France : quel impact du Brexit sur l’économie ?

par Olivier Eluère et Ludovic Martin, économistes au Crédit Agricole

  La France comme l’ensemble des pays de l’Union européenne va être affectée par la sortie du Royaume-Uni de l’Union euro- péenne.

•  L’impact restera toutefois modéré. À court terme joueront les turbulences des marchés et une dégradation du climat des affaires.

•  À moyen terme, la croissance sera impactée par un ralentissement des exportations et des investissements étrangers.

•  Au total, l’impact négatif sur la croissance française serait assez mesuré et étalé dans le temps, de l’ordre de 0,4% en cumulé en 2016-2019, si la sortie se fait avec un accord de libre-échange (ALE), et de 0,6% sans ALE.

•  Les grandes lignes de notre prévision restent donc à peu près inchangées. On attend la poursuite d’une reprise graduelle et mesurée, avec une bonne tenue de la consommation privée et un léger ralentisse- ment de l’investissement.

Il est très difficile de savoir selon quelles modalités le Royaume-Uni va sortir de l’UE. Dans notre scénario, un processus de négociation entre le Royaume-Uni et l’UE s’engage en septembre, après l’élection d’un nouveau leader du parti conservateur. Mais la durée des négociations (deux ans, voire plus) et les contours de l’accord (libre circulation des biens, mais interrogations sur la libre circulation des personnes, des services…) restent très incertains et d’autres scénarios sont évidemment possibles.

L’économie britannique va être clairement affectée par le Brexit, via différents canaux : une forte baisse de la livre, qui peut améliorer la compé- titivité des exportations mais qui va nettement renchérir les importations et aggraver un déficit commercial déjà important; une baisse de la consommation, via l’inflation importée ; à plus long terme, une diminution des exportations britanniques vers l’UE, plus ou moins forte en fonction de l’accord négocié avec l’UE et une baisse des investissements directs étrangers.

Quelles conséquences peut-on attendre pour la France ?

– Des effets immédiats négatifs mais modérés

Dans un premier temps, le Brexit entraîne une forte baisse de la livre, une chute des bourses et des mouvements marqués sur les taux obliga- taires. Les marchés financiers vont connaître une grande volatilité au cours des prochains mois. De plus, le Brexit suscite de nombreuses interroga- tions : risque de contagion à d’autres pays de l’UE qui pourraient envisager une sortie de l’UE, risque de renforcement de la montée des populismes et de l’euroscepticisme, fortes incertitudes sur le processus de négociation, sa durée, son impact final.

Tous ces éléments vont renforcer l’attentisme des agents économiques en Europe et notamment en France. Notre pays connaît un mouvement de reprise qui reste pour l’instant graduel et fragile. La croissance est pénalisée par un certain nombre de freins, notamment le déficit structurel de compé- titivité, qui ne se résorbera que progressivement, le niveau élevé du taux de chômage, la poursuite de la consolidation budgétaire et les incertitudes sur les pays émergents.

Le Brexit et ses effets induits sont donc autant de facteurs négatifs supplémentaires, qu’il ne faut pas surpondérer, mais qui vont renforcer les comporte- ments prudents et attentistes des entreprises françaises. Les dépenses d’investissement et de stocks, qui amorçaient une reprise plus pérenne, risquent de ralentir à nouveau au cours des prochains trimestres. Dans ce contexte la crois- sance de l’investissement resterait assez modérée en dépit de l’amélioration des profits induite notamment par le CICE et le pacte de responsabilité ainsi que par la mesure de sur-amortissement de l’investissement industriel qui suscite actuellement un effet d’aubaine. L’investis- sement des entreprises progresserait de 4,9% en 2016, puis de 3,6% en 2017. Plus marginalement, les turbulences sur les marchés financiers pourraient entraîner des effets de richesse négatifs et ralentir la consommation des ménages. Notons également que le pouvoir d’achat des ménages retraités britanniques installés en France sera réduit par la baisse de la livre, ce qui pèsera sur la consommation, notam- ment dans certaines régions (Dordogne, Côte d’Azur).

