Etats-Unis : Déjà fini ?

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

•  Le marché du travail confirme son dynamisme : robustesse des créations d’emplois, faiblesse du taux de chômage, rebond du taux d’activité, croissance salariale.

•  Les enquêtes ISM annoncent l’embellie, une amélioration qui semble pouvoir durer, avec des indices “production” et “nouvelles commandes” particulièrement bien orientés.

  Les anticipations de hausses de taux, récemment jugées trop limitées par Eric S. Rosengren, devraient se redresser.

Alors que les données d’activité ont été décevantes en ce début d’année, notamment les commandes à l’industrie des biens durables et la consommation des ménages, l’emploi reste sur une tendance extrêmement dynamique et les enquêtes rebondissent. C’est dans ce contexte qu’Eric S. Rosengren, le Président de la Fed de Boston généralement vu comme un « centriste » au sein du FOMC, a indiqué que les anticipations de hausses de taux étaient trop limitées.

Une fois de plus, le rapport emploi a apporté d’excellentes nouvelles : plus de 200 000 postes créés en mars, et un rebond marqué du taux d’activité. Ce dernier élément explique la légère remontée du taux de chômage, à 5% en mars contre 4,9% au cours des deux mois précédents. Il faut y voir une évolution positive : les Américains qui, précédemment découragés de trouver un poste, avaient abandonné leurs recherches, sont massivement de retour sur le marché du travail. Le taux d’activité – soit la part des personnes en poste ou en recherche d’emploi dans la population en âge de travailler (16 ans et plus selon la définition américaine) – est passé, en l’espace de 6 mois, d’un point bas de 62,4% à 63%. Un tel bond illustre le retour en activité de quelques 2,4 millions de personnes, dont la quasi-totalité (98%) a directement rejoint les statistiques d’emploi, sans passer par un épisode prolongé de chômage.

A première vue, il semble étonnant qu’un si grand nombre d’Américains puissent passer directement d’une « non-recherche » à un emploi. C’est d’autant plus le cas que, sur ces six derniers mois, les postes créés l’ont été à temps plein. Ce phénomène illustre en fait la porosité des statistiques entre « inactifs » et « chômeurs », qui tient à la nature de la collecte des données1. Ce mouvement confirme par ailleurs les analyses de la Fed de ces dernières années, à savoir que le sous-emploi était, et demeure, bien plus important que ne le suggère le seul taux de chômage2. Ce «chômage de l’ombre », comme le nommait Janet Yellen, explique également au moins en partie la relative faiblesse des salaires dans un contexte de recul marqué du chômage.

La dynamique des rémunérations est néanmoins plus positive que ces dernières années, et une légère accélération est observable. Notre mesure préférée – le salaire horaire moyen des personnels non-cadres affectés à la production dans le secteur privé (average hourly earnings of production and nonsupervisory employees) qui couvre environ 70% des effectifs salariés – a ainsi vu son glissement annuel passer d’un point bas de 1,6% en février 2015 à 2,6% en décembre de la même année. Depuis, la progression s’est légèrement tassée, à 2,3% en mars. Sous l’hypothèse, positive sans être optimiste, que le taux d’activité va continuer à se redresser, limitant le recul du taux de chômage, l’évolution des salaires pourrait conserver cette pente d’environ 2,5% l’an. Certes, une telle évolution est bien pâle au regard des performances de 1997-2001 ou de 2006- 2008 (3,8% et 3,9% l’an, respectivement), mais dans un contexte de faible inflation, elle permet tout de même une progression du pouvoir d’achat des ménages.

C’est ce dernier élément qui sous-tend notre relative confiance quant aux perspectives de l’économie américaine, confiance qui pouvait sembler excessive au vu des évolutions du secteur manufacturier. Depuis quelques mois déjà, nous disions notre conviction que l’industrie américaine avait très certainement dépassé son point bas. L’indice ISM pour le secteur manufacturier est venu à l’appui de notre thèse, avec un rebond marqué en mars, à 51,8 (après une moyenne de 48,7 au cours des cinq mois précédents). Entre les composantes de la confiance – progression des indices « production » et « nouvelles commandes » à, respectivement, 55,3 et 58,3 – et les évolutions historiques de l’ISM, on peut attendre une progression vers 53 points dans les mois à venir.

