Inde : recherche financements désespérément

par Delphine Cavalier, économiste chez BNP Paribas

L’Inde compte parmi les pays émergents les moins développés et a engagé son essor économique tardivement. Elle vient de connaître cinq années de forte expansion, le taux de croissance du PIB atteignant 9% l’an en moyenne entre 2003/041 et 2007/08. Mais alors que cette croissance a été largement tirée par la demande intérieure et les services, et que l’économie est encore modérément ouverte au commerce mondial, la crise financière internationale de l’automne 2008 s’est propagée au sous-continent avec férocité. La violence du choc met en lumière la dépendance du secteur privé indien aux financements en devises qui est allée grandissante au cours des dernières années, pour pallier l’étroitesse du système financier national.

Passé le stress financier du dernier trimestre 2008, l’Inde fait aussi face à une dégradation de l’économie réelle et à l’évaporation de la confiance des investisseurs et des consommateurs. Si, dès 2006, les autorités ont d’elles-mêmes cherché à refroidir la surchauffe de la demande intérieure, la crise mondiale vient donc précipiter les étapes du ralentissement tout en accentuant celui-ci. Au total, l’Inde doit se préparer à un atterrissage douloureux en 2009/10.

La politique économique semble d’un maigre secours. Les faibles marges de manœuvre budgétaires empêchent le gouvernement de pratiquer une relance de grande ampleur. L’augmentation de la dépense courante et de l’investissement publics, au prix d’un important dérapage des finances publiques, ainsi que l’existence de programmes sociaux n’amortiront que partiellement les effets de la récession mondiale.

L’arrivée d’une nouvelle administration à la tête du pays après les élections générales d’avril-mai est une source d’incertitude supplémentaire. La politique monétaire reste le principal levier disponible, que la Banque centrale (RBI) a déjà largement actionné. Cependant, là encore, il ne peut s’agir que d’assurer les conditions de fonctionnement normal du système financier dans l’attente d’une reprise globale.

Toutefois, la crise passée, si la disponibilité du crédit est restaurée et si les profits se redressent, il est envisageable que la croissance indienne puisse réaccélérer modérément, de concert avec le cycle mondial et sous condition de rétablissement des financements extérieurs.

A plus long terme, même si le renforcement tendanciel de la demande domestique, facteur sous- jacent de la croissance indienne, reste bien en place, la question du financement de cette dernière continuera à se poser avec une grande acuité, le retour à un régime d’expansion durablement plus forte et équilibrée passant par l’investissement public et privé. Ces dernières années, ce financement a été assuré par le recours massif aux capitaux privés étrangers. Leur tarissement se combine aujourd’hui à la sélectivité des banques locales, au retour d’un large effet d’éviction du secteur privé par le secteur public et au sous-dimensionnement des marchés financiers domestiques.

Assainissement des finances publiques et modernisation du système financier sont les principaux axes de réformes à moyen terme. Celles-ci sont identifiées de longue date mais ont été jusqu’à présent incomplètement mises en œuvre. Finalement, la crise financière conduit l’Inde à renouer avec des problématiques anciennes.

2003/04-2007/08 : l’accès au capital au cœur de la croissance indienne

Depuis les années 1980 et l’intensification des réformes de libéralisation (déplanification, dérégulation, ouverture), la croissance indienne a gagné en puissance – excepté durant la première moitié des années 1990 à la suite de la crise des paiements extérieurs en 1990/91. De 2003/04 à 2007/08, elle s’est hissée un cran plus haut en réalisant une performance moyenne annuelle de 9%. La croissance du PIB réel par habitant a suivi la même tendance haussière.

Une résurgence de l’investissement industriel

Le rattrapage du secteur industriel est à l’origine de l’accélération de la croissance. Partant d’un état de sévère sous-équipement en infrastructures physiques et d’un sous-développement de l’appareil de production2 face à une demande ascendante, le taux d’investisse ment total (investissement/PIB), resté stable autour de 24% dans les années 1990 et au début des années 2000, s’est élevé à 28% en 2003/04 puis à 36% en 2007/08. L’effort a surtout été le fait du secteur privé.

Le nouveau cycle de l’investissement a été porté par la conjonction de facteurs fondamentaux internes et de circonstances externes favorables. Au plan domestique, la poursuite de la dérégulation industrielle3, le renforcement du système bancaire et la baisse consécutive de la marge d’intermédiation, ainsi que la réduction relative des déficits publics, réduisant un fort effet d’éviction chronique du secteur privé, ont permis une baisse du coût du capital. En retour, cette baisse a facilité le redressement bilantiel des sociétés indiennes (restructuration, désendettement) du milieu des années 1990 au début des années 2000, alors que,simultanément, une demande plus forte s’adressait à elles, liée à l’émergence d’une classe moyenne et au développement du secteur exportateur. Par ailleurs, l’ouverture progressive du compte de capital de la balance des paiements, entamée en 1997, a débouché sur une libéralisation graduelle et partielle des transactions financières internationales.

Au total, l’amélioration générale des conditions d’offre de financement ainsi que l’extension de la gamme d’instruments disponibles, en monnaie locale comme en devises, ont favorisé la satisfaction de besoins croissants en investissement du secteur productif. Toutes sources confondues, les levées de fonds des entreprises indiennes dans l’industrie et les services se sont ainsi considérablement accrues, passant de 3,2% du PIB (soit l’équivalent de 15,4 milliards de dollars) en 2001/02 à 15,7% (183,4 milliards de dollars) en 2007/08.

Le crédit comme source de financement dominante La hausse du taux d’investissement entre 2003/04 et 2007/08 a été financée pour une large part par l’accroissement concomitant de l’épargne des entreprises (redressement de la profitabilité), de celle des ménages (accélération des revenus via l’augmentation de la population active), et de la moindre désépargne publique (réduction des déficits publics).