Notre prévision de croissance pour 2016-2017 est donc révisée en baisse, mais modérément. Le coût du Brexit pour la croissance en France serait limité, de l’ordre de 0,1-0,2% sur cette période. Nous maintenons un scénario de reprise graduelle et modérée, avec une croissance du PIB de 1,5% en 2016 et 1,4% en 2017 (après 1,2% en 2015).

En dépit d’une conjoncture mondiale morose, la croissance en France bénéficie des mesures de soutien aux entreprises et de la conjonction de facteurs externes (faible remontée du prix du pétrole, taux d’intérêt très bas et taux de change de l’euro plutôt favorable). Au premier trimestre de 2016, le rythme de croissance a surpris favo- rablement (+0,6% t/t). Au-delà, la croissance serait plus mesurée (+0,3% par trimestre). La consommation des ménages va rester soutenue, 1,9% en 2016 et 1,6% en 2017. Elle bénéficie du niveau très faible de l’inflation qui ne remonterait que très progressivement (0,2% en 2016 et 0,8% en 2017), ce qui permet une progression du pouvoir d’achat. L’investissement va un peu ralentir en 2017 (cf. supra). La contribution du commerce extérieur serait négative en 2016 puis neutre en 2017. Le contexte de change reste favorable et soutient les exportations françaises, mais l’« effet euro » serait moins significatif qu’en 2015. On prévoit que l’euro continuerait de se déprécier légèrement en lien avec la politique monétaire accommodante de la BCE en 2016 et 2017 (euro/dollar à 1,09 fin 2017). Par ailleurs, la croissance mondiale freinerait en 2016, avant d’accélérer un peu en 2017. À noter enfin que les créations d’emplois resteront modérées et que le taux de chômage ne diminuerait que lentement ; on attend 10% en 2016 et 9,8% en 2017, après 10,4% en 2015 (France y.compris DOM-TOM).

– Effets à moyen terme

Sur les prochaines années, la croissance française va être affectée par le Brexit via plusieurs canaux, notamment les échanges de biens et services et les investissements étrangers.

* Échanges de biens et services

En 2017-2018, les importations de marchandises du Royaume-Uni vont ralentir assez nettement du fait du ralentissement de la croissance britannique et de la baisse de la livre. Lorsque la sortie de l’UE sera effective, possiblement en 2019, l’effet pourrait être amplifié, modérément si un accord de libre-échange (ALE) est mis en place entre le Royaume-Uni et l’UE, fortement si il n’y pas d’accord de libre-échange, avec notamment des droits de douane supplémentaires. Les exporta- tions françaises vont donc être impactées, mais moins que celles de l’Allemagne et du Benelux. Le Royaume-Uni est le cinquième client de la France et représente 7% des exportations françaises de biens (flux de 32 milliards d’euros) et 11% des exportations de services. Les exportations d’auto- mobiles, de machines, d’aéronautique, de chimie, pharmacie et d’agro-alimentaire seraient plus particulièrement touchées.

En matière d’échanges de services, certains acteurs financiers basés à la City pourraient délocaliser leurs activités dans des pays sous juridiction européenne pour préserver l’accès au marché unique et réduire les coûts administratifs supplémentaires. Cela bénéficierait aux autres places financières, dont Paris. En revanche, les flux liés aux dépenses touristiques des britan- niques en France se réduiraient.

* Investissements étrangers

Après le Brexit, les entreprises françaises vont être moins tentées d’investir au Royaume-Uni. De même, les entreprises britanniques vont moins investir en Europe et en France. La balance nette des investissements du Royaume-Uni est positive vis-à-vis de la France. En terme d’IDE entrants en France, le Royaume-Uni est le deuxième inves- tisseur en 2013-2014, après le Luxembourg, avec près de 10 milliards d’euros sur deux ans. Les effets seront graduels et étalés dans le temps mais certains secteurs français seraient pénalisés par une décrue des IDE britanniques (services financiers, chimie, commerce de détail…).

