Etats-Unis : réforme de la santé, des avancées et des obstacles

par Jean-Marc Lucas, économiste chez BNP Paribas

La Commission des finances du Sénat a adopté sa version de projet de réforme du système de santé.

Une telle réforme permettrait, selon les projections du Congressional Budget Office, d’accroître le taux de couverture de la population d’environ dix points en dix ans, sans surcoût budgétaire.

Pour qu’une réforme voit le jour, les divers projets de loi concurrents du Sénat (deux) et de la Chambre des Représentants (trois) doivent être réconciliés en un seul texte, voté par les deux assemblées.

L’harmonisation de ces textes sera délicate, étant donné les divergences constatées sur différents points clefs (option publique, taxe sur les assurances les plus coûteuses, obligation pour un employeur de proposer une assurance).

 La Commission des finances du Sénat a adopté le 14 octobre sa version du projet de réforme du système de santé (« America’s Healthy Future Act of 2009 »). Ce texte pourrait constituer le socle de l’éventuelle réforme.

Après avoir présenté les principaux enjeux de la réforme il y a quelques semaines1, nous revenons ici sur ce projet de loi et l’analyse préliminaire qu’en a faite le Congressional Budget Office (CBO), avant de rappeler le chemin qui reste à parcourir pour faire aboutir cette réforme.
 

Le projet de la Commission des finances

Les points clefs du projet

Le projet adopté par la Commission des finances comprend notamment les dispositions suivantes :

  • L’obligation faite aux ménages de se doter d’une assurance santé ou de payer une amende, à partir de 2013. Dans cette optique, les ménages disposant d’un revenu compris entre 1 et 4 fois le seuil de pauvreté fédéral bénéficieraient de subventions.
  • L’instauration de nouvelles règles sur le marché des assurances. Les assureurs ne pourraient pas refuser de candidats, ni limiter la couverture en raison d’antécédents médicaux, ni moduler les primes en fonction des différents états de santé. Les assurances les plus coûteuses (plus de 8000 dollars par personne ou plus de 21 000 dollars par famille) feraient l’objet d’une taxe, à partir de 2013.
  • L’obligation faite aux entreprises de plus de 50 salariés de proposer une couverture à leurs salariés ou de s’acquitter d’une pénalité (proportionnelle au nombre de salariés à temps plein obtenant une couverture subventionnée sur le nouveau marché des assurances). A contrario, les salariés qui se verraient proposer une assurance par leur employeur ne seraient pas éligibles à une subvention (sauf s’ils devaient, pour obtenir cette assurance d’entreprise, s’acquitter d’une prime représentant un pourcentage élevé de leur salaire).
  • Une extension du programme public de couverture santé Medicaid (destiné aux ménages moins aisés). A partir de 2014, les personnes ayant un revenu inférieur à 133% du seuil de pauvreté seraient éligibles.
  • Une croissance moins rapide des dépenses du programme public de couverture santé Medicare (destiné aux personnes de plus de 65 ans). De surcroît, une « Commission Medicare » serait installée ; elle devrait recommander des modifications afin de limiter la croissance des dépenses du programme public en cas de dérapage (modifications qui seraient automatiquement mises en œuvre, à moins d’être annulées par une action législative).

Une couverture accrue, sans surcoût, selon le CBO

Cette réforme, si elle était votée, permettrait, selon les projections du CBO et du Joint Committee on Taxation (JCT), d’accroître le taux de couverture de la population : 94% des résidents légaux disposeraient d’une assurance en 2019, contre 83% actuellement. La population démunie d’assurance serait ainsi divisée par deux d’ici en l’espace de dix ans, de 51 à 25 millions. Bien que sérieusement réduite, la population sans couverture santé resterait donc significative.

Le coût de cette extension de la couverture santé s’élèverait, selon le CBO, à 829 milliards de dollars sur dix ans, un montant inférieur au plafond évoqué par Barack Obama (900 milliards de dollars). Ce coût se décomposerait comme suit : 461 milliards de dollars au titre des subventions ; 345 milliards de dollars au titre de l’extension de Medicaid et du Children's Health Insurance Program (CHIP) ; 23 milliards de dollars au titre du crédit d’impôt incitant les petites entreprises à proposer une assurance.

