquels le ratio de dette/revenu (D/R) dépasse 55% et/ou le ratio prêt/valeur du bien (P/V) excède 85%. Leur distribution atteignait quelque
150 milliards de dollars l’an au début de la décennie, elle était supérieure à 600 milliards en 2005 et 2006. Ces crédits représentaient 13% de l’encours total de crédit hypothécaire l’an dernier (10 000 milliards). Les crédits dits “Alt A” sont constitués de prêts pour lesquels les ratios ci-dessus ne sont pas dépassés, mais qui sont consentis à des emprunteurs pour lesquels on ne dispose que de références incomplètes. Les prêts dits “jumbo” sont d’un montant supérieur au plafond (417 000 dollars) prévu pour les prêts éligibles pour les Government Sponsored Housing Entreprises (GSE), Freddie Mac et Fannie Mae. Ils atteignent près de 15% de l’encours total des prêts hypothécaires.
Tous ces prêts sont fréquemment assortis de caractéristiques qui les rendent facilement accessibles
(“affordability products”), et ils se sont répandus avec le relâchement des conditions dans un contexte où la hausse des prix rendait l’accession à la propriété plus difficile(3).
Il en va ainsi des prêts à taux ajustables (ARM) constitués pour les deux tiers de “2/28” : ce sont des prêts consentis à taux fixe plus bas que les taux de marché sur les deux premières années (teaser rates) et sont transformés à l’issue de cette période en prêts à taux variables. Cette modification des taux (reset) a naturellement pour conséquence d’alourdir la charge de la dette pour les emprunteurs, d’où un potentiel d’accroissement des taux de défaut (les deux tiers des prêts subprime sont des prêts ARM). Les “interest only loans” comportent un amortissement différé (typiquement de 2 ou 3 ans pour les ARM et de 10 ans pour les taux fixes). Les “negative amortization loans” permettent à hauteur d’une certaine proportion du prêt (15 à 25%) de capitaliser les paiements d’intérêts, une fois cette proportion atteinte, le prêt se transforme en prêt normal. Là encore, la charge de la dette s’en trouve alors nettement accrue.
La spéculation a joué, les prêts ont tendu à être plus fréquemment consentis sur la base de l’anticipation de hausse des prix immobiliers plutôt que sur la base de la capacité de servir correctement la dette, dans l’anticipation, en cas de défaillance de l’emprunteur, que la réalisation du bien pourrait couvrir le remboursement du principal, cela ne valant bien sûr que si les prix se maintiennent.
La montée des difficultés récentes trouve son origine dans la poussée des défauts.
Le taux de défauts sur les prêts ARM (saisies et arriérés plus de 60 jours) est passé de 2,6% sur le segment subprime et 0,5% sur le segment Alt A mi-2005 à respectivement 13% et 2,5% à la fin de l’an dernier. Le phénomène apparaît plus marqué encore pour les générations de prêts les plus récentes, au bout d’un an la proportion des délais de paiement de plus de 60 jours atteignait 6% pour les subprime ARM consentis en 2005 mais plus de 10% pour ceux octroyés en 2006(4) (cf. graphique 1, page 10).
Compte tenu des caractéristiques de ces prêts, la montée des défauts est appelée à se poursuivre dans les prochains trimestres. De fait, comme le montrent les statistiques de Inside Mortgage Finance, les ajustements de taux prévus pour les prêts ARM vont monter en puissance fin 2007 et début 2008, avant d’amorcer une décrue sensible à compter du quatrième trimestre de l’an prochain. Ils ont touché un montant d’une soixantaine de milliards au T1 2007 et d’une centaine au T2, mais vont concerner plus de 120 milliards de dollars aux T3 et T4 2007 et au T1 2008 (dont environ les deux tiers pour le subprime). Le pic sera atteint aux T2 et T3 2008 avec des montants de plus de 140 milliards de dollars, ceux-ci retombent aux environs de 70 milliards de dollars les trimestres suivants (cf. graphique 2, page 10).

Perspectives conjoncturelles encore plus modestes

Il nous paraissait clair, avant même l’éclatement de la crise financière récente, que l’ajustement immobilier, d’une part, était loin d’être arrivé à son terme et, d’autre part, n’avait pas eu toutes les conséquences que l’on pouvait anticiper sur la croissance (cf. graphiques 3, 4, 5 et 6, page 10).