La part domestique du financement de l’investissement se ventile elle-même en autofinancement, crédit bancaire et émissions primaires sur les marchés financiers. Il en ressort les caractéristiques suivantes entre 2003/04 et 2007/08 : L’autofinancement s’est accru avec la forte croissance des profits, dans un environnement domestique et international porteur, mais sa part relative dans l’ensemble des sources de financement est restée stable (entre 20% et 30%). Les introductions en Bourse ont augmenté modérément en niveau absolu et en part relative.

Toutefois, l’envolée de la valorisation boursière des entreprises indiennes, sans être un mode de financement en soi, a contribué à améliorer la perception du risque de crédit et pu faciliter les levées de fonds sous d’autres formes, en particulier les obligations convertibles.

Les émissions de dette en monnaie locale sur les marchés monétaire (billets de trésorerie) et obligataire sont restées un mode de financement très marginal.

L’encours de la dette privée représente moins de 1% du PIB. Le marché des obligations privées, au demeurant, est très peu liquide. Ceci illustre la difficile émergence de ce compartiment de marché en Inde, à côté de celui, hypertrophié, de la dette publique (son encours approche les 80% du PIB).

Le crédit distribué par les banques commerciales reste donc la source de financement local traditionnelle du secteur privé, en particulier de l’industrie, et a accéléré en tendance. Il a crû de 17,4% en moyenne annuelle dans les années 1980, a ralenti à 15,4% la décennie suivante jusqu’en 2003/04, puis accéléré à plus de 30% jusqu’en 2007/08.

La place dominante du crédit dans le financement de l’investissement reflète le poids des petites et moyennes entreprises (PME) dans le tissu économique local. Ce sont à 95% des micro-entreprises de moins de six salariés en moyenne, concentrées dans le secteur manufacturier informel. Elles produisent moins du tiers de la production totale tout en regroupant 90% de l’emploi manufacturier. Leur accès restreint aux capitaux est corrigé par une loi obligeant les banques à réserver à certains secteurs prioritaires un tiers de leurs prêts.

L’Inde est ainsi l’un des pays où la part du crédit à l’industrie dans le crédit total est la plus élevée4.

L’accélération de la distribution de crédit reflète deux phénomènes que sont, d’un côté, une augmentation de la demande de crédit sous-jacente au redémarrage de l’investissement et, de l’autre, un bond qualitatif de l’offre de crédit à partir du milieu des années 2000, dans le cadre des réformes du système financier lancées après 1990/91. La conversion des deux principales Development Finance Institutions (DFIs)5 a généralisé la distribution des crédits à long terme par l’ensemble des banques commerciales, afin d’améliorer la répartition des ressources dans l’économie.

Dès lors, les banques ne couvrent plus simplement les besoins de trésorerie à court terme. La part des prêts à court terme dans l’ensemble des crédits a presque baissé de moitié, de 83% en 1995 à 46% en 2007, alors que simultanément celle des crédits de long terme est passée de 12% à 44%.

Toutefois, le crédit en Inde reste cher et les maturités offertes, même allongées, ne peuvent pas rivaliser avec celles beaucoup plus longues auxquelles les entreprises peuvent accéder sur les marchés. La part relative du crédit dans la gamme des financements a logiquement diminué au cours de cette période caractérisée par des conditions d’accès aux financements étrangers particulièrement favorables.

Recours élargi aux financements en devises de 2005/06 à 2007/08

Si les PME restent foncièrement dépendantes des banques locales, les grandes entreprises et les conglomérats indiens se sont davantage tournés vers les marchés de capitaux internationaux pour lever des fonds, dans un contexte mondial de faible coût du risque et de croissance forte et peu inflationniste. L’Inde a aussi développé une forte attractivité intrinsèque pour les investisseurs étrangers, fondée sur son large marché intérieur, sa vitalité économique, les profits croissants de ses entreprises, un climat des affaires favorable et de substantiels besoins en investissements.

Alors que l’investissement direct étranger est longtemps resté marginal, en lien avec le niveau de protection encore élevé du marché domestique, les investisseurs étrangers ont massivement investi en Bourse.

Au total, en 2006/07 et 2007/08, les entrées nettes de capitaux ont explosé en même temps que leur composition s’est modifiée par rapport aux années antérieures. Elles ont augmenté de moins de 10 milliards de dollars l’an (2% du PIB) au début de la décennie à 46 milliards en 2006/07, passant à 108 milliards en 2007/08, soit 9% du PIB6.

Le secteur privé indien a fait appel aux capitaux extérieurs majoritairement sous forme d’émissions de dettes en devises, comme le montre la résurgence des External Commercial Borrowings (ECBs) dans la balance des capitaux depuis 2003/04. Les entrées nettes de capitaux au titre de ces instruments, de 2,5 milliards de dollars en 2005/06, ont atteint 16 milliards en 2006/07, puis 22 milliards en 2007/08, soit 20% des flux nets de capitaux vers l’Inde. Le plébiscite des ECBs par les sociétés indiennes a résulté à la fois de l’élargissement de l’écart de taux d’intérêt avec l’extérieur et d’un fort appétit pour le risque des investisseurs étrangers. Sous-catégorie des ECBs, les obligations convertibles en actions (Foreign-Currency Convertible Bonds, ou FCCBs)7ont été particulièrement populaires auprès de grandes entreprises dans un contexte de hausse boursière.

Les investissements étrangers en Inde ont, eux, été dominés par les flux d’investissement de portefeuille, qui ont culminé à plus de 30 milliards de dollars l’an vers la fin 2007. Jusqu’en 2004/05, les IDE ont progressé au rythme de moins de 2 milliards de dollars l’an mais ont accéléré à 15 milliards l’an partir de 2007/08. La part de l’Inde dans les flux mondiaux d’IDE s’est ainsi accrue de 2,3% en 2005 à 4,5% en 2006. L’investissement direct en Inde finance encore peu l’investissement industriel car il se destine d’abord aux secteurs de services, plus ouverts que l’industrie aux capitaux extérieurs.

