Investir Responsable : ce que la crise change

par Philippe Zaouati, Directeur du Développement de Natixis Asset Management et auteur du livre “Investir responsable, en quête de nouvelles valeurs pour la finance”

La crise financière change fondamentalement la façon dont le monde bancaire et les circuits financiers sont perçus par la société. La gestion de l’épargne va devoir tirer les conséquences de cette situation nouvelle qui se caractérise par une recherche de la liquidité, de la simplicité, de la transparence et certainement aussi par une recherche de sens.

À quoi vont servir concrètement les sommes que j’investis ? Comment puis-je m’assurer que mon épargne est utilisée de façon saine ? Que je ne finance pas sans le savoir des entreprises qui sont en contradiction avec mes idées ? Comment puis-je concilier la rentabilité de mon épargne avec une finance et une économie plus vertueuse ?

L’investissement socialement responsable (ISR) est une tentative de réponse à ces questions légitimes. Cette appellation désigne une méthode de gestion qui intègre des critères sociaux, environnementaux ou éthiques. En pratique, le choix des entreprises dans lesquelles le gérant investit ne dépend plus seulement de critères financiers (rentabilité, dividende, endettement de l’entreprise, croissance du résultat), mais aussi de facteurs extra financiers (règles de bonne gouvernance, relations sociales dans l’entreprise, volume d’émission de gaz carbonique). Le résultat attendu n’est donc plus seulement d’atteindre un enrichissement financier mais aussi un enrichissement moral en quelque sorte pour l’investisseur.

Investissement socialement responsable (ISR) : voilà une expression qui sonne à première vue comme une contradiction. Investir fait penser à la rentabilité, au profit, quand ce n’est pas à une forme d’égoïsme. On imagine mal comment on peut allier à ces objectifs une notion de responsabilité. Pourtant, cette recherche de sens, cette poursuite d’objectifs positifs pour la collectivité prennent un nouveau relief dans le contexte de la crise financière. Que critique-t-on précisément dans le système financier actuel si ce n’est son opacité, son nombrilisme, son enfermement sur soi, sa quête effrénée d’une rentabilité déraisonnable ? Quelle meilleure réponse à ces critiques qu’une finance durable et responsable, soucieuse de l’intérêt collectif, attentive aux impacts de son action sur l’économie réelle, sur la société, sur l’environnement ? 

Malheureusement, l’ISR souffre encore trop de discours approximatifs, de concepts flous, d'ambiguïté. Il est donc essentiel de clarifier le discours en posant trois questions fondamentales. L’objectif est-il bon ? Les acteurs sont-ils pertinents ? Les moyens utilisés sont-ils efficaces ?

L’objectif de l’ISR est-il bon ? Est-ce une bonne chose que les investisseurs cherchent à orienter la finalité de leur épargne ? Est-ce compatible avec une économie libérale ? L’ISR est-il un moyen d’améliorer le fonctionnement de l’économie libérale ou au contraire une alternative critique à cette économie basée sur la rentabilité et les profits ? Les acteurs sont-ils pertinents ? Les gérants d’actifs sont-ils les mieux placés pour répondre à ce besoin ? N’est-ce pas plutôt le rôle des gouvernements, de l’ONU ou des ONG ? N’y a-t-il pas un risque de dévoyer ces objectifs au seul profit des acteurs de l’industrie financière ? 

Les moyens sont-ils efficaces ? Améliore-t-on vraiment le comportement social des entreprises grâce à l’investissement responsable ? L’engagement des gérants pousse-t-il vraiment les entreprises à respecter l’environnement ? A partir de quel pourcentage de l’épargne investie en ISR commence-t-on à voir des effets concrets, tangibles, mesurables ? Pour ma part, j’ai quelques convictions profondes.

Tout d’abord, la crise financière que nous traversons change radicalement l'environnement du métier de la gestion d'actifs et donne une nouvelle « chance » au développement de l’investissement socialement responsable. Pour autant, le besoin de sens dans l'investissement est loin d'être une évidence. L’argent et l’éthique ne font généralement pas bon ménage. L'histoire de l'Investissement Responsable montre que le développement de l'ISR est avant tout le fruit de l’engagement et de la conviction de petits groupes d’investisseurs. Cela reste vrai aujourd’hui.

L'ISR reste un phénomène marginal en termes de volumes gérés en France et en Europe et a de nombreux détracteurs qui n'y voient rien d'autre qu'une mode passagère et un outil marketing. Les professionnels ont quant à eux bien compris l’enjeu, mais n’ont pas trouvé le moyen d’y répondre de façon homogène. Ils ne pourront y parvenir qu’à la condition de rester à l'écart d'un certain cynisme et des discours ambigus et à condition d’apporter une vraie valeur ajoutée aux investisseurs. La recherche extra financière est donc au coeur de la démarche ISR. Or, cette recherche est jeune, relativement peu développée, souvent controversée. La question de la performance de la gestion reste aussi un dilemme et une source de confusion. L'ISR est-il créateur ou destructeur de valeur ? Les sociétés qui sont les plus respectueuses de leur empreinte sur la société seront-elles les plus performantes ? La motivation des investisseurs à choisir une gestion ISR est-elle la performance à long terme ou leur engagement éthique ? Ce débat permanent pollue depuis des années toutes les réflexions sur l’ISR. Il est urgent d’en sortir.

Par ailleurs, la gestion institutionnelle ne suffira pas à pérenniser l’investissement responsable. Il est indispensable de trouver les moyens de promouvoir cette offre auprès du grand public et de sortir du paradoxe apparent actuel, où le besoin de sens très fort des épargnants ne parvient pas à se manifester dans les comportements d'investissement. Enfin, au-delà de l’ISR, la crise actuelle et cette réflexion sur la « responsabilité » de l'investissement doivent nous conduire à repenser la gestion à long terme. Le culte du court terme, les règles comptables pro cycliques, la recherche de la rentabilité à tout prix, ont fait perdre de vue que la gestion d'actifs avait besoin de temps.