L’autre sujet de préoccupation était la possibilité d’une « contamination » du secteur manufacturier au reste de l’économie, ce que pouvait suggérer l’ISM non-manufacturier. Ce dernier avait en effet reculé quasi constamment depuis le mois d’août dernier, enregistrant une baisse cumulée de 6,2 points. Non seulement, l’indice demeurait à des niveaux confortables, mais il a, lui aussi, rebondi en mars, à 54,5 (53,4 en février), avec des composantes «production» et «nouvelles commandes» particulièrement bien orientées, à 59,8 et 58,5 respectivement, en mars. Notre Indice M&N, une moyenne pondérée des données de l’ISM qui peut être rapprochée des indices PMI composites, a ainsi progressé de 1,3 point en mars, pour atteindre 54,1, soit un niveau qui correspond à une croissance du PIB d’environ 2,5%. Après un premier trimestre qui promet d’être décevant3, un rebond se dessinerait donc.

Dans ces conditions, le retour des anticipations d’une hausse de taux en juin n’a rien d’étonnant. La semaine dernière, Janet Yellen réaffirmait l’attachement du FOMC à une politique dépendante à l’évolution des données (data-dependent policy). Des statistiques positives conduisent donc les marchés financiers à augmenter la probabilité qu’ils attachent à une hausse de taux en juin. Pour ce qui est de la prochaine réunion, les 26 et 27 avril, la probabilité ne décolle pas. Si le FOMC se réunit huit fois par an, ce n’est qu’une fois sur deux que les réunions sont suivies d’une conférence de presse. Quelles qu’aient été les tentatives de la Fed, ses officiels n’ont jamais réussi à convaincre qu’une hausse de taux, à ce stade du cycle de resserrement, pouvait intervenir au cours d’une réunion « sans ». Les minutes de la réunion de mars indiquent que la Fed a reçu le message : si certains membres du FOMC pensent que les évolutions conjoncturelles pourraient appeler à une nouvelle hausse de taux en avril, ils sont nombreux à penser qu’agir alors pourrait attacher un caractère d’urgence à la décision, signal qu’ils ne veulent pas envoyer.

Par ailleurs, ces minutes ne nous ont pas beaucoup appris. On y trouve une fois de plus confirmation de notre analyse au lendemain de la réunion des 15 et 16 mars. 1/ Les perspectives économiques demeurent globalement inchangées ; la parfaite translation vers la gauche des projections individuelles pour 2016 confirme que les officiels de la Fed n’ont fait que « mettre à jour » leur prévision avec les dernières données disponibles. 2/ L’incertitude qui entoure les projections, dont le degré est sensiblement le même qu’historiquement, est clairement une « mauvaise » incertitude : la majorité des membres du FOMC identifie des risques baissiers sur leur prévision d’inflation, et, si les risques sont moindres sur la croissance (et surtout le chômage), ils sont aussi négatifs. 3/ Proche de la borne inférieure des taux d’intérêt, les risques sont asymétriques : resserrer plus rapidement que prévu la politique est bien plus aisé que l’assouplir davantage.

Reste un point important à souligner. Cette semaine, Eric S. Rosengren s’exprimait publiquement. Ses interventions sont toujours étroitement suivies, ce que lui vaut sa réputation de « centriste » et proche de Janet Yellen. C’est sans aucune ambiguïté qu’il a indiqué qu’il estimait les anticipations (par les marchés financiers) de hausses de taux trop limitées pour cette année, déclarant : « Alors qu’il était approprié de marquer une pause dans l’attente d’informations additionnelles permettant de clarifier la réponse de l’économie américaine aux turbulences financières, il apparaît de plus en plus clairement que l’économie encaisse plutôt bien ces chocs. En conséquence, et dans l’hypothèse que les données confirment ce constat – ce que j’attends – je crois qu’il sera probablement nécessaire de reprendre le resserrement graduel plus tôt que ce qu’impliquent les marchés à terme ».

NOTES

  1. Voir « La vérité est ailleurs – ou pourquoi la baisse du taux de chômage tarde à accélérer l'inflation aux Etats-Unis », Alexandra Estiot, Conjoncture BNP Paribas, Octobre-Novembre 2014.
  2. Voir notamment « Extension du domaine de la lutte – Janet Yellen face aux défis de la politique monétaire américaine», Alexandra Estiot, Conjoncture BNPParibas, Février 2014.
  3. Voir « On ne change pas une équipe qui gagne », Alexandra Estiot, Eco Week BNP Paribas, 1er avril 2016.

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