Si le recours plus systématique aux financements étrangers est un signe positif d’insertion dans l’économie mondiale et d’attractivité de l’économie indienne, c’est aussi un vecteur de risque : risque de refinancement pour les entreprises indiennes via les ECBs et les FCCBs, et plus largement, plus grande vulnérabilité de la balance des paiements via les flux de portefeuille à caractère plutôt spéculatif.

Le comblement de l’output gap tourne à la surchauffe Néanmoins, même s’ils ont été partiellement stérilisés par la Banque centrale, les afflux de capitaux ont gonflé la masse monétaire, permettant l’expansion du crédit à de nouveaux secteurs jusque là beaucoup moins financiarisés que celui des entreprises : les ménages et l’immobilier. En 2005/06, l’encours des prêts à l’immobilier (résidentiel et commercial) ne dépassait pas 2% du crédit total, mais il avait plus que doublé par rapport à l’année précédente. Face à une forte demande des ménages et des promoteurs, le plus large accès au crédit a entretenu la flambée des prix immobiliers, en particulier dans les grandes villes. De même, le crédit à la consommation (20% du crédit total) a crû de plus de 40% par an pendant quatre ans.

Par ailleurs, les investissements de portefeuille ont contribué à doubler la valorisation boursière moyenne de l’indice Sensex de la Bourse de Bombay, le PER moyen passant de 10 en 2003/04 à 20 en 2006/07. L’existence d’une bulle sur le marché des actions à cette époque faisait l’objet d’un débat, car la forte accélération des profits dans certains secteurs de services pouvait aussi être vue comme un phénomène de rattrapage. La hausse boursière a toutefois favorisé l’euphorie ambiante, entretenant un appel d’air pour les investisseurs étrangers.

Au total, s’il y a eu élévation du potentiel de croissance de l’économie via le développement du secteur industriel et des services, l’afflux de liquidité a aussi conduit à la surchauffe de la demande interne (consommation, immobilier, Bourse), accentuant les déséquilibres macroéconomiques. Si l’indice des prix de gros est resté relativement stable autour de sa moyenne de longue période à 5%, il y a eu des signes de tensions plus marquées sur les prix à la consommation. Au plan extérieur, le dynamisme des importations, énergétiques et non énergétiques, notamment de biens d’équipement et de consommation, a considérablement élargi le déficit commercial, de 13 milliards de dollars en 2003/04 à un pic de 113 milliards l’an à fin 2008.

Une économie en cours de ralentissement depuis 2007 A partir de la fin 2005, la Banque centrale a œuvré à un refroidissement ordonné de l’activité, d’un côté en resserrant les conditions de crédit domestique au secteur privé, de l’autre en modulant les contrôles de capitaux, principalement sur les mouvements d’investissements de portefeuille et d’ECBs. De septembre 2005 à avril 2007, le taux de refinancement a été resserré de 175 points de base à 7,75%. Le coefficient de réserves obligatoires, qui avait déjà été relevé légèrement l’année précédente à 5%, a été remonté jusqu’à 7,5% à fin 2007. A plusieurs reprises en 2007, des restrictions de crédit aux secteurs à risque (ménages, immobilier) ont été imposées.

Cependant, ces décisions ont produit peu d’effets visibles avant 2008. La transmission de la politique monétaire a été altérée par le fait que les banques ont pu longtemps financer la demande de crédit en liquidant une part de leurs larges portefeuilles de titres publics8 et/ou en augmentant leur base en capital.

La croissance du crédit est restée robuste à plus de 30% en glissement annuel jusqu’à la mi-2006.

En revanche, les hausses de taux d’intérêt ont entretenu un cercle vicieux dans lequel l’appréciation de la roupie contre le dollar stimulait les investissements étrangers, malgré le durcissement de certains contrôles de capitaux.

Cependant, l’accélération de l’inflation jusqu’à un pic de 12,5% en août 2008, sous l’effet de la flambée des cours mondiaux de matières premières, a motivé une nouvelle vague de hausses de taux.

Entre mai et juillet 2008, le principal taux directeur a été remonté à 9%, portant à 350 points de base le resserrement monétaire depuis fin 2005. Le coefficient de réserves obligatoires a été relevé jusqu’à 9% en septembre 2008. Simultanément, les conditions de financement sur les marchés de capitaux se sont détériorées. Autour de la mi-2007, les premières alertes sérieuses liées à la crise des crédits subprime aux Etats-Unis avaient déjà provoqué un regain d’aversion au risque.

Au final, l’impact différé des hausses de taux d’intérêt et des restrictions introduites sur les ECBs, et le retournement généralisé des marchés à partir du début 2008 ont mis en difficulté les levées de fonds des entreprises indiennes sur les marchés, en monnaie locale et en devises, dans un contexte de ralentissement plus marqué du crédit domestique.

L’inflexion de la croissance indienne s’est amorcée en 2007 avec l’accès restreint au crédit et s’est faite plus nette à partir de la mi-2008 avec la détérioration plus sensible de l’environnement extérieur. Elle a concerné toutes les composantes de la demande interne, mais les dépenses en capital des entreprises ont été particulièrement affectées. Le ralentissement des profits a résulté du pincement des marges (hausse des coûts de production9 et pressions sur les prix de vente10) et de l’augmentation des charges financières sur fond de remontée des taux d’intérêt.

L’Inde dans la crise mondiale

Les préoccupations des autorités indiennes ont brutalement changé d’objet en septembre 2008. Du problème de l’inflation forte – l’avance sur douze mois de l’indice des prix de gros en septembre était encore en hausse de 12,1%, proche du pic du mois précédent –, elles se sont déplacées vers celui d’une soudaine pénurie de liquidité sur le marché interbancaire11 sous l’effet de la débâcle des marchés financiers mondiaux dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers .

L’augmentation brutale et substantielle de la demande de dollars au plan mondial provoquée par cet évènement a été le facteur déclenchant d’un stress de liquidité dans de nombreux pays. En Inde, l’ampleur du choc a été proportionnelle à l’importance des entrées de capitaux les années précédentes. Ainsi, la contraction de la masse monétaire a résulté en premier lieu de sorties de capitaux massives de non-résidents investis sur la Bourse, entraînant des difficultés pour les fonds communs de placement et les institutions financières bancaires et non bancaires à répondre aux demandes de remboursement, tandis que les interventions de la Banque centrale sur le marché des changes pour contenir la dépréciation de la roupie pesaient un peu plus sur l’offre de monnaie. L’indice Sensex, déjà en recul de 34% à la mi-septembre par rapport à son point haut historique de 21 000 points de janvier 2008, est descendu à 9 000 en novembre, soit une baisse supplémentaire de plus de 40%.

Le revirement des flux de capitaux est intervenu dans une situation de liquidité préalablement précaire dans le système bancaire, résultat de l’expansion du crédit au secteur privé et de la persistance de besoins de financement de l’Etat importants, malgré une meilleure tenue des comptes publics de 2002/03 à 2007/08. A l’automne 2008, le ralentissement du crédit était amorcé, mais il était encore sur une pente de 25% en glissement annuel, alors que la croissance des dépôts mollissait (20% sur douze mois)12.

L’activité en perte de vitesse accélérée depuis fin 2008

D’un ralentissement voulu au départ pour endiguer la surchauffe, l’Inde est passée, à cause de la crise financière internationale, à un scénario d’atterrissage brutal subi. Le ralentissement est d’autant plus sévère qu’il ne s’opère pas simultanément de substitution du crédit local aux financements en devises.

Au dernier trimestre 2008, le PIB en volume est ressorti en hausse de 5,3% en glissement annuel. Bien qu’encore soutenu, ce momentum s’inscrit en décrochage par rapport à une tendance annuelle moyenne antérieure de 9%. Il s’agit aussi de la plus faible performance depuis début 2003. L’activité réelle s’est quasiment arrêtée dans les derniers mois de 2008. En outre, elle aurait été bien plus faible sans deux facteurs de soutien temporaires qu’ont constitué les revalorisations de salaires dans l’administration et la remontée des stocks. Si le secteur des services conserve son rôle de moteur de la croissance, c’est d’ailleurs en large part grâce à cette hausse du traitement des fonctionnaires. La dépense publique a bondi de 24,6% en variation annuelle. 

A l’opposé, le secteur industriel tire désormais la croissance vers le bas, ressortant en hausse de seulement 2,4% par rapport au dernier trimestre 2007 contre une tendance supérieure à 10% en 2006/07. La production manufacturière accuse un recul de 0,2%, reflétant le ralentissement de la demande domestique et des exportations. L’investissement est très touché. Sa progression en rythme annuel s’est limitée à 5,3%, un taux trois fois moins élevé qu’au trimestre précédent et qui contraste avec les performances à deux chiffres enregistrées à compter de 2003/04. La production de biens d’équipement s’est tassée, ressortant en hausse de 6,8% sur les trois mois finissant en janvier contre environ 25% un an auparavant. En moyenne sur les trois mois finissant en février, les ventes de véhicules commerciaux ont plongé de 47% par rapport à leur niveau un an plus tôt.

La consommation des ménages a ralenti à 5,4% sur un an au dernier trimestre, bien en deçà de sa tendance antérieure de 8-9%. La production de biens de consommation durables s’est repliée de 2% en glissement annuel sur les trois mois finissant en janvier, contre un rythme moyen de 17% au premier trimestre 2006. Les ventes de biens non durables, qui répercutent les tendances des biens durables avec un retard d’environ un an, sont aussi en cours d’affaiblissement, tout en progressant encore de 5% en moyenne sur les trois mois finissant en janvier. En février, en moyenne sur trois mois, les ventes de deux-roues et de voitures particulières ont baissé respectivement de 1,1% et 1,9% en glissement sur douze mois. Le secteur de la vente de détail fait état de nombreuses faillites. La dynamique de l’investissement immobilier est également affectée, avec une diminution drastique des prêts bancaires au cours des six derniers mois.

De manière générale, le ralentissement des importations devrait se poursuivre avec l’affaiblissement de la demande domestique, d’autant que l’économie pourrait entrer en déflation dans les prochains mois.

Les exportations de biens et services en volume étaient encore en hausse de 11,4% en glissement annuel fin 2008, mais elles se sont modérées tout au long du deuxième semestre. Libellées en dollars, les exportations de marchandises baissent, elles, depuis octobre 2008 et sont en recul de 10,5% en glissement annuel en données lissées sur la période de novembre à janvier. Ce repli est légèrement plus faible qu’en Asie du Nord et en Asie du Sud-Est, notamment grâce à une dépréciation du taux de change plus forte et plus précoce en Inde que dans le reste de la région. Néanmoins, les exportations indiennes devraient continuer à se contracter dans les prochains mois.

Ajustement de la politique monétaire : la RBI déploie son rayon d’action…

La RBI a fait preuve d’une grande capacité de réaction pour surmonter l’assèchement de la liquidité, en actionnant les instruments conventionnels de politique monétaire et en élaborant des mesures de soutien au crédit conjointement avec le gouvernement.

Le retour à un fonctionnement normal des marchés interbancaire et monétaire s’est opéré dès novembre.

Les taux d’intérêt à long terme, qui avaient beaucoup baissé (de 9% en juillet 2008 à 5% en novembre) sous l’effet d’une demande accrue pour les actifs sans risque, se sont tendus de nouveau jusqu’à 7% en mars à la suite de l’annonce par le gouvernement d’un large programme d’emprunt pour financer l’augmentation du déficit budgétaire (voir sections suivantes). Toutefois, le retour des taux longs à leurs niveaux antérieurs est freiné par l’action de la Banque centrale13 et par la forte demande des banques pour les obligations publiques.

… Mais les banques se font sélectives

Dans le sillage des baisses de taux directeurs, toutes les banques publiques et certaines banques privées ont commencé à baisser leurs taux prêteurs depuis fin janvier. Le meilleur taux prêteur calculé sur cinq grandes banques commerciales est descendu à 12% contre 14% à la mi-2008.

