Est-il trop tard pour investir dans les cycliques ?

par Charles Dautresme et Franz Wenzel, stratégistes chez Axa IM

Après un recul des marchés d’actions américains de près de 60% depuis leur sommet atteint le 9 octobre 2007, les actions ont fortement rebondi. Cette hausse a été alimentée par le fait que le scénario d’une dépression ainsi que le risque de nationalisation du système bancaire américain ont été écartés.

Depuis son point bas en mars, le S&P 500 est remonté de presque 40%, approchant le record historique de 47% lors d’un rally de bear market dans les années 1929-1930. Les investisseurs se demandent s’il s’agit d’un rebond technique ou du début d’un nouveau marché haussier qui pourrait conduire à un rééquilibrage des portefeuilles en faveur de secteurs à bêta élevé.

Liquidité abondante et inflexion conjoncturelle portent les cycliques

Bien que les banques américaines doivent encore procéder à d’importantes augmentations de capital suite aux stress tests, il semble que les autorités américaines aient atteint leur principal objectif : restaurer une certaine confiance dans le système financier.

La mise en place de la seconde phase du plan Geithner (le retrait des actifs toxiques) devrait apporter de la transparence dans les bilans bancaires. Ceci devrait permettre une amélioration du mécanisme de transmission de la politique monétaire, actuellement très accommodante, au reste de l’économie. Les banques centrales partout dans le monde ont assoupli leurs politiques afin de compenser la contraction de l’activité. Ceci a conduit à des taux d’intérêt proches de zéro et à de larges injections de liquidité destinées à remettre en marche les marchés monétaires.

L’abondance de liquidité constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, pour propulser les marchés d’actions à des niveaux plus élevés.

Il est en effet nécessaire que la dynamique récessive s’infléchisse. Les données économiques meilleures que prévues, les “jeunes pousses” de la croissance, ont permis l’amélioration du sentiment envers les marchés d’actions.

En décembre 2008, l’ISM manufacturier se situait à 32,9. L’indice a depuis connu une hausse continue (40,1 en avril), tandis que d’autres indicateurs avancés un peu partout dans le monde indiquaient aussi que le rythme de dégradation de l’activité avait ralenti, laissant espérer que la crise actuelle, bien que profonde, soit en train d’être surmontée.

Cet environnement a été très favorable aux secteurs cycliques. En Europe, la forte surperformance des cycliques est étroitement liée au retournement de l’indice IFO. Le marché d’actions semble ainsi anticiper un rebond marqué de l’activité. Les cycliques continueront probablement de surperformer si les bonnes nouvelles économiques se confirment. Inversement, les secteurs défensifs seraient favorisés par de nouvelles déceptions sur la croissance.

Les prévisions de bénéfices semblent exagérées…

Alors que le début de l’année avait été marqué par d’importantes révisions baissières des bénéfices, le rythme de baisse s’est amoindri au cours des deux derniers mois. Les analystes s’attendent à un recul des bénéfices de près de 17% en 2009. Toutefois, ils prévoient une nette reprise en 2010, et tablent sur une progression de 18%. Si cette prévision s’avère, ceci serait, sans aucun doute, une excellente nouvelle pour les actions.

Toutefois, des doutes subsistent. La situation économique reste fragile et un retour des profits à leur croissance tendancielle semble peu probable. C’est pourtant ce que prévoient les analystes. La question est donc de connaître la capacité réelle des analystes à anticiper le futur. En fait, le taux moyen de croissance des bénéfices estimé au cours des 20 dernières années a été d’environ 15%, mais a constamment été sujet à une erreur normalisée de -8%. Autrement dit, les premières estimations se sont avérées trop optimistes de 8 points de pourcentage en moyenne. Nous ne pensons pas qu’il en sera différemment cette fois-ci. Les secteurs cycliques devraient supporter l’essentiel des révisions à la baisse, leurs estimations de croissance actuelles s’établissant bien au-delà de 20% pour 2010.

Certes les révisions drastiques des bénéfices par action (BPA) se sont estompées. Néanmoins, les révisons à la baisse persistent. En effet, le ratio des révisions à la hausse des BPA sur celles à la baisse est actuellement inférieur à 1 pour tous les secteurs. Certains s’en sortent mieux, notamment parmi les secteurs cycliques comme les technologies de l’information, avec un ratio hausse/baisse d’environ 0,5 contre 0,1 trois mois auparavant. C’est également le cas, mais dans une moindre mesure, pour la consommation cyclique, avec un ratio hausse/baisse qui est passé de 0,2 à 0,3 sur la même période. Les investisseurs se sont donc rués sur les premiers signes d’amélioration de la dynamique bénéficiaire des secteurs les plus cycliques, bien avant que les capitaines d’industries n’indiquent une amélioration des perspectives pour leur entreprise.

Ceci est d’autant plus vrai que cette forte progression des cycliques contraste fortement avec la saison des résultats du 1T09, qui a été beaucoup plus positive pour les secteurs défensifs, comme les services aux collectivités locales. Nous craignons toutefois que l’enthousiasme vis-à-vis des cycliques soit excessif, ce qui pourrait donner lieu à des ajustements si la dynamique économique n’est pas à la hauteur des attentes devenues beaucoup plus optimistes.

… et la valorisation est devenue extrême

Dans un contexte de dégradation marquée des bénéfices, accentué par le fort rebond des cycliques, la valorisation relative de ce secteur est désormais assez élevée. Alors que les cycliques se traitent actuellement à 13 fois leurs bénéfices de 2010, les défensives ne sont qu’à 10 fois.

Le ratio cours/bénéfices à 12 mois des cycliques par rapport aux défensives avoisine actuellement les 1,3 (contre 0,9 en moyenne), ce qui traduit un point historiquement extrême. Cette prime ne serait justifiée que si les bénéfices venaient à progresser très fortement l’année prochaine, ce qui à priori refléterait une montée encore plus rapide des ceux des secteurs les plus cycliques.

La « surprime » actuelle des cycliques est aussi confirmée par notre modèle de valorisation RIM. Selon cette mesure, la prime de risque pour les cycliques a chuté à 7,3% au moment où nous écrivons (elle était à 10,7% en octobre 2008), alors que pour les défensives elle reste au-dessus de 9% (9,9% en mars 2009).

Conclusions

A très court terme, plusieurs éléments indiquent que le rebond des bourses pourrait perdurer. L’abondance de liquidité constitue un soutien majeur. Par ailleurs, les investisseurs institutionnels semblent avoir peu bénéficié du rebond, et pourraient finalement investir leurs liquidités. La chute de la volatilité constitue un élément favorable supplémentaire. Les cycliques ayant réalisé un rebond spectaculaire, les investisseurs peuvent se poser la question de leur valorisation. Bien que les révisions à la baisse des profits se soient réduites, l’environnement économique demeure fragile, avec encore le risque de mauvaises surprises. A ce stade, il nous semble donc raisonnable de penser que la très forte surperformance des cycliques que nous venons de connaître est plutôt derrière nous.