Cependant, dans son ensemble, cette réforme serait, selon le CBO, neutre sur un plan budgétaire au cours des dix années à venir. Les premiers calculs de l’organe bipartisan du Congrès suggèrent même des économies marginales, d’un montant de 81 milliards de dollars sur la période 2010-2019. Le CBO juge que les économies résultant des modifications apportées aux programmes publics (Medicare, Medicaid et CHIP) (404 milliards de dollars) et les recettes supplémentaires (196 milliards de dollars) pourraient plus que compenser l’accroissement net des dépenses lié à l’élargissement de la couverture santé (518 milliards de dollars).

Une bataille, pas la guerre

Réconcilier les différents textes

Cette estimation préliminaire du CBO est donc positive pour le projet de loi de la Commission des finances : celui-ci permettrait d’accroître la couverture de la population sans surcoût. Ce second point est d’importance alors que le déficit fédéral pour l’année fiscale 2009 (achevée le 30 septembre) a atteint 1 417 milliards de dollars, soit 10% du PIB, et que l’évolution des dépenses de santé sera déterminante pour le déficit dans les années à venir (encadré, page suivante).

Cependant, pour qu’une réforme voit effectivement le jour, les divers projets concurrents du Sénat (celui de la Commission des finances et celui de la Commission de la santé) et de la Chambre des Représentants (trois) devront être réconciliés en un seul texte, lequel devra être adopté par les deux assemblées. 

L’harmonisation de ces textes sera délicate, étant donné les divergences constatées.

En particulier, les points suivants ne sont pas encore tranchés, au sein même de la majorité démocrate :
– La présence, ou non, d’une assurance santé publique pour concurrencer les assurances privées. Alors que le projet de la Commission de la santé du Sénat prévoit une assurance publique, celui de la Commission des finances n’en instaure pas. L’aile « libérale » et l’aile « modérée » du parti démocrate font toutes deux pression, indiquant que leur vote n’est pas acquis si elles ne sont pas satisfaites sur ce point. A la Chambre des Représentants, « l’option publique » devrait être retenue (car présente dans les différents textes issus de cette Chambre).
– L’instauration, ou non, d’une taxe sur les assurances santé les plus coûteuses (« cadillac tax »). Alors que le projet de la Commission des finances prévoit une telle taxe, cette option est rejetée par beaucoup. Certains estiment que cette mesure renchérirait le coût de l’assurance (la taxe étant in fine supportée par les assurés). Le risque que cette taxe touche rapidement la classe moyenne, et pas seulement les ménages les plus aisés, peut également être souligné, la croissance des dépenses de santé risquant de dépasser le rythme d’indexation du seuil d’imposition (inflation + 1%).
– L’obligation, ou non, pour un employeur de proposer une assurance santé à ses salariés. 

Des problèmes non traités ?

Au-delà des difficultés qui demeurent pour faire aboutir la réforme, les défauts du système de santé américain ne seront sans doute pas tous réglés par cette réforme.

En particulier, l’exemption fiscale des assurances santé d’entreprises, qui incite à choisir des assurances coûteuses, serait maintenue en deçà de seuils élevés (8 000 dollars par personne, 21 000 dollars par famille). Par ailleurs, certains mécanismes clefs de la hausse des coûts (parcours de soins inefficaces, réalisation d’actes médicaux en vue de se prémunir contre le risque de procès, etc.) ne sont pas visés par la réforme en cours.

Le secteur de l’assurance regrette, pour sa part, que l’assurance santé ne devienne pas complètement obligatoire (une amende pouvant être acquittée par ceux qui préfèrent ne pas en souscrire), craignant que les nouveaux assurés aient un profil plus risqué que celui de la population moyenne (sélection adverse), une évolution qui pourrait in fine soutenir la hausse du coût de la santé. Ce risque peut d’autant plus être souligné que, dans le même temps, les assureurs ne pourront plus refuser de candidats.

NOTES

  1. Ecoweek 09-35 : « Etats-Unis : réforme du système de santé : accords et désaccords ».

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