Italie : croissance négative en 2020 ?

par Paola Monperrus-Veroni, Economiste au Crédit Agricole

La lecture de la conjoncture italienne actuelle est particulièrement complexe. S’il est prématuré d’avancer, en l’absence de données, des estimations sur l’impact de la diffusion très récente du Covid-19 dans le pays, nous essayerons néanmoins de fournir une analyse qualitative de ses effets sur la croissance. Cet exercice est particulièrement compliqué puisque le point de départ, soit la vision de l’évolution de l’économie en fin d’année, est encore partiel et perturbé par beaucoup de bruit.

  • Les données disponibles sur le T4 2019 indiquent un repli de 0,3% sur le trimestre (après +0,1% au T3). Ce recul est le résultat de facteurs climatiques exceptionnels qui ont entraîné une chute de l’activité dans les secteurs de l’énergie (températures très élevées), de la construction et de l’agriculture (inondations) au T4. La production manufacturière, après une stabilisation en octobre et novembre, s’est repliée en décembre. Confindustria anticipe un fort rebond de la production industrielle en janvier, qui peut s’appuyer sur des carnets de commandes mieux remplis en décembre. La disparition des facteurs transitoires ayant pesé sur l’activité en fin d’année aurait dû permettre un rebond mécanique début 2020, toutes choses égales par ailleurs.
  • Le début de l’année 2020 s’annonçait meilleur dans toutes les enquêtes de janvier et février (conduites avant le 15 février, soit avant la diffusion de l’épidémie de Covid-19). La confiance des consommateurs a marqué une forte hausse en janvier et, malgré le petit affaiblissement de février, reste sur les deux premiers mois du T1 2020 supérieure au T4 2019. Le climat des affaires est stable sur la moyenne des deux premiers mois du T1 par rapport au T4 mais, alors qu’il s’améliore dans le secteur manufacturier et fortement dans la construction, il se dégrade dans les services et le commerce au détail.
  • Dans le secteur manufacturier, les opinions sur les commandes s’améliorent, notamment celles en provenance du marché domestique, le niveau des stocks est en baisse et celui de la production en hausse. Toutes les anticipations sont néanmoins en légère baisse en février, que ce soit les commandes, la production ou les attentes sur la situation économique. L’impact sur la confiance de la diffusion du Covid-19 en Asie est ainsi manifeste mais, à ce stade, très limité dans les enquêtes de février.
  • En l’absence de diffusion sur le territoire italien, nous avions anticipé des effets négatifs de demande et d’offre en provenance d’Asie qui se matérialiseraient avec un mois de délai par rapport aux fermetures des sites de production chinois, soit dès le mois de février en Italie, compromettant la croissance du T1 2020 (0%). Celle- ci aurait donc été nulle, le rebond endogène anticipé par les enquêtes étant compensé par le net ralentissement asiatique. La reprise de la production chinoise dès le mois de mars aurait permis d’afficher une croissance faible mais positive au T2 2020 (0,2%). La croissance en 2020 aurait atteint 0,2%.
  • Par rapport à ce scénario de reprise qui commençait à se dessiner, la diffusion de l’épidémie en Italie est une rupture importante qui augmente fortement la probabilité d’une croissance négative en 2020.
  • La diffusion de l’épidémie depuis le 21 février a conduit au confinement de dix communes en Lombardie et d’une commune en Vénétie, dites « zones rouges ». Nous ne disposons pas du détail de la valeur produite par ces communes, mais la valeur produite par les deux provinces Lodi et Padoue où sont situées les communes constitue 2,2% de la valeur ajoutée totale du pays. Dans l’hypothèse où l’on aurait un arrêt total de la production dans ces deux provinces pour un trimestre, le PIB national baisserait de 0,2% sur le trimestre. Il s’agit d’une estimation haute puisque l’activité se poursuit dans les autres communes des deux provinces.
  • D’autres mesures concernent plus largement les régions du Nord avec la suspension d’événements sportifs, de voyages et d’échanges scolaires et l’extension du télétravail, y compris en l’absence d’un accord préalablement signé. D’autres mesures plus restrictives ont été mises en œuvre par la Vénétie et la Lombardie (suspension de tout événement culturel et religieux, fermeture des écoles de tous niveaux, fermeture des musées, cinémas et lieux de culture, fermeture des bars et locaux dès 18h00 ; et la fermeture des locaux commerciaux dans les centres commerciaux en Lombardie). S’il est difficile à ce stade de comptabiliser l’impact de ces mesures de plus large portée, on peut néanmoins estimer qu’une perte de 10% sur un seul mois de production dans ces deux régions (qui comptent pour 31,2% de la valeur ajoutée nationale et pour 41% de la valeur du secteur manufacturier) pourrait engendrer une baisse de 1% du PIB sur un trimestre.