Le recul de la construction immobilière, après avoir amené la croissance en dessous de son potentiel sur plusieurs trimestres, n’avait eu que des effets très limités sur l’emploi dans le secteur (cf. graphiques 7 et 8, page 11). L’économie américaine continuait, en fait, à bénéficier d’une situation de plein emploi. Par ailleurs, le tarissement de l’extraction de liquidité à partir d’actifs immobiliers mieux valorisés (cf. graphique 9, page 11) (le cash out refinancing, une des conséquences de l’effet de richesse immobilière)(5) se trouvait compensé par la bonne tenue de la Bourse, permettant aux ménages de continuer à se porter vendeurs d’actions (cf. graphique 10, page 11) (à hauteur de 5,4 points de RDB en 2005, 7,7 en 2006, 8,4 au premier trimestre 2007) sur un marché soutenu par les rachats auxquels procédaient les entreprises (363,4 milliards de dollars en 2005, 602,1 en 2006, 510,4 (annualisé) au premier trimestre 2007).
Cette situation, conjuguée avec la bonne tenue du marché du travail et la hausse des revenus réels, a permis à la consommation de croître de 4% en rythme annualisé fin 2006-début 2007, une progression qui apparaissait difficilement extrapolable. Au second trimestre, la consommation n’a augmenté que de 1,4%.
La crise immobilière n’est pas terminée. Par delà la question du subprime et de ses effets sur la situation des ménages concernés, il apparaît clair que la correction immobilière est appelée à se poursuivre sur plusieurs trimestres et plus longtemps que prévu. D’abord, les stocks de maisons invendues sont très élevés, et la chute des demandes de permis de construire et de mises en chantier, respectivement de 22,5% et de 21% en dessous de leur moyenne du deuxième trimestre au mois de juillet, augure mal une stabilisation des dépenses en investissement résidentiel. La dernière enquête (15/08) auprès des professionnels du secteur (National Housebuilders) montre que le sentiment sur l’orientation du marché s’est détérioré durant l’été, l’indice passant de 28 en juin à 24 en juillet et 22 en août, au plus bas depuis le début de 1991. Le repricing du risque qui caractérise la crise financière récente pèse sur le financement des professionnels du secteur aussi bien que sur les emprunteurs potentiels. L’enquête de la Fed
auprès des banques faisait état, dès le printemps dernier, d’une baisse de la demande de crédit hypothécaire et d’un resserrement des conditions. Le marché immobilier reste caractérisé par un déséquilibre offre-demande. La faiblesse des ventes de maisons, en chute pour le sixième mois consécutif en août pour l’ancien (-4,3%), freine la correction des stocks qui s’inscrivent à un plus haut depuis seize ans (10 mois de vente)(6). La baisse des prix (-3,9% en g.a. en juillet selon l’indice Case Schiller) est insuffisante pour redresser la capacité d’accès à la propriété, surtout dans un contexte de conditions devenues plus tendues : le marché du subprime s’est asséché, les taux hypothécaires sur les prêts traditionnels (prime) ont augmenté de 50 points de base et de 100 points de base pour les prêts jumbo(7) (cf. graphique 11, page 11).
Au cours des dix-huit derniers mois, la crise immobilière a amputé le taux de croissance de l’économie américaine de 0,8 point. En glissement annuel, celui-ci est revenu de 3,7 % début 2006 à 1,9% au premier trimestre 2007. Au second trimestre, un coup d’arrêt au déstockage, un envol de la construction non résidentielle (28% en rythme trimestriel annualisé) et une très forte contribution du commerce extérieur (1,4 point) ont fait rebondir la croissance à 4,0% en rythme trimestriel annualisé, après 0,6% au premier trimestre.
Pour autant, la qualité de la croissance n’était pas au rendez-vous, révision en hausse ou pas. D’abord, la contribution positive du commerce extérieur à la croissance tient, pour une bonne part, à l’effet modérateur de la demande interne sur les importations.
Par ailleurs, on ne peut pas compter sur une accélération des exportations, compte tenu des effets de la crise financière sur l’économie mondiale. Ensuite, l’explosion des dépenses en bâtiments ne peut être extrapolée, la dernière enquête de la Fed auprès des banques commerciales (Senior Loans Officers Survey) effectuée en juillet, avant l’éclatement de la crise, fait d’ailleurs état à la fois d’un resserrement des conditions et d’un tassement de la demande de crédits industriels et commerciaux.
