Etats-Unis : vers un QE 3 ? Zone euro : Drachmatisation ?

par Koen Van de Maele, Responsable de la gestion obligataire, Nicolas Forest, Responsable de la stratégie des taux, et Isabelle Rome, Responsable de la stratégie Crédit chez Dexia AM

Après une remontée des taux longs au premier trimestre, les dernières semaines ont été marquées par une appréciation générale des bons du trésor américain. La sous-performance des actifs risqués combinée à de mauvaises surprises économiques expliquent cette baisse continue des taux longs. Le taux à 10 ans a ainsi effacé son précédent record de 1,78 % et s’établissait désormais au niveau historique de 1,55 % fin mai.

Plusieurs éléments expliquent cette récente performance des « Treasuries ». D’un point de vue macroéconomique, bien que la croissance américaine devrait être positive en 2012, les dernières données publiées ont été assez décevantes : la croissance pour le premier trimestre de l’année a été révisée à 1,9 % contre 2,2 % précédemment. Les dépenses de consommation, ainsi que la confiance des consommateurs et finalement les créations d’emploi pour le mois de mai ont toutes surpris à la baisse. Certes le taux de chômage poursuit sa décrue (aujourd’hui proche des 8 %) mais c’est plus dû à la baisse du taux de participation qu’à de fortes créations d’emplois. Les indices ISM sont également à la baisse depuis quelques mois, bien qu’ils demeurent clairement au-dessus des 50. Quant au marché immobilier, il montre quelques signaux positifs avec le rebond de l’indice NAHB mais les prix sont à la baisse et les taux de prêts non performants dramatiquement élevés. La reprise reste donc fragile et ne permet pas encore de resserrer les leviers monétaires et budgétaires activés aujourd’hui à leur maximum.

Monétairement, la Réserve fédérale est extrêmement accommodante grâce à une politique de taux zéro et une gestion intelligente de son bilan (renouvellement des échéances et rallongement de sa duration via l’opération Twist). Le dernier comité FOMC a confirmé ce biais laissant peu de marge à un resserrement d’ici 2014. De plus, la Réserve fédérale pourrait envisager d’implémenter une troisième opération d’assouplissement quantitatif (« QE3 ») si les craintes d’un ralentissement du marché de l’emploi devaient se matérialiser. Budgétairement, la situation est cependant plus sensible. En fin d’année 2012, toute une série de mesures fiscales mises en place par les administrations Bush et Obama devraient automatiquement s’arrêter. C’est le fameux « fiscal cliff ». On évalue toutes ces mesures à près de 3,5 % du PIB, ce qui impacterait significativement la croissance à la baisse. Il fait peu de doute que le nouveau président américain élu en novembre devra reporter une partie de ces mesures afin d’éviter un tassement trop important de la croissance. Mais l’ampleur de ce report est encore incertain et sera prépondérant pour déterminer ce que sera la croissance et le budget en 2013. En effet si la nouvelle administration maintenait ces supports budgétaires, le déficit américain devrait rester encore proche des 6 % en 2013 et la dette fédérale américaine pourrait croître au-delà de 90 % du PIB.

Notre positionnement reste défensif. Nous continuons à délaisser les maturités courtes dont le rendement à 0,25 % sur 2 ans nous semble peu attractif. Sur le taux longs malgré la cherté évidente des bons américains, le « flight to quality » nous incite à rester neutres par rapport à l’indice malgré une valorisation exagérée.

Zone euro : « Drachmatisation » ?

Après un début d’année marqué par l’apaisement des taux périphériques, les élections grecques du mois de mai ont rallumé l’incendie de la contagion. 6 mois après les deux LTROs, le malade européen se réveille avec «la gueule de bois», et tous les taux périphériques sont désormais repartis à la hausse. Trois points sont selon nous cruciaux pour sortir de cette crise :

  1. la sortie ou non de la Grèce de la zone euro ;
  2. la mutualisation de la dette;
  3. la gouvernance européenne.

Sans des réponses précises à ces 3 points, la zone euro restera menacée et sans aller dire comme Georges Soros « qu’il reste à la zone 3 mois pour survivre », il faut bien constater que la pression se fera grandissante.