  • D’autres pertes potentielles concernent plus largement le pays. Il s’agit notamment des secteurs du tourisme et du commerce. Confturismo estime que l’Italie aura perdu d’ici le mois de mai 22 millions de touristes, soit une perte de 1,2% de la valeur générée par le secteur, qui pèse pour 13,2% du PIB et pour 15% de l’emploi total. Mais les annulations de séjours s’étendraient désormais au-delà de la période estivale ce qui laisse entrevoir un impact plus important. Confcommercio estime aussi que les pertes dans le commerce seraient de l’ordre de 6 milliards d’euros au cours des trois prochains mois, soit une perte de 3,1% pour un secteur qui représente 12% du PIB.
  • L’estimation de l’impact reste à ce jour compliqué, car il dépendra largement de la durée de la diffusion de l’épidémie et des mesures de confinement. Nous prévoyons un impact négatif significatif sur le premier trimestre avec un repli de 0,2% sur le trimestre et une activité encore au ralenti dans les secteurs du commerce, de la restauration et du tourisme au T2 2020. L’activité de production dans le secteur manufacturier devrait en revanche pouvoir afficher une reprise au T2, tirée à la fois par une dynamique endogène de normalisation et par la reprise de l’activité en Asie. La croissance au T2 serait néanmoins nulle. La probabilité élevée d’une récession au premier semestre porterait le rythme de croissance en moyenne annuelle en 2020 en territoire négatif (-0,1%). Cette prévision exclut une diffusion d’une même ampleur qu’en Italie dans les autres pays européens.
  • L’impact de la crise sur la croissance dépendra aussi des mesures de relance mises en place par les autorités. Des mesures concernant les « zones rouges » ont déjà été adoptées : report des versements des cotisations, des impôts, du règlement des factures (électricité, gaz, eau), suspension du paiement des prêts, allongement du terme pour les incitations fiscales aux entreprises. D’autres mesures sont dans les tuyaux, notamment des mesures de soutien à la liquidité et à la trésorerie des entreprises (augmentation des dotations du fonds d’indemnisation des artisans, du chômage partiel, du fonds Sace-Simest pour le financement bonifié des entreprises exportatrices). La Caisse des dépôts (CDP) italienne prévoirait aussi des mesures pour abonder les prêts à taux bonifiés aux PME et mid-caps, ainsi que le report des échéances de prêt à 2021 pour les collectivités locales dans les « zones rouges ».
  • Pour financer ces mesures, l’Italie pourra bénéficier de la clause de flexibilité prévue par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui prévoit qu’en période de conjoncture exceptionnellement défavorable (contraction du PIB réel), tous les États membres, indépendamment de leur niveau d'endettement, seraient temporairement exemptés de tout effort budgétaire. L’Italie s’est engagée à assurer une stabilisation de son déficit à 2,2% en 2020, ce qui serait obtenu sans ajustement structurel. Au contraire, une dégradation du déficit structurel de 0,1 point est prévue contre un ajustement de 0,5 point requis. Mais une telle déviation est tolérée car non significative. Le Pacte de stabilité et de croissance permet donc de tenir compte, dans le cadre du volet correctif, d'une détérioration inattendue de la situation économique et d’autoriser les pays à s’écarter temporairement de la trajectoire d’ajustement. Cette disposition n'a encore jamais été appliquée, bien qu'elle reflète de facto la logique suivie au moment de la crise financière de 2008, lorsque les trajectoires d’ajustement ont été revues pour plusieurs États. Finalement, la contrainte la plus serrée pour l’Italie serait celle des conditions de financement de sa dette et de la position des investisseurs en cas de dégradation du ratio dette/PIB à la fois par l’effet du dénominateur (faible croissance) et du numérateur (déficit plus élevé). Bien que la prime de risque souveraine se soit immédiatement tendue avec la diffusion de l’épidémie, la baisse concomitante du rendement du Bund a contenu à 1,15% le rendement du souverain italien à 10 ans.

Retrouvez les études économiques de Crédit Agricole