Le troisième trimestre a débuté avec un momentum favorable. La production manufacturière a augmenté de 0,7% en juin, puis de 0,8% en juillet avant de se replier de 0,3% en août. Les commandes de biens durables ont chuté en août (-4,9%, après +6,1% en juillet et +1,8% en juin), tout comme les livraisons (-1,6% après +4% et -1,1%). Les commandes hors défense et avions ont baissé de 0,7% après +0,9% et -0,2%. Cependant, le resserrement des conditions financières et les incertitudes qui pèsent sur la demande dans les prochains trimestres plaident en faveur d’une nette modération. Il en va ainsi pour la consommation mais aussi pour l’investissement, malgré le haut niveau des profits, et enfin pour la reconstitution des stocks (en partie involontaire).
Déjà, la crise a provoqué un tassement de la confiance des ménages, l’indice de confiance de l’université du Michigan a chuté en août (83,4 contre 90,4 en juillet), puis s’est maintenu à ce niveau en septembre (83,8 en données préliminaires), celui du Conference Board est revenu de 111,9 à 105,6 en août et 99,8 en septembre, au plus bas depuis novembre 2005. Si la baisse du prix des carburants ajoute quelque 0,5 point au revenu disponible réel, il paraît acquis que le marché du travail est appelé à connaître une détérioration liée à une réduction des effectifs dans les secteurs liés à l’immobilier. Déjà, les chiffres d’emploi pour août et surtout les révisons à la baisse pour les mois précédents ont montré que la situation du marché du travail avait déjà radicalement changé. De fait, 40.000 emplois ont été créés en moyenne sur les trois derniers mois connus, c’est-à-dire le quart du niveau des trimestres précédents.
Par ailleurs, le resserrement des conditions de crédit va toucher la demande de biens de consommation durables (automobile, équipement du foyer).
Au total, la croissance américaine, qui devrait s’affaiblir de façon très nette fin 2007-début 2008, devrait être limitée, au plus à 1,5%, en moyenne l’an prochain. L’expérience montre que lorsque la croissance revient, elle n’en est généralement pas restée là (cf. graphique 12, page 11). On peut, cependant, espérer qu’une réaction rapide de la Fed puisse écarter le risque de récession.

Quelle politique monétaire ?

Le 7 août, le FOMC a décidé de maintenir inchangé à 5,25% le taux des Fed funds. Tout en prenant acte de l’augmentation de la volatilité sur les marchés, du resserrement des conditions de crédit et des progrès enregistrés sur le plan de l’inflation, il indiquait sa confiance dans la poursuite d’une croissance modérée avec, toutefois, des risques baissiers (downside risks).
L’inflation restait réaffirmée comme étant la première préoccupation. L’idée selon laquelle la situation du secteur immobilier ne se propagerait pas restait dominante(8). En fait, au début de l’été, les débats de politique monétaire portaient sur le risque inflationniste.
Le retour du core PCE deflator sous la barre des 2% était-il suffisant pour justifier l’assouplissement de la politique monétaire ? Pour certains y compris le FOMC, il apparaissait souhaitable de voir les progrès confirmés, et donc le taux de l’inflation sous-jacente ramené vers 1,5%. La référence au taux sous-jacent se trouvait elle-même remise en question, l’inflation totale dépassant durablement l’inflation sous-jacente, cette dernière ne pouvait plus être mise en avant pour élaguer des bruits sur la mesure de la hausse des prix. La poursuite de cette configuration comportait un risque pour le bon ancrage des anticipations.
La crise a, bien entendu, enterré ce débat, la hiérarchie des risques a changé de nature. Il s’agit d’apprécier les effets des perturbations financières sur l’économie réelle alors même que la correction immobilière apparaît devoir perdurer, tout comme les vents de face engendrés par la crise qui joueront à l’encontre de la dépense, tant au niveau des ménages qu’à celui des entreprises. A la mi-août, la Fed a fait clairement état des effets négatifs de la conjoncture financière sur l’économie : “downside risks to growth have increased appreciably”. Certes, la croissance du deuxième trimestre ne facilite pas la tâche ni la forte hausse des coûts salariaux unitaires, il reste que l’économie paraît appelée à connaître une période prolongée de croissance inférieure au potentiel, ce qui est propre à modérer les tensions. Dès lors, sans surprise, le FOMC a abaissé son objectif pour les Fed funds de 50 pb à 4,75%, décision accompagnée d’un ajustement du taux d’escompte (passé de 5,75% à 5,25%). Les autorités monétaires ont pris acte du fait que le resserrement des conditions sur le marché du crédit est de nature à intensifier la correction immobilière et freiner la croissance économique. La Fed a, par ailleurs, indiqué qu’elle continuerait à examiner les effets des développements du marché sur la croissance et qu’elle agirait autant que nécessaire pour assurer la stabilité des prix et une croissance soutenable.
