Italie : Penser l’après Renzi

par Paola Monperrus-Veroni, Economiste au Crédit Agricole

Les 1 000 jours du gouvernement Renzi ont pris fin le 4 décembre, lorsque les Italiens ont massivement rejeté sa proposition de réformer les institutions du pays. Bien que le vote portât sur une partie importante des réformes institutionnelles – la suppression du Sénat électif, la fin du bicamérisme paritaire et la réduction du nombre de sénateurs – le fond de la réforme n’était que marginalement l’objet du référendum.

Le vote s’est transformé en un plébiscite pour ou contre l’action du gouvernement et c’est avec un taux très élevé de participation (68,5%) et une victoire nette (59,1%) du camp du non que les Italiens ont voté.

Matteo Renzi, qui depuis le début de la campagne, avait conditionné son maintien au gouvernement à une approbation de sa réforme, en a vite tiré les conséquences et, en toute cohérence, a annoncé sa démission. Celle-ci deviendra effective après le vote de la loi de finances pour 2017 au Parlement.

Nous attribuons une faible probabilité à un retour aux urnes avant la fin 2017. Des élections immédiates ne profiteraient à aucune des forces traditionnelles et risqueraient de ne pas dégager de majorité stable. La probabilité d’une accession au pouvoir du mouvement antisystème M5S nous semble encore faible à ce stade, éloignant de fait le risque d’un référendum sur la sortie de l’euro.

Notre scénario central est celui d’un nouveau mandat confié par le président de la ré- publique au Parti démocrate de Renzi, qui reste le premier parti dans les intentions de vote. Sa principale mission sera de proposer une réforme de la loi électorale consensuelle et capable de conduire à une claire majorité lors des prochaines élections prévues en avril 2018.

Ce scénario entraînera une période d’incertitude et de volatilité jusqu’à la mi- 2018 et donnera lieu à une campagne électorale longue et âprement disputée. Ce sera pour partie une sorte de retour en arrière, avec des incertitudes sur la majorité qu’une loi électorale proportionnelle pourra dégager. Cela impliquera aussi un arrêt de l’impulsion réformatrice. Néanmoins, au-delà de l’échec de la réforme de la constitution, le gouvernement Renzi a inscrit dans le marbre des réformes importantes qui modifient l’avenir du pays.

Mais, sur le plan économique, cela aura pour conséquence de rendre difficile le redresse- ment de la croissance potentielle et l’activité économique oscillera autour d’un rythme de croissance modeste. Dans ces conditions, nous n’excluons pas une résurgence progressive du risque politique et souverain. La réaction des investisseurs internationaux devrait être limitée, avec une posture attentiste mais une réappréciation progressive du risque pays.

La Banque centrale européenne sera très attentive à toute remontée des rendements pouvant mettre en danger la stabilité financière. Elle dispose de marges de manœuvre dans le cadre du QE pour augmenter temporairement les achats de titres de la dette italienne légèrement au-delà de la limite fixée par la clé de répartition de son capital, comme cela a été fait à l’occasion du Brexit.

Les agences de notation guetteront de près la situation. Nous n’attendons pas de change- ments de notation dans l’immédiat du simple fait de la victoire du non mais une instabilité politique prolongée pourrait les amener à réévaluer le risque italien.

Un clair désaveu

Les 1 000 jours du gouvernement Renzi ont pris fin le 4 décembre, lorsque les Italiens ont massive- ment rejeté sa proposition de reformer les institu- tions du pays. Bien que le vote portât sur une partie importante des réformes institutionnelles – la sup- pression du Sénat électif, la fin du bicamérisme paritaire et la réduction du nombre de sénateurs –, le fond de la réforme n’a été que marginalement l’objet du référendum. Celui-ci s’est transformé en un plébiscite pour ou contre l’action du gouverne- ment et c’est avec un taux très élevé de participa- tion (68,5%) et une victoire nette (59,1%) du camp du non que les Italiens ont voté. Matteo Renzi, qui depuis le début de la campagne, avait conditionné son maintien au gouvernement à une approbation de sa réforme, en a vite tiré les conséquences et, en toute cohérence, a annoncé sa démission. Celle-ci deviendra effective après le vote de la loi de finances pour 2017 au Parlement.

