Energie : Bruxelles redevient raisonnable

par William Emmanuel.

par William Emmanuel.
Le changement de ton est passé quelque peu inaperçu mais il est réel : la Commission européenne a revu en baisse ses prétentions en matière de régulation du secteur de l’énergie électrique et gazière. Les mesures qui doivent être décidées courant juin sont en retrait par rapport à ce qui était envisagé initialement. Il y a encore quelques mois, il était question de démanteler les groupes intégrés comme EDF, Gaz de France et E.ON pour les forcer à se séparer de leurs activités de transport et aussi de supprimer rapidement les tarifs régulés. Pour les experts de Bruxelles, la conséquence de ces mesures était évidente : un accroissement des investissements, une concurrence accrue et une baisse des prix pour les consommateurs.

Un monde parfait ! Sauf que cette vision relativement simpliste d’un secteur particulièrement crucial pour l’économie fait fi de plusieurs paramètres sur lesquels l’Europe n’a pas de prise : l’envolée des prix des matières fossiles alimentée par la forte demande des pays émergents et des tensions régionales et le rôle ambigu de la Russie sur la fourniture de gaz par exemple. La France et l’Allemagne se sont chargées ces derniers mois de le rappeler à l’exécutif européen et celui-ci a compris qu’il ne parviendrait pas à imposer ses vues radicales. Si les deux pays ont quelque peu divergé depuis – Berlin, qui a le plus à perdre du fait du non respect de certaines règles de concurrence, lâchant du lest – il ne fait guère de doute, selon des responsables impliqués dans le dossier, qu’ils sont déterminés à sauver leurs champions nationaux dans un contexte marqué par la question de la sécurité d’approvisionnement. Bruxelles a donc fait évoluer son discours.

L’audition d’Andris Piebalgs, commissaire européen en charge de l’Energie, par la Commission des finances du Sénat français, le 17 avril dernier, l’a bien montré. L’intéressé s’est fait tout miel face à des parlementaires plutôt incisifs. Il s’est montré consensuel en avançant l’idée d’un “groupe de haut niveau” destiné à plancher sur les questions de sécurité et de traitement de déchets afin de mieux faire accepter le nucléaire en Europe. Il a aussi annoncé que d’ici à un an il ferait une proposition pour le financement de la recherche dans le domaine de l’énergie.

Sur les sujets de discorde, il a maintenu la position de la Commission européenne sur la fin souhaitable des tarifs réglementés au-delà de 2010, quand expirera le système de “tarif de retour” mis en oeuvre pour les entreprises qui avaient choisi le marché mais qui se plaignaient de l’envolée des prix. Pour signifier que Bruxelles ne reculerait pas, il a souligné que les Etats pouvaient trouver des solutions pour les ménages les plus modestes à travers des tarifs sociaux.

Dans un autre registre, Andris Piebalgs s’est plaint qu’il y ait eu “beaucoup de malentendus” sur la question de la séparation patrimoniale entre production et transport (unbundling) des “utilities”. L’objectif, a-t-il dit, est que les investissements soient réalisés “de façon objective, transparente et non discriminatoire” afin que les concurrents des opérateurs historiques puissent accéder sans difficulté aux réseaux. Selon Andris Piebalgs, le “unbundling” n’est “pas la seule voie” mais “c’est la plus claire”. S’il a jugé que la décision d’E.ON de créer une entité séparée pour ses activités de transport était “un signe encourageant”, il a accueilli plutôt favorablement “la troisième voie” française consistant à laisser les entreprises du secteur continuer à détenir leurs activités de transport tout en donnant davantage de pouvoirs au régulateur afin de surveiller les investissements.

Ce changement de ton est de bon augure pour la constitution d’un vrai marché européen de l’énergie. Un tel marché ne peut fonctionner que si les différents réseaux nationaux sont interconnectés. La Commission européenne estimait jusqu’ici que seule davantage de concurrence permettrait de favoriser les investissements. Une vision un peu simpliste. Des réseaux de transport indépendants seraient-ils vraiment enclins à investir massivement ? Un producteur peut-il investir massivement dans une centrale dans une région donnée si un réseau indépendant juge qu’il n’est pas suffisamment rentable de déployer des infrastructures dans cette région ? L’expérience montre que les entreprises évoluant dans un environnement réglementé visent surtout à sécuriser leur niveau de dividende afin de satisfaire les actionnaires. Une entreprise électrique ou gazière ayant des ambitions pan-européennes a, à l’inverse, tout intérêt à investir dans ses réseaux pour faciliter les interconnexions. Bruxelles semble l’avoir enfin compris et une confirmation dans les prochaines semaines devrait favoriser ainsi un mouvement de consolidation. De quoi constituer quelques grands acteurs présents sur plusieurs marchés et capables d’investir et de faire jouer réellement la concurrence.