La Grèce tout d’abord, foyer de l’incendie est aujourd’hui un problème non résolu. Les élections du 17 juin vont sans doute illustrer l’opposition du peuple grec aux mesures d’austérité qui jusqu’ici ont créé davantage de récession que de surplus budgétaire. La capacité ou non du nouveau gagnant à former une coalition sera déterminante dans un premier temps. Dans une seconde étape, un bras de fer inévitable autour des conditions du plan de sauvetage aura lieu face à l’Union européenne et au FMI. Il faudra une nouvelle fois trouver un compromis sous peine d’emmener la Grèce vers une porte de sortie qui risque de coûter très cher à l’Europe tout entière. Si les coûts directs de la sortie semblent gérables (moins de 4 % du PIB européen), les coûts indirects liés à la contagion via le secteur bancaire sont beaucoup plus incertains.

Notre scénario principal n’anticipe pas de sortie mais il faudra suivre très attentivement les discussions qui, une nouvelle fois préjugeront de l’avenir de l’Europe. La mutualisation de la dette est le deuxième point éminemment crucial pour les prochaines années. Alors que les Allemands travaillent actuellement sur un fonds de rachat de la dette (ERF), différentes solutions seront débattues dans les prochains mois. Une plus grande union fiscale combinée à des émissions conjointement garanties par les Etats seront des étapes importantes vers une mutualisation, objectif ultime pour résoudre la crise de la dette. Tous ces points ne seraient rien sans la mise en place d’une gouvernance adéquate. Plus que jamais les gouvernements européens entrent dans ce qu’il faut appeler un « moment de vérité ». Alors que jusqu’ici, aucun sommet européen qualifié maintes fois de « sommets de la dernière chance », n’a convaincu les marchés : l’Europe politique doit trouver des solutions et une communication appropriée. Les opérations de la BCE ont été jusqu’ici les seules efficaces pour juguler la spéculation. Le défi des prochains mois serait que les autorités budgétaires puissent réaliser avec la même audace un projet capable de convaincre les marchés. Tâche éminemment difficile… Dernier contre-exemple en date, le plan de recapitalisation des banques espagnoles de 100 milliards d’euros. Le plan aura convaincu les marchés le temps d’une matinée. Le manque de détails, le risque de subordination ou l’impact sur les garanties existantes ont contribué à renforcer la crise de confiance.

Dans ce contexte, nous sommes clairement négatifs sur tous les pays dits périphériques. Pour devenir plus confiants sur ces dettes, il faudra des réponses à nos trois points. Grèce, mutualisation des dettes et gouvernance, tout un programme pour l’été qui vient !

Stratégie crédit : la grippe espagnole

Après un mois d’avril sous le signe de la fébrilité, le mois de mai quant à lui a connu un accès de fièvre. Les spreads sur le marché du crédit ont connu une période d’agitation au cours du mois. Le marché a marqué le coup de la dégradation de la situation en Espagne, provenant de la nationalisation partielle de Bankia (45 %) et de la nécessité pour l’Etat espagnol de recapitaliser cette dernière avec une rallonge supplémentaire de 19 milliards, faisant craindre aux investisseurs d’autres surprises concernant l’exposition aux problèmes immobiliers dans le secteur bancaire ibérique. Outre les soucis sur les périphériques reprenant le devant de la scène avec un écartement significatif des taux à 10 ans sur l’Espagne (venant toucher les 6,70 %), les agences de notations ont continué leur travail de dégradation avec Moody’s réduisant les notes des banques italiennes et espagnoles ainsi que Standard and Poor’s réduisant la notation des régions espagnoles. Durant la même période les craintes d’un départ de la Grèce de la zone euro (surnommé « Grexit ») ont également pesées fortement sur les actifs risqués en particulier le crédit.

Par conséquent, les primes de risques se sont à nouveau écartées sur les indices iTraxx de dérivés de crédit en mai, l’iTraxx Sub Fin est passé de 390 points de base à 490 points de base, soit un écartement significatif de 100 points de base. Les dépôts ont également connu une certaine faiblesse, particulièrement sur les périphériques dans le sillage des craintes sur l’Espagne au cours du mois de mai, sur les émetteurs financiers aussi bien que sur les non- financiers.