Toutefois, face à la détérioration du risque de crédit, les banques préfèrent en effet la détention d’actifs sans risque à la distribution de nouveaux crédits. La part des dépôts du système bancaire détenue en titres publics est déjà remontée d’un plancher de 28% en septembre dernier à 31% en janvier. Ainsi, après avoir largement puisé dans leurs portefeuilles de titres d’Etat pour financer la demande de crédit tout en s’affranchissant d’un refinancement coûteux auprès de la Banque centrale, le phénomène inverse est aujourd’hui à l’œuvre.

La qualité des actifs peut se détériorer sensiblement sous l’effet de la rapidité de l’ajustement de l’économie qui intervient après plusieurs années de boom du crédit. En outre, la liquidité dans le système bancaire était encore tendue au début du printemps. En janvier, le ratio de crédit sur dépôts se maintenait proche de ses plus hauts niveaux historiques, autour de 70%. Alors que les marchés de capitaux internationaux sont encore relativement fermés pour la plupart des pays émergents, le secteur privé indien se trouve donc face à des banques réticentes à prêter.

Les principales banques commerciales indiennes sont pourtant saines et ne sont pas aux prises avec les difficultés de celles des pays développés.

Les banques indiennes ne sont pas directement exposées au marché des crédits subprime et n’ont pas développé d’activités hors bilan (titrisation). Le risque de défaillance du système bancaire est limité par un bon niveau de capitalisation des banques publiques (qui dominent le secteur par la taille de leurs actifs et qui viennent d’ailleurs d’être partiellement recapitalisées par l’Etat) et des principales banques commerciales14, ainsi que par un faible niveau d’endettement en devises. Par ailleurs, au stade actuel, le ratio des prêts non performants dans le total des crédits est contenu à environ 3%, mais il pourrait doubler en un an. Les banques publiques, en soutenant le crédit au secteur privé, devraient en accuser les plus fortes hausses.

Au total, sans parler de credit crunch, les banques sont devenues plus prudentes en matière de prêts, notamment les banques privées et les banques étrangères. Si elles n’ont pas la capacité de se substituer à un financement extérieur absent, elles semblent ne pas en avoir non plus la volonté. La dynamique du crédit reste largement soutenue par les banques publiques.

La hausse des dépenses publiques en amortisseur de choc

La situation des finances publiques en Inde reste un problème de fond majeur qui n’a jamais été complètement résolu et qui revient au centre des discussions alors que l’économie a besoin du soutien de la dépense publique. Certes, l’adoption du Fiscal Responsibility and Budgetary Management Act (FRBM Act) en 2004 pour une meilleure maîtrise des dépenses et une augmentation des recettes a porté ses fruits entre 2003/04 et 2007/08. Le gouvernement central a sensiblement réduit son déficit, passé de plus de 6% du PIB par an à 2,8% en 2007/08, tandis que les Etats fédérés ont ramené le leur de 5% à 2% du PIB.

Néanmoins, le ratio de dette publique consolidée sur PIB était encore de 78,2% du PIB en 2007/08 (contre plus de 80% en 2004/05), un niveau élevé qui continue de peser sur les dépenses. Les charges d’intérêts sur la dette absorbent un tiers des recettes courantes. Par ailleurs, le volet recettes a été réformé (révision de la fiscalité indirecte avec la réforme de la TVA, élargissement de l’assiette fiscale aux services), mais la structure des dépenses est restée inchangée. Les premiers postes de dépenses restent les traitements des fonctionnaires (salaires et retraites), les paiements d’intérêts sur la dette publique et les dépenses militaires, ce qui laisse peu de flexibilité au gouvernement. Enfin, la diminution des ratios de déficits sur PIB au cours de cette période a aussi résulté de la forte croissance économique via la hausse des rentrées fiscales. Le poids de ces dernières dans le PIB a certes augmenté de 6% en 2000/01 à 8,6% en 2007/08, mais cela reste très insuffisant.

Pour 2008/09, la poursuite de l’assainissement budgétaire envisagée dans les projections initiales (2,5% de déficit pour l’Etat central) s’est interrompue en novembre 2008. Alors que les rentrées fiscales ralentissent sensiblement, les dépenses ont dérapé sous l’effet de la hausse des subventions publiques à l’alimentation et aux carburants à la mi-2008, de la mise en place de programmes sociaux spécifiques15, de la hausse des salaires dans l’administration, puis de l’aggravation de la situation économique fin 2008 qui a nécessité trois plans de relance à la suite en décembre, janvier et février (ce dernier dans la foulée de l’annonce du budget intérimaire 2009/1016), qui représentent 3% du PIB. Au final, le déficit budgétaire en 2008/09 devrait remonter à environ 6% du PIB.

A ce déficit, il faut ajouter le coût de subventions à des programmes d’intérêt général ou stratégique (la Food Corporation of India, les entreprises productrices d’engrais pour l’agriculture et les compagnies pétrolières) qui n’apparaissent pas explicitement dans le budget de l’Etat, mais que celui-ci finance par émissions obligataires spéciales. Ces éléments hors budget sont considérés comme neutres du point de vue des dépenses publiques car ils n’entraînent pas de décaissement de la part de l’Etat. Ils ont toutefois un impact sur sa solvabilité en qualité d’engagements contingents. A ce titre, les paiements d’intérêts sur ces obligations s’additionnent à ceux effectués au titre de la dette publique non contingente. En 2008/09, les obligations émises en faveur des compagnies pétrolières et du secteur des engrais se sont élevées à près de 960 milliards de roupies, soit 1,8% du PIB.