Le fond de la question

Les Italiens étaient appelés à se prononcer par voie référendaire sur la réforme constitutionnelle, qui prévoit la suppression d’un Sénat élu directement et la fin du bicamérisme parfait. Ce dernier garantit aujourd’hui un équilibre des pouvoirs des deux chambres mais allonge excessivement le processus législatif. Le vote de chacune des deux chambres est en effet nécessaire pour l’approbation de chaque loi et de chaque amende- ment, et pour accorder la confiance au gouverne- ment. De plus, deux règles électorales différentes d’une chambre à l’autre (proportionnelle pure au Sénat) peuvent produire deux majorités différentes et créer un blocage (c’est ce qui s’est produit aux dernières législatives de 2013). Si la réforme constitutionnelle a été votée par les deux chambres (à moins des deux tiers, ce qui explique le recours obligatoire au référendum), elle a néanmoins ses détracteurs. Ceux-ci soulignent les risques qu’entraîne le fait de se retrouver avec une seule chambre (le nouveau Sénat ressemblant à une chambre non élue avec un mandat centré sur les questions territoriales).

Les modalités de la nouvelle loi électorale pour la Chambre basse ont également été décisives dans l’orientation du vote. La réforme de la loi électorale proposée par M.Renzi et votée par les deux chambres est aujourd’hui entrée en vigueur. Elle prévoit de passer d’un système proportionnel pur à un système de scrutin majoritaire à deux tours avec une forte prime de majorité pour le parti remportant au moins 40% des suffrages. Ce système garantit l’alternance et la gouvernabilité dans un panorama politique bipartite, mais il permet aussi une accession au pouvoir plus facile à des partis contestataires dans un contexte de plus forte fragmentation politique. Notamment le Mouvement 5 étoiles de B. Grillo, qui est aujourd’hui la deuxième force poltique, gagnerait au second tour face au PD selon les sondages.

Une telle issue serait davantage risquée sans un Sénat (aujourd’hui élu au système proportionnel) capable de générer un contre-pouvoir.

L’application de la nouvelle loi électorale est toute- fois conditionnée par le jugement que la Cour constitutionnelle est appelée à rendre après le référendum. Le verdict très probable d’inconstitutionnalité (en particulier sur l’importance de la prime majori- taire) ramènera le système électoral à un système proportionnel pur. Cela forcera le gouvernement à ouvrir la discussion pour amender la nouvelle loi électorale. Cette discussion a déjà été ouverte peu avant le référendum au sein du Parti démocrate (PD) afin de trouver un terrain d’entente avec l’aile gauche et son front du «non» au référendum. Mais cette ouverture n’a pas suffi à rallier le camp interne du non, ni à rassurer la partie des électeurs qui craint une trop forte concentration du pouvoir à la chambre basse.

Faire campagne contre cette réforme qui symbolise le renouveau politique a été un exercice hautement périlleux pour les partis porteurs d’une volonté de changement, y compris le mouvement antisystème M5S. Dans l’électorat de droite, il a fallu en outre dépasser la contradiction qui consistait à voter contre une réforme initialement portée par M. Berlusconi. Mais M. Renzi, en mettant son man- dat en jeu sur le résultat du vote, a transformé le scrutin en un plébiscite vis-à-vis de la politique du gouvernement.

Analyse du vote

Le verdict a été net. Six électeurs sur dix ont voté contre la réforme et la forte participation renforce ce résultat. Le vote a été presque unanime sur tout le territoire national ; dans seulement trois régions, bastions de la gauche, le « oui » l’a emporté. 80% des électeurs ont donc suivi les consignes de leurs partis et l’opposition à Renzi, très hétérogène (M5S, droite berlusconienne, droite extrême, Ligue Nord et minorité PD), est apparue majoritaire.

La logique de la solidarité négative (voter pour le moins pire), qui avait été appliquée dans les reports de voix contre le PD lors des dernières élections municipales a donc encore été remise au goût du jour.