Au total, l’impact négatif de tous ces éléments sur la croissance française serait assez mesuré et étalé dans le temps, de l’ordre de 0,4% en cumulé en 2016-2019 si la sortie se fait avec ALE et de 0,6% sans ALE.

– Impacts sur les taux d’intérêt et l’immobilier

* Taux d’intérêt

Les taux d‘intérêt à court terme en zone euro vont rester légèrement négatifs en 2016-2019, du fait de la politique monétaire très accommodante de la BCE, mais le Brexit ne modifierait pas fortement les tendances prévues sur les taux courts. En revanche, les prévisions de taux à long terme seraient révisées à la baisse. D’une part, les incertitudes liées au Brexit provoquent un mou- vement de fuite vers les actifs sans risque, comme on l’a vu vendredi 24 juin, avec une baisse des taux longs allemands et français et une hausse des primes de risque sur les pays de la périphérie. D’autre part, la BCE pourrait accélérer ses achats de titres souverains en cas de tensions marquées sur le marché des dettes souveraines en zone euro. Les taux longs français sont soumis à des forces contraires, avec des facteurs haussiers (reprise économique en zone euro, remontée attendue de l’inflation) et des facteurs baissiers (politique très accommodante de la BCE et notamment effets du QE, inquiétudes liées aux pays émergents, effet valeur refuge pour les pays cœurs de la ZE). Dans cette balance des risques, le Brexit renforce le pôle baissier. Les taux OAT dix ans seraient ainsi en hausse très faible d’ici fin 2017.

* Immobilier

Paradoxalement, l’immobilier résidentiel pour- rait bénéficier du Brexit, via le canal des taux de crédit. Le marché immobilier est en rebond assez marqué depuis début 2015 du fait notamment de la baisse marquée des taux de crédit, qui a provoqué un effet d’aubaine et stimulé les ventes. Le plan de relance dans le neuf joue également. Mais certains facteurs négatifs persis- tent. Le marché immobilier n’est pas encore véritablement « assaini ». Les prix ne sont plus surévalués, mais ont peu baissé et demeurent très élevés. L’environnement économique reste mitigé, avec un taux de chômage qui ne baissera que très faiblement. La reprise actuelle dépend donc beaucoup du niveau des taux longs et des taux de crédit. S’ils restent très bas au cours des prochains trimestres, l’effet d’aubaine va se maintenir, les ventes de logements vont rester très élevées et les prix continuer à remonter peu à peu.

En sens inverse, le Brexit pourrait peser néga- tivement sur le marché via les acquisitions de logements opérées par des Britanniques. D’après les statistiques des notaires de France, les transactions réalisées sur le marché des logements anciens par des acquéreurs étrangers a atteint 5,1% en 2015. Si on se restreint aux étrangers non-résidents, cette part atteint 1%. Elle est donc assez faible. Mais les Britanniques totalisent 33% des acheteurs étrangers non- résidents, loin devant les Italiens, 15%, et les Belges, 11%. Ils achètent notamment dans le Sud- Ouest (Dordogne, Charente, Lot), les Alpes et la Côte d’Azur. Avec le Brexit, les achats de logements par les Britanniques devraient se réduire.

Dans l’immobilier de prestige en revanche, le Brexit pourrait conduire à une hausse des transactions. Une partie des effectifs travaillant à la City pourrait en effet être transférée à Paris. Ces personnes achèteraient à Paris assez rapidement. Ils bénéficieraient d’une forte plus-value sur la vente de leur logement londonien (dont les prix se sont fortement accrus, de 38%, depuis trois ans), emprunteraient à des taux très bas et achèteraient avant que la livre ne baisse trop fortement.

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