La performance du crédit se détériore en mai, après un début d’année exceptionnel. La performance s’élève à -1,03 % d’excess return vis-à-vis de la dette souveraine (3,44 % depuis le début de l’année) et à 0,2 % en rendement total (5,91 % depuis le début de l’année).

En mai, nous sommes restés légèrement négatif envers les secteurs financier et non financier. Nous avons réduit notre exposition à Nokia suite à la dégradation de l’émetteur (high beta). Nous avons participé à deux émissions primaires, l’une sur PACCAR, l’autre sur Hutchinson Whampoa.

Etats-Unis contre Europe : une divergence de croissance, mais un ralentissement affecté par l’emploi semble poindre à l’horizon.

Dans un contexte d’aversion au risque, similaire à ce que nous avions connu en 2011, les actifs risqués ont été affectés d’une part par les données économiques défavorables et d’autre part par le renouvellement d’incertitudes politiques dans la zone euro avec les élections organisées en Grèce.

Malgré la dégradation sensible du climat, et les chiffres négatifs (ISM, emploi, etc.), la performance du crédit reste encore en territoire positif sur l’année alors que de nombreux indices actions quant à eux, ont clairement effacés leurs gains pour basculer dans le rouge. Les attentes de résultats pour 2012 pour les sociétés américaines se sont dégradées, avec en moyenne une progression des ventes attendues de 5 % et un résultat net en progression de 6,80 % sur 2012. En Europe, les ventes sur 2012 ne devraient progresser que de 2,2 % et les résultats nets de 20 % en 2012, conséquence d’un effet de rattrapage sur 2011, les attentes fin 2011 ayant été extrêmement négatives.

Un projet de directive européenne sur la résolution bancaire sans grande surprise

L’attente fût longue mais le projet de directive européenne sur la résolution bancaire des établissements financiers en difficulté a livré ses derniers secrets aux détenteurs obligataires. Tout d’abord, comme anticipé, il n’y a pas de période de grâce pour les dettes existantes (y compris la dette senior) mais en contrepartie le délai de mise en application est fixé au 1/1/2015 avec un report spécifique au 1/1/2018 pour les mesures de bail-in. L’instrument de bail-in permet de recapitaliser la banque en sanctionnant les actionnaires et les créanciers. Sont exclus les dettes sécurisées, les dépôts garantis et les dettes à court terme (inf. à un mois). En cas de bail-in, la hiérarchie des créanciers sera préservée avec annulation totale des actions puis des dettes subordonnées avant d’impacter les dettes senior. Les créanciers senior seront tous « pari passu » y compris le fonds de garantie des dépôts. L’impact sur les dettes subordonnées est négatif surtout pour les établissements les plus faibles. Près de 80 % des dettes senior actuelles dans l’iBoxx Corporate All seront arrivées à maturité d’ici le 1er janvier 2018, une discrimination par qualité d’émetteurs et de maturité pourrait entraîner un re-pricing sélectif.

Positionnement stratégique et conclusion

Dans un contexte de dégradation économique, les indicateurs économiques en Europe continuent d’indiquer une légère récession et un léger affaiblissement de la croissance américaine. La prudence reste de mise pour les prochains trimestres. La revue des notations des 114 institutions européennes par l’agence de notation Moody’s a entraîné des abaissements de notations sur les banques des pays périphériques. Après les ajustements des banques italiennes et espagnoles, nous restons vigilants pour la suite. Les regains de tensions sur les pays périphériques appellent également à la prudence, que ce soit sur l’Espagne mais aussi dû au risque lié aux élections grecques. Ce sont désormais les données politiques qui viendront peser sur la performance du marché du crédit dans les mois qui viennent. Dans ce contexte, nous demeurons vigilants avec un biais légèrement négatif. Nous restons sous-pondérés sur les crédits des pays périphériques et sur les poches « high beta » (les dettes financières subordonnées et les crédits BBB).