Une telle décision n’a pas manqué de soulever quelques critiques, on a évoqué un “Bernanke put”, le fait que la Fed, en assouplissant sa politique à la suite de la débâcle du fonds LTCM en 1998, a nourri l’exubérance et les tensions inflationnistes dans les années qui ont suivi. On a mentionné que la Fed ne doit pas venir à la rescousse de ceux qui ont pris des risques inconsidérés, ni cibler des prix d’actifs mais n’intervenir que si les développements de la sphère financière présentent un danger pour l’économie réelle, thèse maintes fois réaffirmée par B. Bernanke dans ses travaux(9). Ceci appelle plusieurs remarques. En premier lieu, les décisions de baisse des taux en 1998 sont intervenues suite à la défaillance d’un seul acteur et dans une conjoncture qui s’est avérée très porteuse. La situation présente est entièrement différente. L’économie évolue en dessous de son potentiel, sans perspective d’amélioration dans les prochains trimestres, par ailleurs, ce sont les ménages qui sont massivement touchés par la crise de l’immobilier. En second lieu, renoncer à la baisse des taux toucherait ceux qui ont investi (fonds de pension…) dans des titres dont le risque est apparu difficilement évaluable et non ceux qui ont initié ce risque.
 
NOTES
(1) Certains hedge funds dont la stratégie était fondée sur l’arbitrage entre des titres sous-évalués (achetés) et des titres surévalués (shortés) avec une position nette nulle ont été affectés par le retournement général du marché. Ces circonstances amènent les créanciers à exiger plus de collatéral ou des apports en cash avec le risque de conduire à la réalisation de bons actifs.
(2) Cela ne correspond pas entièrement à la préconisation bien connue de W. Bagehot en matière d’intervention des banques centrales en période de crise : prêter rapidement, massivement contre des collatéraux de bonne qualité (pour différencier les institutions insolvables de celles qui sont simplement illiquides) et à un taux pénalisant (pour assurer que la banque centrale est bien le prêteur en dernier ressort). La dernière condition n’est pas respectée dans le cas présent, il faut cependant souligner que le contexte a changé depuis la publication de “Lombard street” en 1873, avec notamment la désintermédiation qui se trouve au coeur des difficultés actuelles.
(3) L’indice d’accessibilité à la propriété (affordability index), établi par la National Association of Realtors (NAR) sur la base du prix médian d’une maison et du revenu médian pour un ménage contractant un prêt couvrant 80% de la valeur du bien, s’est franchement redressé dans les années 1990 avec la baisse des taux. Atteignant 135 à la mi 2004, il a chuté à 99,6 mi-2006, la modération des prix l’a conduit à ne se redresser que très modestement depuis (104,4 mi-2007). On estime qu’une baisse des prix de l’ordre 5% serait nécessaire pour ramener l’indice à sa moyenne des années 1990 (125).
(4) Pour plus de précisions, voir J. Kiff et P. Mills : “money for nothing and checks for free: recent developments in
US subprime mortgage markets”, in US: 2007 Article 4 Consultation, staff report, IMF country report, août 2007.
(5) Depuis le tax reform act de 1986 les intérêts ne sont déductibles que pour les prêts hypothécaires, cela a stimulé le recours à ces derniers pour financer des achats de biens de consommation ou les dépenses d’amélioration du logement.
L’écart entre les crédits hypothécaires distribués et les dépenses en investissement résidentiel, qui ressortait à
4,3 points de RDB en 2005, est revenu à 2 points en 2006 et 0,4 point au premier trimestre 2007.
(6) Il faut ajouter à cela que les statistiques de stocks et de ventes paraissent biaisées dans le sens de la sous-estimation. En effet, l’annulation de contrats de vente n’est pas prise en compte dans les statistiques. Le nombre de logements vacants en hausse de 50% sur un an confirme cette hypothèse.
(7) On estime, sur la base d’un modèle prix/loyers, à près de 10% la baisse des prix qui serait nécessaire pour ramener l’immobilier à sa “fair value”.
(8) Ce n’était pas notre analyse, voir par exemple notre présentation des perspectives 2007 in Conjoncture, revue mensuelle BNP Paribas, mars 2007, p. 8.
(9) Voir par exemple : B. Bernanke et M. Gertler : “Monetary policy and assets price volatility”, FRB Kansas City, quatrième trimestre 1999. Pour une revue de la littérature, voir Ph. d’Arvisenet : “La bulle, la croissance, la banque”, in Sociétal, premier trimestre 2004.