Il en ressort pour le gouvernement central un déficit total, y compris éléments hors budget, qui devrait avoisiner 8% du PIB en 2008/09, soit la plus mauvaise performance depuis les années 1980. La hausse du besoin de financement de l’Etat est couverte par le canal traditionnel de l’émission souveraine en monnaie locale, ce qui portera la dette publique totale à quelque 40 milliards de roupies. En termes de poids dans le PIB, elle devrait cependant continuer à baisser (76%) grâce au maintien d’un faible excédent primaire. Le budget intérimaire 2009/10 prévoit que le processus de consolidation des finances publiques dans le cadre du FRBM Act reprenne dès cette année pour ramener le déficit du gouvernement central à 5,5% du PIB. Compte tenu de l’atterrissage forcé auquel se prépare l’économie cette année, cette réduction apparaît peu envisageable. Le nouveau gouvernement qui sera en place dans quelques mois pourrait plutôt souhaiter poursuivre une politique active de dépenses sociales.

Avec les hausses de salaires et les programmes sociaux en faveur des plus pauvres, les mesures contracycliques mises en œuvre fin 2008 devraient permettre d’amortir au moins en partie le choc de la crise sur la demande interne en 2009/10 et 2010/11. Les trois plans de soutien contiennent des mesures directes de baisses d’impôt (équivalentes à moins de 1% du PIB et concernant surtout la TVA), mais aussi des mesures de soutien sectoriel, en coordination avec la Banque centrale, recouvrant des activités exportatrices comme domestiques (immobilier, automobile, matières premières, textile, biens de consommation, etc.). L’Etat a notamment étendu ses garanties en faveur du crédit aux PME et renforcé le capital d’une douzaine de banques publiques pour améliorer la disponibilité de fonds prêtables à l’économie.

La dépense et l’investissement publics devraient aussi augmenter dans le secteur de la sécurité et de la défense à la suite des attentats de Bombay en novembre et du nouveau raidissement que connaissent les relations indo-pakistanaises. Les frais engendrés par l’organisation des élections législatives sont également de nature à stimuler les dépenses publiques au deuxième trimestre 2009.

Les plans de soutien comportent des mesures spécifiques pour préserver les dépenses d’investissement en infrastructure, qui représentent un appui fondamental à l’investissement productif. Il s’agit de garantir aux différents projets l’accès à des financements à moyen et long terme, particulièrement difficiles à obtenir en cette période, auprès de banques comme des marchés. Le gouvernement cherche à maintenir les objectifs du 11ème Plan (2007-2012), qui prévoit un doublement à la fois du poids des dépenses d’infrastructures publiques dans le PIB, de 4% en 2006/07 à 8% en 2011/12, et de la part des partenariats publics-privés (PPP), de 17% à 30%. Nombre de projets sont dans un bon état d’avancement (notamment électricité, ports, aéroports et routes), mais ils sont compromis par la crise. L’IIFCL17 a ainsi été habilitée à lever des fonds supplémentaires (de l’ordre de 1% du PIB) pour accroître ses moyens d’intervention pour les projets financés en PPP, notamment pour faciliter le refinancement de prêts au départ accordés par des banques commerciales.

Atterrissage brutal en 2009/10…

Avec l’aggravation rapide de la situation conjoncturelle, le gouvernement indien a récemment admis que sa prévision de croissance pour 2009/10, de 7,1%, pourtant préalablement révisée en baisse, était déjà frappée d’obsolescence. Elle devrait plutôt se situer dans la fourchette 6-6,5%. En considérant l’approfondissement de la récession industrielle et la poursuite de la correction des exportations, le premier trimestre 2009 s’annonce plus mauvais que le précédent, d’autant que ce dernier avait été gonflé par des éléments exceptionnels (reconstitution des stocks, hausses de salaires des fonctionnaires). Il faut aussi compter avec l’effet d’entraînement négatif que la baisse de la production industrielle devrait exercer sur la dynamique des services dans les mois à venir. Les profits dans l’industrie comme dans les services sont déjà durement affectés. La forte incertitude liée aux élections législatives d’avril peut aussi expliquer un climat d’hésitation dans les milieux d’affaires. De manière générale, le point bas du retournement actuel pourrait enfoncer celui du précédent cycle, en 1991-1993.

Cependant, plusieurs facteurs peuvent jouer en faveur d’une stabilisation de la situation vers la fin de l’année. La chute des prix des matières premières devrait soutenir le pouvoir d’achat des ménages et réduire les coûts de production des entreprises.

D’ailleurs, la déflation laisse le champ libre à la RBI pour continuer à baisser ses taux directeurs. Dans l’ensemble, le prompt ajustement de la politique économique pourrait contribuer à restaurer la confiance et desserrer les contraintes de financement que rencontre le secteur privé, alors que le gouvernement a donné des garanties en faveur du crédit aux PME et de la poursuite des dépenses en infrastructures. L’économie indienne est aussi en large part une économie rurale faiblement financiarisée. A ce titre, celle-ci est peu concernée par les difficultés d’accès au crédit et bénéficie de la mise en œuvre de programmes sociaux pour les plus vulnérables.

Pour 2009/10, la croissance devrait être comprise entre 3% et 4,5%. Il faut remonter à 2003/04 ou 2000/01 pour retrouver des taux si faibles, mais ils reflétaient dans les deux cas une récession dans le secteur agricole.

…mais des risques financiers modérés

Le risque de défaut sur la dette publique indienne est modéré dans la mesure où celle-ci est contractée dans la monnaie nationale, ce qui met l’Inde à l’abri des fluctuations du change et du sentiment des investisseurs internationaux. L’Inde dispose d’une base d’investisseurs institutionnels locaux assez large (notamment banques et assurances) qui lui ont jusqu’à présent permis de placer sa dette sans difficulté.

Toutefois, avec le ré-élargissement des déficits publics, le gouvernement aurait tout intérêt à avoir recours aux privatisations ou à des prêts multilatéraux afin d’éviter de trop alourdir son poids sur l’économie.

La situation des comptes extérieurs contraste favorablement avec celle des pays émergents d’Asie en 1997. L’Inde dispose d’un stock considérable de réserves de changes. Leur augmen- tation s’est fondée sur les entrées massives de capitaux dans un contexte de faible hausse du déficit courant, grâce aux exportations de services. En décembre 2008, le déficit courant s’établissait à 38 milliards de dollars en rythme annuel (soit 3,1% du PIB), contre 11,3 milliards un an plus tôt.

