Etats-Unis : quelle crédibilité ?

par Alexandra Estiot, Economiste chez BNP Paribas

Suite au statu quo hawkish-dovish de la fin septembre, on attendait avec impatience les Minutes de la réunion du FOMC… qui ne nous éclairent que partiellement sur le sens dans lequel penche la balance.

En revanche, les Hawks nous surprennent avec un nouvel argument en faveur de la hausse des taux : la perte de crédibilité dont pourrait souffrir la Fed …

Les Minutes de la réunion du FOMC des 20 et 21 septembre étaient particulièrement attendues. Etait alors annoncée une hausse de taux imminente, la Fed réitérant par ailleurs son engagement à un environnement de taux bas sur la durée. Ce n’est pas si souvent qu’une décision de statu quo comporte des éléments hawkish1 et envoie des signaux dovish2… Il s’agissait donc de tenter de lire les Minutes au travers de ce prisme : la décision était-elle plus hawkish ou plus dovish ? C’est au final un autre élément qui aura retenu notre attention…

Le côté hawkish du 21 septembre tenait principalement à l’apparition d’une phrase dans le communiqué de presse (« Le Comité juge que les arguments en faveur d’une hausse de taux se renforcent »). A ce sujet, les Minutes laissent l‘impression qu’elle résultait d’un compromis, d’une concession des Doves, accordée afin de rallier à leur camp une partie des indécis. Il est ainsi noté l’inconfort de certains membres du FOMC, face au retour à une forme de guidance calendaire, pour qui mieux aurait fallu ne pas édulcorer la dépendance aux évolutions conjoncturelles.

Côté dovish, les Minutes font la part belle aux discussions relatives à l’évolution du taux neutre3. En septembre, les membres du FOMC avaient de nouveau abaissé leurs estimations de ce taux, et il apparaît dans les Minutes que la faiblesse des gains de productivité était le principal déterminant de ces révisions. La question – Janet Yellen l’avait soulignée en préliminaire à sa conférence de presse – du degré actuel de soutien de la politique monétaire est alors posée. Si le taux neutre est finalement plus faible que la Fed ne l’estimait auparavant, sa politique pourrait aussi être moins souple qu’elle ne le désire. Ce message vient renforcer celui des projections d’une normalisation plus graduelle – à la fois plus lente et caractérisée par une cible finale moins haute – de la politique monétaire.

Si le taux neutre est plus bas, les taux effectifs doivent aussi l’être. Si l’économie est au plein-emploi, les taux effectifs doivent s’aligner sur les taux neutres. Si le plein emploi n’est toujours pas atteint (respectivement, s’il est dépassé) les taux effectifs doivent être inférieurs (respectivement supérieurs) aux taux neutres. Reste à s’accorder sur le niveau des taux neutres et… sur la caractérisation du marché du travail. Si certains croient le plein emploi atteint4, le point de vue ne fait pas consensus : de nombreux membres estiment que le sous-emploi demeure important. Au final, le Comité semble divisé, entre ceux qui jugent l’économie au plein emploi et préfèreraient une hausse des taux au plus vite, et ceux pour qui conserver à la politique monétaire son caractère actuel permettrait une résorption du sous-emploi sans crainte pour l’inflation. Et puis il y a le centre qui, au final, emportera la décision. En septembre, il avait choisi les Doves, mais décembre pourrait marquer le ralliement aux Hawks.

Quel l’argument des Hawks pourrait faire basculer le centre ? Celui qui veut qu’à trop attendre aujourd’hui pour remonter ses taux, la Fed pourrait avoir à conduire un resserrement (trop) marqué pour combattre demain l’inflation, un sur-calibrage de la politique qui pourrait plonger l’économie en récession. Certes. L’argument des Doves n’est pas moins pertinent : les mécanismes habituels entre le marché du travail et l’inflation n’ont pas fonctionné dans un passé récent, et avant de conduire la politique en fonction des projections issues des modèles du passé, il serait opportun de pouvoir observer les signes du retour de leur validité.

Ce débat n’est pas nouveau. Les arguments ne sont pas nouveaux. Si ce n’est que les Hawks l’ont amendé, à défaut de l’étoffer, jouant sur une corde très sensible pour les banquiers centraux: la crédibilité. Les présidentes des Fed de Kansas City et de Cleveland ont toutes deux justifié leurs votes dissidents par le risque pesant sur la crédibilité de la Fed, que celle-ci soit trop discrétionnaire aujourd’hui ou qu’elle soit appelée à dévier demain du chemin aujourd’hui annoncé.

A l’heure où la Fed « manque » son objectif d’inflation pour le cinquante-deuxième mois consécutif, et où ses membres n’espèrent pas l’atteindre avant deux voire trois ans, un resserrement prématuré et/ou disproportionné porterait aussi un coup à la crédibilité de la symétrie de la cible d’inflation de 2%. Cette crédibilité-là est essentielle, à nos yeux comme, il le semble, à ceux des membres du FOMC. Les anticipations d’inflation sont mentionnées à de nombreuses reprises dans les Minutes. Stables, elles resteraient faibles, alors qu’elles sont citées parmi les facteurs qui pourraient expliquer la faiblesse de l’inflation de ces dernières années. Comme au Japon, comme en Europe et, même si c’est dans une moindre mesure, aux Etats-Unis, relever ces anticipations est le réel défi auquel se confrontent les banquiers centraux. Demain peut bien attendre.

NOTES

  1. On classe généralement les officiels de la Fed en « Doves » (ceux plaçant un poids plus important sur l’objectif de plein emploi) et en « Hawks » (ceux plaçant un poids plus important sur l’objectif de stabilité des prix). Par extension, ceux qui veulent donner un tour plus restrictif à la politique monétaire sont les Hawks, et inversement.
  2. « Riche, profond, sérieux », Alexandra Estiot, Eco Week BNP Paribas, 23 septembre 2016.
  3. Le taux neutre est le taux d’intérêt qui permet à l’économie de croître à son rythme potentiel sans générer de pression inflationniste, et qui équilibre épargne et investissement.
  4. « Some participants pointed to the slowing in payroll gains and modest pickup in wages this year and judged that the labor market had little or no remaining slack ».

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