Mais de quelle stratégie post-Renzexit disposent les opposants ? Aucune, sauf celle, forcée, de sou- tenir un gouvernement non élu. Le respect de la volonté populaire, si chère au Mouvement cinq étoiles (M5S) devra s’accommoder de ce compromis car, bien que le M5S, avec la Ligue du Nord et l’extrême droite, appellent à des élections immédiates, aucune des forces traditionnelles n’est prête à les accepter avant d’avoir modifié la loi électorale. Le Parti des Libertés de S. Berlusconi devra aussi justifier sa participation à un accord contre nature avec le PD, sorte de donnant-donnant pour négocier des règles électorales plus favorables alors qu’il a appelé à poursuivre la législature jusqu’en 2018. En effet, en regardant de plus près le vote, un seul parti, le PD, et un seul leader, M. Renzi, sont à ce jour capable de remporter plus de 35% des préfé- rences (on peut attribuer 5% des votes en faveur de la réforme à des électeurs non sympathisants du PD). Dans sa recherche de solution à la crise politique qui vient de s’ouvrir le président de la République S. Mattarella se devra de prendre en compte ce résultat.

Les raison de Renzi

A ceux qui souhaiteraient un retour aux urnes immédiat ou passer sous silence le bilan de M. Renzi, il faut rappeler la genèse du gouvernement de celui-ci. Le Parti démocrate dirigé par L. Bersani, vainqueur des élections de février 2013 mais privé de majorité au Sénat, s’est montré incapable de former un gouvernement. Le président de la République a alors man- daté E. Letta pour former un gouvernement de « large entente » afin de trouver des convergences entre les différentes forces politiques et assurer une majorité dans les deux chambres. Un gouvernement de grande coalition, avec des partisans du centre et de la droite berlusconienne, a été constitué, avec l’objectif précis de réformer le pays. Avec l’accession de M. Renzi à la présidence du Parti démocrate, un nouvel exécutif est formé en février 2014, recentré sur le Parti démocrate et avec l’appui du Centre-droit. Le gouvernement Renzi voit donc le jour avec le mandat du précédent gouvernement de réformer le pays et notamment les règles électorales qui ont conduit en 2013 à l’absence d’une majorité claire. Mais, fort de sa victoire (40% aux élections européennes de mai 2014), M. Renzi a pu affirmer un leadership plus clair et personnaliser le processus réformiste.

La narration de la législature Renzi s’est donc cons- truite autour de deux axes. Le premier est celui de l’amélioration de la gouvernance du pays avec des réformes institutionnelles et structurelles visant à améliorer la perception du risque italien. Le deuxième est celui de l’arrêt des politiques d’austérité qui ont mis à genoux le pays pour gagner des marges de manœuvre budgétaires et soutenir la reprise qui se dessine. Le premier axe a été la monnaie d’échange avec les partenaires européens pour obtenir plus de flexibilité budgétaire, une manière d’imposer un nou- veau modèle de sortie de crise en Europe.

C’est donc essentiellement de cette première mission qu’hérite le nouveau gouvernement post-référendum. Celui-ci ne pourra pas faire l’impasse d’un renouveau institutionnel, qui se devra néanmoins d’être plus consensuel et qui rimera avec plus de proportionnalité, mais aussi avec une moindre gouvernabilité. L’objectif est donc d’assurer la transition vers la prochaine échéance électorale d’avril 2018 avec une réforme et une harmonisation de la loi électorale entre les deux chambres. C’est pour cela que nous attribuons une faible probabilité à un retour aux urnes avant la fin 2017. Des élections immédiates ne profiteraient à aucune des forces traditionnelles et risqueraient de ne pas dégager de majorité stable. La probabilité d’une accession au pouvoir du mouvement antisystème M5S reste faible dans l’immédiat et encore plus faible est la probabilité d’un référendum sur la sortie de l’euro.

La réforme de la loi électorale devra attendre la décision de la Cour constitutionnelle quant à la constitutionalité de la loi en vigueur, décision qui devrait intervenir le 24 janvier ou février. La négociation entre les partis qui suivra s’annonce longue et complexe. La configuration institutionnelle qui émergera sera décisive pour l’avenir et la stabilité politique de l’Italie. Toute avancée vers plus de pro- portionnalité augmentera le risque de fragmentation et d’instabilité, tout en mettant le pays à l’abri d’une montée des partis antisystème. Toute différence de modalité de scrutin entre les deux chambres engendrera un risque de blocage. Un compromis subtil entre gouvernabilité et stabilité devra être trouvé.

