Italie : un cap délicat en fin d’année

par Paola Monperrus-Veroni, Sandra Fronteau et Delphine Cavalier, Economistes au Crédit Agricole

La phase d’incertitude que traverse l’Italie impacte négativement l’économie à travers le ralentissement de la consommation, malgré l’accélération du pouvoir d’achat des ménages et un investissement faible en dépit de l’amélioration des marges au T2.

On attend une légère accélération de l’activité au T3 : nette amélioration de la production industrielle et des commandes en août et renforcement des exportations notamment en dehors de l’UE ; amélioration du climat des affaires mais dégradation de la confiance des ménages en octobre.

Le bras de fer entre le gouvernement et la Commission européenne sur le budget 2017 continue, mais les nouvelles dépenses pour la mise en sécurité et la reconstruction après le tremblement de terre de fin octobre augmentent la probabilité d’une issue favorable à l’Italie.

Le 4 décembre, les Italiens sont appelés à se prononcer par voie référendaire sur la réforme constitu- tionnelle, qui prévoit la suppression du Sénat électif et du bicamérisme parfait.

– Le camp du non est en avance, mais il est très hétérogène dans ses motivations et les indécis comptent encore pour 27%.

– L’effet collatéral d’un vote « non » (50% de probabilité) au référendum sera probablement la dé- mission de M. Renzi et un nouveau mandat donné par le président de la République au Parti démocrate (probabilité de 47% en cas de « non » selon nous) avec le programme déjà annoncé des réformes qui devrait être maintenu.

– Un résultat négatif au référendum obligerait à une réforme de la nouvelle loi électorale pour en augmenter le degré de proportionnalité et éloigner le risque extrême d’une accession au pouvoir du M5S, mais au prix d’une stabilité et d’une gouvernabilité affaiblies.

– L’agence DBRS, qui affiche la meilleure appréciation de l’Italie parmi les agences, devrait abais- ser sa note. Cela aura des conséquences importantes sur la décote du souverain apporté en col- latéral dans les opérations de refinancement auprès de la BCE, qui passerait de 3% à 11,5% augmentant ainsi le coût de financement du secteur bancaire.

Les banques italiennes abordent une fin d’année délicate de montée des risques qui, si elle est surmontée, éclaircira de beaucoup les perspectives de tout le secteur.

– L’étape la plus difficile concerne Monte Paschi (MPS) qui, pour mettre en œuvre son ambitieux plan de restructuration et, dans la foulée du référendum, son augmentation de capital complexe, remet une nouvelle fois son sort entre les mains du marché. En cas de victoire du non au référendum, le risque n’est pas nul que des marchés volatils gênent l’enchaînement des opérations.

– À la mi-décembre, Unicredit dévoilera son plan stratégique, probablement assorti d’une augmen- tation de capital, dont le calendrier pourra dépendre du déroulement de l’opération de MPS.

– En 2017, le secteur bancaire poursuivra le traitement des autres cas fragiles, donnant probable- ment lieu à un nouveau soutien financier de la part des banques saines.

– À moyen terme, les perspectives deviennent plus favorables sous l’effet de l’accélération des restructurations et du nettoyage des bilans, sous la pression toujours accrue de la BCE.

Politique : le jour du jugement

Le 4 décembre, les Italiens sont appelés à se prononcer par voie référendaire sur la réforme constitutionnelle, qui prévoit la suppression d’un Sénat élu directement et du bicamérisme parfait. Ce dernier garantit aujourd’hui un équilibre des pouvoirs des deux chambres mais allonge excessivement le processus législatif. Si cette ré- forme a été votée par les deux chambres (à moins des deux tiers, ce qui explique le recours obligatoire au référendum), elle a néanmoins ses détrac- teurs qui soulignent les risques de se retrouver avec une seule chambre (le nouveau Sénat ressemblant à une chambre non élue avec un mandat centré sur les questions territoriales). Mais l’enjeu du scrutin réside également dans le fait que M. Renzi a lié son maintien au pouvoir à la victoire du oui au référendum, transformant ce dernier en un plébiscite vis-à-vis de son mandat. Faire cam- pagne contre cette réforme qui symbolise le renouveau politique sera néanmoins un exercice haute- ment périlleux pour les partis porteurs d’une volonté de changement. Dans l’électorat de droite, il faudra en outre dépasser la contradiction qui consiste à voter contre une réforme initialement portée par M. Berlusconi. Tous les regards seront donc rivés sur ce résultat, aujourd’hui très incertain selon les derniers sondages. Le camp du non est en avance, mais il est très hétérogène dans ses motivations et on compte encore 27% d’indécis.

