Etait-il nécessaire d’aider les banques ?

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Le contexte politique actuel est « pollué » par l’incessante opposition entre une aide publique supposée gigantesque et sans contrepartie pour le système bancaire et une aide de l’Etat aux ménages supposée plus faible. Or, s’appuyant sur des arguments qui mettent le système financier au premier rang des responsables de la crise actuelle (de manière justifiée dans la plupart des cas d’ailleurs), certains ne voient pas que l’effondrement des mécanismes qui assurent le financement de l’économie conduirait à un appauvrissement exceptionnel de l’ensemble des acteurs économiques, au premier rang desquels se trouvent les ménages.

Il semble donc utile de revenir en premier lieu sur le rôle des banques dans l’économie, puis de rappeler le coût pour la société d’une crise bancaire profonde et enfin de s’arrêter en détail sur la situation actuelle des banques.

1 : Que nous apprend la théorie économique ? Un membre de la Banque de France rappelait récemment le rôle des banques dans l’économie en prenant a contrario l’exemple d’une économie où les ménages ne pourraient pas financer une partie de leurs achats par le crédit. Les conséquences sont alors bien connues : moindre bien-être, nécessité d'accumuler préalablement les encaisses nécessaires à tout achat important et, en conséquence, excédent structurel de l'épargne. C’est d’ailleurs bien ce que l’on observe dans de nombreux pays émergents, dépourvus de système financier efficace. Au plan international, cela se traduit alors par une accumulation de déséquilibres extérieurs des paiements courants, avec in fine cette situation paradoxale dans laquelle les ménages des pays pauvres financent par leur épargne la consommation des pays riches.

Dans une économie « moderne », une croissance durable passe par la réalisation d’investissements productifs et la gestion des décalages dans le temps entre les sorties et les rentrées d’argent. Pour gérer ces deux événements, les agents économiques (ménages, entreprises, Etats) peuvent soit faire appel à du capital (marchés actions), soit avoir recours à un financement par la dette. Ce dernier mécanisme peut s’effectuer par deux canaux : au travers des marchés financiers (émission de titres) ou au travers du crédit bancaire. Quand les marchés financiers ne fonctionnent plus correctement, le rôle des banques, en tant qu’unique financier de l’économie, devient alors essentiel.

Or les entreprises bancaires font face à plusieurs défis parmi lesquels deux d’entre eux, en particulier, méritent d’être rappelés. D’une part, les banques ont un rôle de transformation, c’est-à-dire qu’elles reçoivent généralement des ressources à court terme (les dépôts, par exemple) qu’elles transforment en actifs de long terme (les prêts aux ménages ou aux entreprises, en général à un horizon long). Elles doivent à tout moment être en capacité d’assurer la liquidité des dépôts qui leur sont confiés, tout en continuant à financer durablement l’économie (elles ne peuvent annuler les crédits accordés à long terme). D’autre part, bénéficiant d’avantages informationnels, elles sont capables, en temps normal, de séparer les projets rentables des projets non-performants.

Grâce au capital humain dont elles disposent et aux relations de long terme qu’elles entretiennent avec leurs clients, elles seules sont équipées pour faire face aux asymétries d’information qui caractérise la relation préteur / emprunteur2 et limiter ainsi les risques de défaut sur les crédits.

2 : Quels enseignements des crises bancaires du passé ? Sans remonter au cas d’école de 1929, on peut s’arrêter sur les crises bancaires observées dans les « pays développés » au cours des vingt dernières années. L’exemple le plus caractéristique renvoie à la situation japonaise des années 90. L’explosion des bulles financières et immobilières au début de la décennie a poussé les autorités à lancer de vastes plans de relance et à baisser significativement (bien que tardivement) les taux directeurs. Toutefois, ces politiques se sont révélées en grande partie inefficaces à cause d’une mauvaise allocation des ressources liée à la profonde dégradation du système bancaire national. Et il a fallu attendre 1998-1999 pour que des plans de sauvetage massifs du système bancaire soient mis en œuvre et permettent ensuite un meilleur fonctionnement de l’économie nippone3. Cette erreur dans la réponse politique à la crise japonaise a conduit à ce qu’on a appelé « la décennie perdue »4.

D’autres épisodes (crise des Savings & Loans aux Etats-Unis dans les années 80, crise bancaire en Europe du Nord au début de la décennie 90, …) ont montré que plus la réponse politique aux problèmes des banques était tardive, plus la crise économique qui en découlait était profonde. A bien des égards, la résolution des problèmes du système financier apparaît donc bien comme un pré-requis à tout redémarrage économique. La suite, la semaine prochaine…

NOTES

1 – Cf. Redouin J.P., « Rôle et importance économique du crédit à la consommation », Colloque à l’Assemblée Nationale, 10 février 2009
2 – La question se pose d’ailleurs actuellement avec la volonté des banques centrales de financer directement l’économie. Cf. Special Report n°28, « Que sont vraiment les politiques monétaires non-conventionnelles ? », 6 février 2009.
3 – Cf. Focus n°2, « l’impact macroéconomique des crises bancaires », Banque de France, 5 décembre 2008.
4 – Croissance moyenne de seulement 0,8 % sur la période 1993-2002, contre 3,9 % entre 1983 et 1992 et 2,1 % entre 2003 et 2007.

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