La hausse s’explique par le quasi-doublement du déficit commercial en un an dû aux importations énergétiques18, partiellement compensé par l’augmentation de l’excédent des invisibles. Celui-ci reste dominé par la hausse des exportations nettes de services mais surtout des transferts nets. En 2009/10, le déficit courant devrait diminuer, voire s’annuler, grâce au dégonflement de la facture énergétique. Les importations hors énergie devraient aussi continuer à ralentir.

Malgré les sorties nettes de capitaux depuis début 2008, la balance des capitaux reste largement excédentaire au troisième trimestre 2008, à hauteur de 41,3 milliards de dollars l’an (soit 3,4% du PIB), après avoir culminé à 108 milliards en mars. Toutefois, en un an, il s’est opéré un effet de ciseaux entre d’un côté des entrées nettes d’IDE montantes, jusqu’à 24 milliards l’an en décembre, et de l’autre des entrées nettes d’investissements de portefeuille descendantes. En décembre, l’Inde a même enregistré des dégagements nets d’investisseurs étrangers sur la Bourse (-15 milliards l’an).

Le potentiel de sorties de capitaux pour la période à venir semble limité. En cumul, le montant des sorties nettes d’investissements de portefeuille déjà réalisées (actions et dette privée confondues) ressort à environ 45 milliards de dollars. D’après la Banque centrale, en septembre, les non-résidents détenaient un stock de 102 milliards de dollars en actions et en dette privée indiennes (80 milliards en actions, 22 milliards en dette).

Toutefois, en mars, la part détenue en actions n’est plus valorisée qu’à 55 milliards de dollars en tenant compte de la correction du marché de 30%. Le niveau bas de la Bourse, la roupie faible et un écart de taux courts et longs avec les Etats-Unis favorable à l’Inde sont des facteurs de court terme de nature à décourager la liquidation des investissements de portefeuille restants, du moins partiellement. En cas de nouveau choc, il demeure toujours un risque de sortie, mais dans le pire des cas, les dégagements devraient être largement couverts par les réserves de changes, de 240 milliards de dollars à la mi-février.

Les IDE nets devraient se maintenir malgré l’internationalisation des grandes entreprises indiennes, la crise pouvant favoriser une libéralisation plus poussée de l’investissement direct en Inde.

D’ailleurs, les récentes modifications introduites dans la manière de comptabiliser le niveau de contrôle d’une entité indienne par des capitaux étrangers ressemblent à des moyens détournés pour s’affranchir des plafonds imposés dans certains secteurs clés19. Les ECBs ont nettement ralenti à 12,3 milliards de dollars l’an en décembre, du fait de la rareté du capital et du moindre intérêt des obligations convertibles en période de marché boursier baissier. Ces flux restent toutefois positifs et peuvent se renforcer sous l’effet de l’allègement des critères d’éligibilité.

Dans l’ensemble, en l’absence de nouveau choc, les entrées nettes de capitaux étrangers, mêmes amoindries, demeurent le principal élément de soutien à l’excédent de la balance des paiements en 2009/10, alors que le stock des avoirs de réserve de l’Inde se situe encore à un niveau confortable.

Le profil de solvabilité extérieure du pays reste également favorable, avec un ratio de dette extérieure sur PIB de 16,3%, dont une faible part relève de l’Etat.

D’après la RBI, la dette à court terme restant à rembourser ou à refinancer d’ici septembre 2009 serait comprise entre 10 et 15 milliards, ce qui ne paraît pas insurmontable. Les cas les plus délicats concernent les refinancements de FCCBs des grandes entreprises.

Le risque de crédit s’accroît pour les banques, mais pas dans des proportions de nature à fragiliser le système

La situation d’endettement des entreprises indiennes est généralement bien meilleure que celle des pays émergents d’Asie lorsqu’ils sont entrés en crise en 1997. En Inde, le crédit aux entreprises représente 40% du PIB, avec une large surreprésentation des PME. Les entreprises cotées en Bourse affichent un ratio moyen de dette sur fonds propres de moins de 50% en 2007/08, ce qui est modeste. Le risque de change et de refinancement en devises ne se pose que pour les plus grandes compagnies. Pour leur part, les ménages indiens sont peu endettés. Certes, les banques vont subir en 2009/10 une montée des mauvaises créances touchant toutes les catégories de crédit (entreprises, particuliers). Toutefois, les principales banques commerciales, au rang desquelles les banques publiques, sont solides et peuvent faire face à une détérioration de la qualité des actifs.

Au-delà de 2009/10, sans reprise des flux de financement, l’Inde devrait rester sous son potentiel

Les forces structurelles qui ont sous-tendu l’essor économique de l’Inde des cinq dernières années sont toujours présentes, ne serait-ce que par le jeu des tendances démographiques. Cependant, la question du financement de la croissance revient en force avec la crise mondiale, dans un contexte de retour à un important besoin de financement du secteur public qui peut venir gêner le secteur privé, et du manque de financement local alternatif, les banques commerciales se faisant plus prudentes. Pour l’Inde, la crise actuelle prend donc la forme d’une crise de l’investissement, ou du financement, comme ailleurs en Asie elle touche avant tout le commerce extérieur.

Malgré une épargne domestique importante, la trajectoire de croissance indienne devrait donc sensiblement s’infléchir – par rapport à un potentiel estimé à 7-8% – tant que persisteront la tendance au rationnement du crédit et l’aversion au risque des investisseurs internationaux. La crise actuelle est, certes, sans commune mesure avec la crise de surinvestissement qu’a connue l’Inde au milieu des années 1990, mais cette dernière enseigne que les entreprises indiennes avaient alors fait preuve de leur capacité d’adaptation, par la rationalisa- tion de leurs coûts et l’augmentation des gains de productivité. En dépit de leur recours accru à l’endettement ces dernières années, elles abordent cette nouvelle crise dans une situation financière relativement favorable, excepté les plus grandes d’entre elles, davantage exposées au risque de refinancement en devises.