Plus décisive nous paraît toutefois la forme que prendra la nouvelle loi électorale pour la Chambre basse. La réforme de la loi électorale proposée par M. Renzi et votée par les deux chambres est aujourd’hui entrée en vigueur. Elle prévoit de passer d’un système proportionnel pur à un système à deux tours avec une forte prime de majorité pour le parti remportant au moins 40% des suffrages. Ce système, garan- tissant l’alternance et la gouvernabilité dans un panorama politique bipartite, permet aussi une accession au pouvoir plus facile pour des partis contestataires dans un contexte de plus forte fragmentation politique et notamment du Mouvement 5 étoiles de B. Grillo, deuxième force politique et gagnant au deuxième tour face au PD selon les sondages. Une telle issue serait davantage risquée sans un Sénat (aujourd’hui élu au système proportionnel) capable de générer un contre- pouvoir.

Mais l’application de la nouvelle loi électo- rale est conditionnée par le jugement que la Cour constitutionnelle est appelée à rendre après le référendum. Le verdict très probable d’inconstitutionnalité (en particulier sur l’importance de la prime majoritaire) ramènerait le système électoral à un système proportionnel pur et forcerait le gouvernement à ouvrir la discussion pour amender la nouvelle loi électorale. Cette discussion peut se tenir avant même le référendum au sein du PD, condui- sant à chercher un terrain d’entente avec l’aile gauche et son front du non au référendum. La révision pourrait être une occasion à ne pas rater pour les partis traditionnels pour revenir à un système moins majoritaire et plus favorable aux coalitions. Une négociation gauche-droite avant le référendum est en revanche prématurée, les positions étant différentes selon que l’on se trouve en présence d’une ou de deux chambres.

La configuration institutionnelle qui émergera sera déterminante pour évaluer le risque italien. Toute avancée vers plus de proportionnalité augmentera le risque de fragmentation et d’instabilité, tout en mettant à l’abri d’une montée des partis antisystème. Toute différence de modalité de scrutin entre les deux chambres engendrera un risque de blocage. Un compromis subtil entre gouvernabilité et stabilité devra être trouvé. L’effet collatéral d’un vote non (50% de probabilité) au référendum sera probablement la démission (réclamée par les opposants) de M. Renzi et un nouveau mandat donné par le président de la République au PD (probabilité élevée de 47% selon nous en cas de non). Ce nouveau gouvernement non élu (mené par M. Renzi ou par un autre membre du PD) aura pour mandat priori- taire la renégociation de la loi électorale avant les élections d’avril 2018, puisqu’aucune des forces traditionnelles n’est prête à aller à des élections anticipées avec un système proportionnel pur.

Attention donc à ne pas lire de façon binaire les résultats du 4 décembre, puisque le risque est plus complexe et durable. Les marchés seront tentés d’interpréter positivement un oui à court terme avant d’intégrer plus progressivement le risque de l’arrivée au pouvoir d’un parti antisystème si la loi électorale majoritaire n’est pas changée. En revanche un non serait interprété négativement comme une entrave à l’élan réformiste. Cependant, la probabilité d’un maintien du mandat du PD (avec ou sans M. Renzi) est élevée, et le programme déjà annoncé de réformes devrait se poursuivre. Un résultat négatif au référendum obligerait à une réforme de la nouvelle loi électorale pour en augmenter le degré de proportionnalité éloignant le risque extrême d’une accession au pouvoir du M5S, au prix d’une moindre stabilité et gouvernabilité.