Imaginer l’après Renzi

Notre scénario central est celui d’un mandat confié par le président de la République de nouveau au Parti démocrate de M. Renzi, qui reste le premier parti dans les intentions de vote. Sa principale mis- sion sera de proposer une réforme de la loi électorale capable de conduire à une majorité claire lors des prochaines élections prévues en avril 2018. Pour cela, le Parti démocrate, déchiré par les dissensions internes lors de la campagne référendaire et par le résultat du scrutin devra retrouver une cohésion entre l’aile renzienne et son front de gauche. Il devra surtout renouer le dialogue avec la droite berlusconienne, que l’on peut soupçonner d’avoir embrassé le camp du « non » pour revenir à la table des négociations et peser sur le choix d’un système électoral moins majoritaire et plus favorable aux coalitions. Ce processus sera laborieux et il est difficile d’en envisager un dénouement en amont de l’échéance électorale de 2018.

L’Italie est à ce jour privée d’un véritable leadership politique et toute solution technocratique ne ferait qu’alimenter le sentiment antisystème des électeurs. Un gouvernement mené par une personnalité plus politique aurait la charge de souder le parti de gouvernement et de composer avec la droite plus modérée, afin de garantir une majorité stable en faveur de la poursuite des réformes institutionnelles. Ce n’est qu’un gouvernement politique qui pourra soutenir les nouveaux accords de majorité et gérer les nouveaux équilibres. Il est aussi difficile d’envisager un gouvernement technique préparant la loi de finances pour 2018 en plein cycle électoral et engageant le parti au gouvernement dans la campagne.

Pour ces raisons, nous pensons que M. Renzi gardera la direction du Parti démocrate, soit pour maintenir le dialogue avec les partenaires au cas où une figure «politique» telle que l’actuel président du Sénat, P. Grasso, serait nommée, soit pour conserver son empreinte politique au cas où un gouvernement « technique » guidé par l’actuel ministre de l’Économie P. Padoan serait désigné.

Ce scénario impliquera toutefois une période d’incertitude et de volatilité jusqu’à la mi-2018 et une campagne électorale longue et âprement disputée. Ce sera une sorte de retour en arrière avec des incertitudes sur la majorité qu’une loi électorale proportionnelle pourra dégager. Cela impliquera aussi un arrêt de l’impulsion réformatrice. Néanmoins, au-delà de l’échec de la réforme de la constitution, le gouverne- ment Renzi a inscrit dans le marbre des réformes importantes qui modifient l’avenir du pays. D’autres réformes telles que la baisse de la fiscalité, le plan d’investissement pour le Sud, le grand plan pour la prévention sismique et la réforme des administrations publiques sont déjà engagées et inscrites dans le programme budgétaire pluriannuel, devenant ainsi contraignantes pour le nouveau gouvernement.

Sur le plan économique, cet environnement incertain rendra plus difficile le redressement de la croissance potentielle et l’activité économique oscillera autour d’un rythme de croissance modeste. Dans ces conditions, nous n’excluons pas une résurgence progressive du risque politique et souverain. La réaction des investisseurs internationaux devrait être limitée, avec une posture attentiste mais une réappréciation progressive du risque pays.

La Banque centrale européenne sera très attentive à toute remontée des rendements italiens pouvant mettre en danger la stabilité financière et dispose de marges de manœuvre dans le cadre du QE pour augmenter temporairement les achats de titres de la dette italienne légèrement au-delà de la limite fixée par la clé de répartition de son capital, comme cela a été fait à l’occasion du Brexit.

Les agences de notation guetteront de près les évolutions de la situation, prêtes à réviser à la hausse leur appréciation du risque pays. Nous n’attendons pas de changements de notation immédiats du simple fait de la victoire du non, même si deux agences Fitch et DBRS ont placé l’Italie sous perspective négative en amont du référendum. Notons toutefois qu’une dégradation de la note de l’Italie par DBRS, qui aujourd’hui accorde le meilleur rating des quatre agences, aurait des conséquences importantes sur la décote appliquée à la dette italienne utilisée comme collatéral dans les opérations de refinancement auprès de la BCE par les banques, augmentant les coûts de financement.

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