Néanmoins, la crise présente souligne l’urgence de la mise en œuvre ou de l’achèvement de réformes structurelles pour rééquilibrer la répartition des ressources locales disponibles entre secteurs public et privé.

Ceci passe par la réduction de l’endettement public, l’élargissement de la base de dépôts collectés par le système bancaire, et la poursuite du développement d’un marché obligataire privé, dans le contexte d’un taux d’épargne domestique qui devrait continuer à aug- menter à son rythme actuel jusque vers 2025, avec l’accroissement de la part de la population active dans la population totale.

L’Inde doit aussi mieux maîtriser le processus de sa financiarisation extérieure, en ajustant les contrôles de capitaux qui déséquilibrent les flux entre d’une part les IDE, qui peuvent soutenir l’effort d’investissement du secteur industriel, et d’autre part les investissements de portefeuille à l’origine de phénomènes de bulles d’actifs et de surchauffe de la demande interne. Si les flux de capitaux sont source d’instabilité et de difficulté dans la période actuelle, et s’ils ont indirectement contribué au creusement des inégalités, ils font aussi partie de la solution pour la reprise de la croissance et la poursuite du développement.

Le résultat des élections est très incertain. L’éventualité de la formation d’une coalition gouvernementale très éclatée, composée de petits partis régionaux, avec ou sans les grands partis nationaux – parti du Congrès et BJP –, ne peut pas être exclue. Les programmes parfois populistes et anti-libéraux des partis de gauche font aussi s’interroger sur leur influence sur la politique économique qui pourrait être menée à partir de la mi-juin. Quelle que soit la couleur politique du prochain gouvernement, il faut s’attendre à une augmentation supplémentaire des dépenses sociales. Le secteur agricole, et plus largement le milieu rural, devraient aussi faire l’objet de plus grandes attentions, l’Inde ayant tout à gagner à se recentrer sur cette composante essentielle de son économie.

Cependant, pour justifiées que seraient de telles réorientations, elles ne devraient pas pour autant signifier un retour en arrière sur trois décennies de libéralisation et d’ouverture, qui pourrait se révéler aussi coûteux que vain.

NOTES

1) Années budgétaires indiennes d’avril à mars.
2) En 1999/2000, le secteur industriel au sens large y compris le secteur de la construction ne représentait que 25% du PIB, le secteur manufacturier 15%.
3) Démantèlement du régime des autorisations préalables dans l’industrie.
4) Cette intensité est encore plus importante si l’on inclut les billets de trésorerie et autres titres de marché émis par les entreprises et souscrits par les banques.
5) Instituts de crédits publics et privés pour le financement des investissements de long terme (dont infrastructures).
6) Dans les années 1980, l’Inde a surtout reçu de l’aide financière extérieure. La décennie suivante, les entrées de capitaux ont été tirées par des flux de dette à court terme, i.e. dette commerciale et dépôts d’Indiens Non-Résidents (ces dépôts étaient alors plus volatils qu’aujourd’hui ; leurs taux de rémunération s’alignent désormais sur les niveaux internationaux), débouchant sur une crise des paiements extérieurs en 1990/91.
7 ) Ce type de support offre à son détenteur l’option de convertir, avant l’échéance, une obligation en actions de la société émettrice. Les FCCBs sont surtout attractifs en période de hausse boursière. Lorsque le marché se retourne, il devient plus avantageux pour l’investisseur de conserver l’obligation, qui sera ainsi remboursée à l’échéance. Symétriquement, la situation est moins favorable pour l’entreprise qui a émis l’obligation convertible, car elle reste avec une dette à rembourser ou à refinancer au lieu d’avoir gagné un actionnaire.
8) Les banques doivent investir au moins un quart de leurs dépôts en obligations d’Etat (Statutory Liquidity Requirement, ou SLR), mais elles en ont toujours détenu beaucoup plus (jusqu’à 45% en 2003/04).
9) Choc sur les coûts de production via la hausse des cours des matières premières et la forte progression des salaires dans certains secteurs.
10) Effet combiné de la concurrence mondiale, de l’érosion du pouvoir d’achat des ménages et de l’affaiblissement de la demande.
11) Le MIBOR s’est tendu de 9% à 14% en quelques jours, bien au-dessus du taux de refinancement (repo rate), relevé de 8,5% à 9% un mois plus tôt.
12 ) A ces tensions s’ajoutait une demande saisonnière de liquidité des entreprises indiennes qui, chaque année en mars et septembre, s’acquittent de l’impôt sur les sociétés.
13) Depuis début 2009, la RBI a entrepris de faire baisser les taux longs via l’achat d’obligations d’Etat.
14) Plusieurs banques de moyenne et petite taille sont en revanche sous la surveillance rapprochée de la RBI.
15) Les deux programmes phares sont le programme pour l’emploi dans les zones rurales (National Rural Employment Guarantee Scheme), et le programme d’allègement de dette pour les agriculteurs (Debt Waiver Program).
16 ) Le budget intérimaire 2009/10, annoncé à la mi-février, ne comporte pas de mesures importantes. Les élections générales ayant lieu cette année – du 16 avril au 13 mai –, il vise à prolonger le budget en cours jusqu’à l’arrivée du nouveau gouvernement et le vote d’un collectif budgétaire.
17) IIFCL : Indian Infrastructure Finance Company Limited.
18) L’Inde importe 70% de ses besoins en énergie.
19) En février, le gouvernement a adopté un changement de comptabilisation de l’investissement direct en Inde. La prise de contrôle partielle par un investisseur étranger d’une entreprise indienne continuera d’être comptabilisée comme un investissement direct. En revanche, l’investissement qui sera fait via une entité contrôlée et possédée par des résidents indiens sera considéré comme un investissement local. Les secteurs potentiellement bénéficiaires de ce changement sont notamment les télécoms (plafonnés à 74%), les assurances (26%), les médias (de 26% à 100% selon les métiers), et la distribution (51% pour les enseignes mono-marque).

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