Europe de l’Est : l’exemple des ajustements difficiles

par Magda Branet, stratégiste chez Axa Im

La crise a entraîné une impressionnante détérioration des finances publiques à travers le monde. Les pays d’Europe de l’Est n’ont pas été épargnés. Les causes et les caractéristiques de cette dégradation diffèrent toutefois à l’intérieur même de la région et avec les économies occidentales voisines.

Faiblement endettée, mais encore fragile

Le niveau des dettes publiques et des déficits en Europe de l’Est était sensiblement inférieur en 2007 à la moyenne de l’Union Européenne. Pour les nouveaux membres1 de l’UE, le ratio dette sur PIB était de 36%, contre 71% pour le « noyau dur »2 et 85% pour les pays à la « périphérie »3 de la zone euro.

La situation interrégionale était toutefois fort différente. En règle générale, les plus petites (et plus pauvres) économies des Balkans et de la Baltique remplissaient les critères de Maastricht (dette et déficit respectivement inférieurs à 60% et 3% du PIB) avant la crise. Ce n’était pas le cas des « grands » pays d’Europe centrale. Ainsi, la Hongrie dépassait les deux seuils, comme les membres plus « anciens » de l’UEM. En effet, en 2007, seuls les Pays-Bas et la Finlande étaient alors dans les limites imposées par le traité.

A l’évidence, un faible niveau d’endettement du secteur public ne reflétait pas forcément des économies plus saines.

En fait, lorsque la crise a éclaté, les caractéristiques insoutenables de certains pays ont été révélées, notamment celles corrélées aux déséquilibres croissants de leur secteur privé (expansion incontrôlée du crédit). Leur dépendance envers les financements étrangers (déficit des paiements courants proche de 20% du PIB dans les pays baltes) a entraîné une crise typique de la balance des paiements en 2008. Par ailleurs, une étude plus attentive des finances publiques révèle que de nombreuses faiblesses ont été masquées par les bons niveaux de déficit et de dette affichés, favorisés par la forte croissance économique tant avant qu’après l’adhésion à l’UE.

Des politiques budgétaires historiquement pro-cycliques

De fait, les balances budgétaires structurelles de la plupart des pays d’Europe de l’Est (corrigées des effets cycliques) se sont dégradées entre 2002 et 2006. Les pays relativement plus riches d’Europe centrale, République Tchèque, Pologne et Hongrie (PECO3), ont connu à cette période une hausse du niveau de leur ratio de dette sur PIB. Le pire cas fut celui de la Hongrie où les déficits et la dette atteignaient respectivement 10% et 66% du PIB en 2006.

A l’inverse, les économies les plus pauvres de la région (Slovaquie, Roumanie, Bulgarie et les pays baltes) ont vu un fort recul de leur dette publique en termes de PIB – mais pas toujours grâce au conservatisme budgétaire.

D’un côté, la Slovaquie a suivi le chemin plutôt vertueux des réformes, grâce auxquelles les dépenses publiques ont été ramenées de 48% à 25% du PIB entre 2001 et 2008. Cela a permis de réduire drastiquement la pression fiscale. La Slovaquie a été l’une des premières à mettre en pratique un régime d’imposition à taux unique (de 19%). Le solde budgétaire structurel a augmenté de 1% à cette période. En 2007, l’endettement en termes de PIB reculait de 13 points, à 30%.

D’autres exemples de prudence budgétaire ont été donnés par des pays en régime de caisse d’émission (currency board), soit l’Estonie, la Lituanie et la Bulgarie.

D’un autre côté, il y a les resquilleurs, comme la Lettonie et surtout la Roumanie. Bien que tous deux aient réussi depuis 2002 à faire baisser leur dette publique, cela est davantage dû à la forte croissance économique, alors que les soldes structurels se dégradaient. En 2007, alors que la croissance économique accélérait à 7%(A), le budget roumain affichait un déficit de 2,5%. La balance cycliquement ajustée était pire, à -4,4% du PIB, et elle est ensuite descendue jusqu’à -7,8% du PIB en 2008. En Lettonie, la balance budgétaire ajustée du cycle s’est aussi dégradée en passant de -0,2% en 2001 à -3% du PIB en 2006.

Le jeu des ajustements

Au total, la situation budgétaire était relativement saine en 2008 lorsque la crise a éclaté, sans doute davantage grâce à la chance qu’à des politiques rigoureuses. Toutefois, fin 2007, la moyenne du déficit des paiements courants des nouveaux pays membres de l’UE était de 13% du PIB. La crise des paiements extérieurs était inévitable.

