Etats-Unis : Mars Attacks !

par Thomas Julien, Economiste chez Natixis

Ces dernières semaines la Fed s’est lancée dans une opération de communication de grande envergure afin de préparer le marché pour une hausse des taux le 15 mars. En conséquence, nous avons revu nos attentes de politique monétaire en 2017 et 2018. Nous attendons désormais 4 hausses cette année en mars, juin, septembre et décembre (soit une de plus que ce qu’anticipe le marché actuellement) et 3 en 2018, en mars, juin et septembre dans l’idée que la Fed devra également débuter la normalisation de son bilan.

Chronique d’une hausse annoncée

Le bref discours de la présidente de la Fed qui a servi d’ouverture à son audition semi-annuelle au Congrès le 14 février contenait des éléments de langage clairement plus hawkish que ce qui était attendu. La description du marché du travail était positive en tout point avec la reconnaissance d’une amélioration au sens large du marché du travail, c’est-à-dire comprenant des indicateurs de sous-emploi (temps partiel contraint, chômeurs découragés…).

La nécessité pour la Fed de ne pas trop attendre avant de durcir la politique monétaire a une fois de plus été évoquée. La présidente a également indiqué que de nouveaux ajustements du taux Fed Funds seront requis au cours des prochaines réunions si le comité juge que l’emploi et l’inflation ont évolué en ligne avec les attentes de ce dernier.

Suivant ce discours, l’ensemble des membres du comité s’est prononcé d’une manière ou d’une autre en faveur d’une hausse des taux. Notamment, le discours de W. Dudley le 28 février a été décisif. Ce membre est considéré comme étant très proche du leadership de la Fed. Le discours de L. Brainard, à la réputation très dovish a également était interprété comme un signal fort.

Pour finir, le discours de J. Yellen le 3 mars, juste avant la période dite de blackout, a fini de valider les attentes du marché. La présidente a annoncé clairement qu’en l’absence de mauvaise surprise dans le prochain rapport sur l’emploi (qui sera publié le 10 mars) et l’inflation (le 15 mars), la Fed s’apprête à augmenter les taux ce mois-ci.

Les marchés sont convaincus

Condition sine qua non pour que la Fed puisse agir, il faut que les marchés soient un minimum préparés pour ne pas être pris au dépourvu (afin d’éviter de générer de la volatilité). C’est désormais chose faite avec une probabilité implicite de marché suffisamment élevée.

Pourquoi augmenter les taux en mars ?

Etant donné la grande prudence de la Fed jusqu’à présent (deux hausses en un an), une hausse des taux paraissait très peu probable en mars. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce changement de rythme par la Fed :

En premier lieu, l’environnement international parait propice pour le moment avec des risques externes limités à très court terme et une bonne tenue de l’économie mondiale. La réunion de mars constitue également une meilleure opportunité que celle de mai, très proche des élections françaises et qui ne sera pas suivie d’une conférence de presse.

Un contexte macro porteur…

De plus, la Fed a pu compter sur une évolution favorable des conditions domestiques propice à la justification d’un nouveau tour de vis monétaire.

Outre la bonne performance des indicateurs relatifs à la consommation (ventes au détail, dynamique du revenu disponible et confiance des consommateurs) les enquêtes auprès des entreprises ont progressé plus fortement que prévu en février. Tandis que toutes les enquêtes régionales étaient orientées à la hausse, les ISM manufacturier et non manufacturier ont atteint des niveaux qui suggèrent que l’activité accélère.

Sur le marché du travail, les nouvelles sont également bonnes : les demandes d’allocations chômage ont de nouveau touché un plus bas depuis 40 ans fin février et une forte hausse des créations d’emploi est attendue en fin de semaine (nous tablons sur une progression des NFP de 185K en février après 237K en janvier). Autant dire que la barre est haute pour avoir un chiffre suffisamment décevant qui pourrait faire changer d’avis la Fed.

… et une accélération de l’inflation

Autre surprise, l’inflation a progressé au-delà des attentes en janvier, en hausse de 2,1% à 2,5% avec des effets de base positifs, une remontée des prix de l’énergie (essence et prix de l’électricité) et surtout une hausse plus forte de l’inflation sous-jacente. Cette dernière est passée de 2,2% à 2,3% alors qu’elle était attendue en légère baisse. En cause, la forte hausse du prix des voitures neuves, de l’habillement, et du prix des transports.

Le déflateur de la consommation, la mesure de l’inflation privilégiée par la Fed a également montré des signes encourageants. Le glissement annuel a atteint 1,9% en janvier soit un niveau très proche de la cible retenue par la Fed.

Une forte hausse des pressions inflationnistes reste peu probable

Néanmoins, il ne faut pas oublier que la période hivernale aux Etats-Unis est synonyme de saisonnalité résiduelle. Ceci semble être le cas pour la composante sous-jacente du prix des biens du CPI (graphique 4). En moyenne sur les 8 dernières années, cette sous- catégorie de l’inflation sous-jacente a progressé bien plus fortement en janvier que le reste de l’année. On se trouve donc face à une hausse temporaire qu’à une rupture de tendance. Ainsi, l’inflation sous–jacente pourrait se modérer légèrement en février mais pas suffisamment pour remettre en cause la hausse des taux prévue par la Fed.

Changement de scénario pour la Fed

Le premier changement de notre scénario porte sur le timing de la prochaine hausse des taux. Nous attendons désormais une hausse de 25 pts de base à l’issue de la réunion des 14 et 15 mars.

Le deuxième changement fait suite à l’évolution de la rhétorique de la Fed qui traduit de plus en plus une volonté d’accélérer le rythme de resserrement monétaire. La Fed estime qu’elle a presque atteint ses objectifs de plein emploi et de stabilité des prix et qu’en conséquence le moment est venu de normaliser les taux pour éviter de se trouver « behind the cruve » (i.e. en retard). C’est pourquoi nous prévoyons désormais 4 hausses des taux cette année (en mars, juin, septembre et décembre) et 3 l’an prochain (mars, juin et septembre) dans l’idée qu’en 2018, la Fed devra faire évoluer sa stratégie de durcissement de la politique vers un mélange composé de hausses des taux et de normalisation du bilan.

A noter que le consensus de la Fed se situe autour d’une prévision de trois hausses de taux pour 2017 et que la majorité des membres (y compris J. yellen) n’intègre pas de changement de la politique fiscale. Dans la mesure où nous avons intégré un peu de stimulus fiscal dans notre scénario central, une prévision de 4 hausses cette année ne parait pas déraisonnable.

Pour le moment nous n’attendons pas de changement sur la politique de réinvestissement avant 2018 (voir notre Special Report sur le sujet), mais attendons plus de précisions sur les modalités de la normalisation du bilan (rythme des réinvestissements, taille du bilan, à long terme, timing…).

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