Emergents : de la volatilité à court terme mais pas de remise en cause de la dynamique de croissance

par Laetitia Baldeschi, Co-responsable des études et de la stratégie chez CPR AM

Il est vrai que nous privilégiions il y a encore quelques semaines cette classe d’actifs, en constatant la reprise modeste du commerce intra-asiatique, la stabilisation des prix des matières premières, essentielle pour une partie du monde émergent, et les chiffres d’activité plutôt rassurants en Chine, tous ces facteurs étant favorables à la croissance émergente. En effet, le monde émergent est très sensible à l’économie chinoise, comme on a pu le constater au cours des derniers trimestres. La transformation de cette dernière économie a modifié la nature des échanges entre la Chine et ses partenaires émergents avec des conséquences sur les performances économiques des différents pays.

Tous ces facteurs sont toujours présents aujourd’hui mais le contexte international a brutalement changé depuis l’élection de M. Trump à la présidence des Etats- Unis. En effet, ses propos très négatifs lors de sa campagne électorale concernant les accords commerciaux internationaux ont eu un impact important sur les marchés actions émergents, les investisseurs anticipant un ralentissement des échanges et donc de la croissance. Par quels autres canaux l’élection de M. Trump a-t-elle affecté les émergents ?

La menace d’augmenter les droits de douane sur les produits chinois a pu inquiéter dans un premier temps, mais le choc le plus important est vraisemblablement lié à la montée violente du dollar contre toute monnaie. La baisse des devises émergentes contre dollar, avec en tête celle du peso mexicain, particulièrement visé dans la rhétorique de M. Trump, a eu un impact très négatif sur les bourses locales. Il s’agit pour beaucoup d’une réaction épidermique. En effet, les investisseurs s’inquiètent de la capacité des pays et entreprises émergents à assumer leurs dettes libellées en dollar.

Pour autant la situation financière des pays émergents s’est nettement améliorée, depuis le mois de mai 2013, date du dernier épisode brutal sur les émergents avec l’annonce du « tapering » (diminution graduelle des achats de titres) de la Réserve fédérale. A l’époque les pays émergents avaient nettement souffert de la remontée du dollar et des taux d’intérêt. Depuis lors, la plupart des pays ont réduit leur déficit courant, et ont peu à peu modifié leur structure de financement externe, en faveur d’un endettement en devise locale, et sur des échéances longues afin de réduire leur sensibilité aux variations du dollar. Mais les réflexes des investisseurs ont la vie dure.

Il faut également mentionner l’impact sur les taux d’intérêt des pays émergents, de la récente hausse des taux américains, dans le scénario de « reflation » qui s’est enclenché après l’élection de M. Trump. En effet, comme on a pu l’observer y compris en Europe ou au Japon, l’ensemble des taux ont progressé assez sensiblement, en suivant les taux américains. Les dettes émergentes n’ont pas été immunes face à ce mouvement.

Ce mouvement de défiance vis-à-vis des économies émergentes peut-il être durable ?

Reprenons les différents canaux de transmission. Le mouvement haussier sur le dollar peut effectivement persister, contre euro ou contre yen, notamment si on considère les écarts d’anticipation sur les politiques monétaires entre les Etats-Unis et la zone euro ou le Japon. En revanche, face aux devises émergentes, la situation n’est plus la même. Ces devises ont été très nettement attaquées après l’épisode de mai 2013, et sont souvent considérées comme étant à leur prix voire pour certaines d’entre elles sous-évaluées.

Dans ce contexte, avec des balances courantes proches de l’équilibre, les pressions baissières pourraient ne pas perdurer. Seuls certains pays n’ayant pas réduit leurs déséquilibres externes pourraient encore subir des baisses de leur devise (Turquie, Afrique du Sud, Colombie…). L’évolution des taux d’intérêt des pays émergents risque en revanche de suivre celle des taux américains, même si pour beaucoup d’entre eux les anticipations d’inflation ne sont pas les mêmes. La situation sera d’autant plus complexe que le pays ou ses entreprises sont endettés en dollar, plutôt en Amérique latine, ou qu’il dépend largement d’un financement externe, comme en Indonésie ou en Afrique du Sud. Il nous semble donc qu’un tri sera fait entre les différents pays émergents et que des opportunités d’investissement se dégageront.

Quel serait l’impact d’un retour du protectionnisme sur la croissance des émergents ?

L’un des premiers pays visés dans les déclarations de M. Trump est le Mexique. Au-delà de la question de l’immigration et de la taxation des revenus transférés par les travailleurs mexicains aux Etats-Unis, la renégociation partielle ou totale du Nafta est probable. Le secteur manufacturier mexicain pourrait en faire les frais. Concernant les échanges avec la Chine, la mise en place des mesures promises pendant la campagne pourrait ne pas être aussi aisée, la Chine ayant les moyens de faire pression sur les Etats-Unis, notamment par sa politique d’investissements financiers. Si la Chine conserve son rythme de croissance actuel, les pays émergents devraient garder une bonne dynamique, compte tenu de leurs liens commerciaux. Certains d’entre eux pourraient même bénéficier du plan d’infrastructures promis par M. Trump, via leurs exportations de matières premières.