France : la chute historique du PIB se confirme

par Julien Manceaux, Senior Economist chez ING

Les chiffres de la croissance du PIB au T1 montre un chiffre en ligne avec les estimations de la baisse d’activité données par les enquêtes menées au début du confinement. Et pour cause : il n’y a pas de nouvelles données pour cette période dans le secteur des services et de la construction. Si elle ne livre pas grand-chose de neuf, cette estimation est néanmoins un point de référence indispensable pour la suite.

  • Une contraction historique du PIB au T1 se confirme
  • L’estimation de son ampleur se base pour beaucoup sur les enquêtes réalisées au début du confinement et pourrait donc être fortement révisée
  • Les investissements semblent en baisse de plus de 60% pendant les deux dernières semaines de mars
  • L’écart de PIB par rapport à la trajectoire précédant le confinement devrait atteindre 20 au T2
  • Une part non négligeable de cet impact exceptionnel devrait persister au-delà de la reprise attendue au second semestre x C’est une première estimation

En France, les statistiques du PIB au premier trimestre sont loin d’avoir livré leurs secrets. Nous disposons d’une première estimation, qui indique une contraction du PIB de 5,8% au premier trimestre, soit légèrement en-deçà de la contraction observée au second trimestre de 1968 qui était jusqu’ici la plus forte depuis 1949. Ce chiffre est cohérent avec les estimations faites plus tôt par l’INSEE d’une économie tournant à 65% de ses capacités pendant les deux dernières semaines de mars. Les consommateurs, confinés chez eux, ont réduit leurs achats non-alimentaires à leur plus simple expression : la consommation baisse de 6,1%. Les activités d’importation et d’exportation ont aussi marqué le pas (-5,9% et -6,5% respectivement). Les investissements sont eux aussi pratiquement à l’arrêt : les chiffres disponibles confirment que la baisse d’activité, notamment dans l’industrie, a mené à une réduction des investissements de près de 12% au premier trimestre, ce qui implique des investissements en baisse de plus de 60% pendant les deux dernières semaines de mars !

Cette estimation est particulièrement fragile

La première estimation du PIB se fait toujours sur des données partielles. Cependant, les enquêtes disponibles et les modèles économétriques permettent généralement un résultat très préçis malgré le manque de données pour les dernières semaines du trimestre, résultat marginalement révisé par la suite. La situation actuelle est bien entendu particulière et les précautions méthodologiques de l’INSEE1 apportent plus d’informations que le résultat lui-même.

Les données ne sont complètes que pour certains secteurs (production industrielle, douanes, commerce de détail et énergie, pour l’essentiel). Pour les services et la construction, l’INSEE a estimé l’activité des semaines de confinement en fonction de son enquête de conjoncture du début du confinement. Ainsi , « ces estimations s’interprètent comme la baisse d’activité de la semaine du 23 au 29 mars 2020 liée aux mesures de confinement intervenues le 17 mars. Pour estimer l’évolution sur l’ensemble du mois de mars, l’hypothèse retenue est celle d’une évolution nulle en glissement annuel sur la 1re moitié du mois de mars et d’une évolution égale à la baisse instantanée d’activité ou de consommation sur la deuxième moitié du mois mesurée dans le Point de Conjoncture ».

Cela signifie que cette première estimation respose en grande partie sur les enquêtes réalisées au début du confinement et ne nous apprend pas grand-chose de neuf sur ce qui s’est réellement passé en dehors de l’industrie.

Cette estimation est un point de départ précieux

Si seulement une partie de l’estimation repose sur des éléments neufs, elle n’en a pas moins le mérite de poser un point de référence. En effet, il faut s’attendre à une révision importante, surtout si la réalité devait se montrer différente de ce que les enquêtes ont montré au début du confinement. En fait, l’ampleur de la révision de l’estimation actuelle donnera une information primordiale : ces enquêtes, qui montraient une économie tournant à 65% de son régime normal, reflétaient-elles la réalité ? Si c’est le cas, les estimations pour le T2, et donc pour la contraction de 2020, seront aussi plus précises.

Ainsi, si les chiffres définitifs confirment cette première estimation, l’écart de PIB par rapport au niveau attendu au T1 2020 (sans confinement) est de 6,5%. Cet écart devrait se creuser pour atteindre environ 20% au T2, après une contraction encore plus importante due au nombre plus élevé de semaines passées en confinement au T2 (6 au lieu de 2). Cela devrait porter la croissance totale de 2020 à environ -9%, à compter sur une reprise rapide au T3.

…et devrait donner lieu à des commentaires de la BCE

Au niveau européen, le choc sur la croissance devrait être discuté cette après-midi. Christine Lagarde a en effet parlé d’une contraction poyentielle de l’activité de 15% en zone euro en 2020. Il reste à savoir s’il s’agit d’une prévision officielle de l’institution, auquel cas, de nouvelles mesures pourraient être prises, mais sans doute pas cette semaine où une communication volontariste devrait être privilégiée.

Cela ne signifie pas que la BCE en a terminé. En fait, étant donné l'ampleur de la contraction, la faiblesse de l'inflation et la baisse des attentes en matière d'inflation, ainsi que le risque d'un nouvel élargissement des écarts de rendement des emprunts d'État, nous nous attendons à ce que la BCE renforce son programme d’achat d’actifs (PEPP). La réunion de juin, avec un nouveau cycle de projections économiques officielles, serait le bon moment pour l’annoncer. L'augmentation du programme pourrait suivre les principes du dernier assouplissement des garanties, qui incluent dans les collatéraux acceptés depuis quelques jours les obligations « d'anges déchus » (des entreprises dont la notation était au-dessus du seuil d’investissement avant le confinement mais ont été rétrogradée depuis). Il semblerait logique que la BCE finisse par ajouter des obligations de ces "anges déchus" à son programme d'achat. La BCE pourrait même aller plus loin et envisager d'acheter des obligations de banques.

NOTES

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