Deux ans plus tard, renversement de situation. En moyenne, la balance des paiements courants a progressé de 9 points de PIB, alors que le solde budgétaire a baissé de 3,6 points. Cela est dû au désendettement du secteur privé qui a entraîné une forte récession, qui a causé à son tour une baisse des revenus budgétaires. La plupart des pays n’ont pas pu faire de relance fiscale, étant au contraire forcés de réduire très fortement les dépenses.

Les modèles d’ajustement ont été assez différents d’un pays à l’autre. Rares sont les pays qui ont eu besoin de faire appel au programme de soutien habituel du FMI (avec l’aide de l’UE, qui a prêté 15 mds EUR par le biais de facilités des paiements courants pour les nouveaux membres). La Lettonie, la Roumanie et la Hongrie, qui sont dans ce cas, faisaient aussi parties de ceux qui n’avaient pas pratiqué une politique budgétaire suffisamment restrictive avant la crise.

Grâce à leurs fondamentaux relativement plus solides, la Pologne, la Slovaquie et la République Tchèque ont pu résister à la crise à l’aide d’outils domestiques : léger allègement de la politique budgétaire, déprécation de la devise (sauf pour la Slovaquie, membre de l’UEM depuis 2009). Les récessions furent relativement plus modérées pour les deux premières économies (respectivement -4% et -5% de la croissance PIB en 2009), alors que la Pologne est restée en territoire positif tout du long. En conséquence, l’amélioration du déficit des paiements courants a été modeste (+3% du PIB en moyenne).

Toutefois, la dette publique polonaise pourrait atteindre 55% du PIB cette année, seuil qu’une règle budgétaire auto-imposée l’empêche de violer. Un resserrement fiscal et une accélération du rythme des privatisations seront donc nécessaires pour rassurer les marchés en 2010.

La Lituanie et l’Estonie ont été des spécimens atypiques dans le processus d’ajustement. Aucune demande d’aide externe n’a été formulée malgré un choc massif et leurs devises sont restées ancrées sur l’euro. Avec une dette publique de seulement 5% du PIB, un excédent budgétaire et un fonds de réserve proches des 10% du PIB, l’Estonie a abordé la crise avec des finances publiques excessivement saines. Fin 2009 et après une contraction du PIB de quelques 15%(A), son déficit budgétaire aurait dû atteindre 4%, alors que tous ses pairs, sauf la Bulgarie (avec un excédent de 0,4% du PIB), ont des déficits plus importants. Dernière cette étonnante performance, se trouvent des mesures telles qu’une baisse de 7% des salaires de la fonction publique, des réductions des dépenses de santé et des hausses de la TVA. En conséquence, la balance des paiements courants est passée de -18% à +2,5% du PIB. Le ratio de la dette devrait rester très faible en 2010 et 2011 (10% du PIB) et offrir ainsi à l’Estonie une véritable chance d’adhésion à l’UEM en 2011.

Ce type d’ajustement (sans aucun soutien de la part du taux de change) offre un contraste saisissant avec ce que les pays membres de l’UEM entrés en crise en situation de « déficits jumeaux » ont réussi à faire. En moyenne, le déficit budgétaire des pays de la périphérie de la zone euro est passé de -2% (moyenne entre 2002 et 2007) à -10% du PIB, alors le déficit des paiements courants s’est à peine améliorer de -8% à -7% du PIB. La dette publique et/ou privée est élevée, notamment en Grèce, en Espagne et au Portugal.

Conclusions

En Europe de l’Est, les pays qui n’ont pas profité des années de forte croissance pour améliorer leurs finances publiques, en plus d’avoir permis une envolée de l’endettement du secteur privé, ont été très fortement affectés par la crise et ont eu besoin de recourir à l’aide des institutions financières internationales. L’expérience de deux pays baltes (l’Estonie et la Lituanie) montre que d’importantes réductions des déséquilibres macroéconomiques peuvent être réalisées tout en maintenant des taux de change fixes, si la politique budgétaire est rigoureuse (présence de réserves fiscales, faible taux d’endettement au départ). Les pays de l’Est sont plus avancés dans le processus d’ajustement de leurs déséquilibres que les pays « périphériques » de la zone euro, qui affichent toujours des déficits jumeaux (budgétaire et des paiements courants) importants. Ces pays devront réduire leur endettement public (Grèce), privé (Espagne) ou les deux (Portugal).

NOTES

  1. République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Pologne, Lituanie, Lettonie, Estonie, Roumanie et Bulgarie
  2. Pays-Bas, Autriche, Belgique, Finlande, France et Allemagne
  3. Irlande, Espagne, Italie, Grèce et Portugal