L’incertitude qui découlera des issues plus risquées conduira les agences de notation à réviser à la hausse leur appréciation du risque pays. Si aujourd’hui il n’existe pas de risque de perte de l’investment grade (les notations des agences sont supérieures de 1 à 4 crans au niveau non-investment grade), en cas de victoire du non, l’agence DBRS devrait abaisser la note de l’Italie. Cette agence, qui affiche la meilleure notation sur le pays, a émis en août une perspective négative. Une telle action aurait des conséquences importantes sur la décote appliquée à la dette italienne utilisée comme collatéral dans les opérations de refinancement de la BCE. Les critères d’éligibilité des titres souverains comme collatéral sont fondés sur le principe de la meilleure notation ; la baisse de la note par DBRS porterait la décote d’un titre à 10 ans de 3% à 11,5%, augmentant ainsi le coût de financement des banques.

Secteur bancaire : parcours d’obstacles sur la voie de la rédemption

Les réformes votées depuis un an ont amélioré les perspectives d’évolution de la qualité des actifs bancaires en Italie (340 Mds € d’expositions non perfor- mantes brutes dans le secteur bancaire) ; leurs effets seront sensibles d’ici quatre à cinq ans. Entretemps, un certain nombre de cas fragiles1 doivent être traités, qui vont encore considérablement mobiliser des ressources privées, avant que l’on puisse estimer le secteur sorti d’une zone à risque.

L’actualité bancaire est ainsi dominée par la mise à jour détaillée du plan de restructuration massive de MPS le 25 octobre2. Les informations ont concerné en premier lieu le plan stratégique de la nouvelle banque qui naîtra allégée de l’intégralité de son portefeuille de sofferenze (28 Mds €) et adoptera un nouveau business model. En second lieu, MPS a rappelé les modalités (inchangées par rapport au plan du 29 juillet) de la titrisation des sofferenze dans un véhicule ad hoc (SPV), et celles du prêt relais, dont la seule nouveauté sera d’être en partie financé par MPS elle-même. Cependant, il faudra attendre encore un peu pour connaître, le 24 novembre, les termes du Liability Management Exercise (LME) sous-jacent à l’augmentation de capital elle-même, qui seront soumis au vote des actionnaires.

Ne pouvant lever en totalité sur les marchés les 5 Mds € dont elle a besoin, MPS prévoit de compartimenter son offre entre de nouveaux anchor investors, encore à trouver, et les investisseurs actuels – institutionnels et particuliers, détenteurs de dette subordonnée (environ 5 Mds €) et senior (environ 20 Mds€) –, qui se verront proposer une conversion de leurs titres en actions et recevront la tranche junior du SPV (obligations adossées aux sofferenze les plus risquées). Le succès du LME dé- terminera le montant d’un éventuel appel résiduel au marché. Si l’augmentation de capital ainsi structu- rée n’est pas votée, MPS reviendra probablement au plan initial de la BCE de réduction des sofferenze en trois ans, ce qui rendra les perspectives de la banque beaucoup moins séduisantes que celles esquissées dans le plan présenté, sans lui éviter pour autant des augmentations de capital. Compte tenu des cours actuels de la dette subordonnée et senior, ses détenteurs y réfléchiront à deux fois avant de refuser la conversion, contre un risque de perte totale en cas de burden sharing. Au-delà de la décision du 24 novembre, les risques d’exécution de ce plan complexe restent en effet nombreux.

Un succès de l’opération réapprécierait sans con- teste les perspectives de tout le secteur et renforcerait la crédibilité des réformes. Les besoins en provisionnement devraient remonter à court terme, alors que d’autres banques sont tentées de suivre la voie de MPS. En 2017, les banques devront aussi mettre en place une politique stricte de gestion du risque de crédit selon les lignes directrices édictées par la BCE mi-septembre. Les efforts seront payants à moyen terme à travers le renforcement de la con- fiance et la baisse du coût des financements de gros.

Pour autant, la résolution en cours du problème de la qualité des actifs est une condition nécessaire mais pas suffisante pour assurer le retour de la rentabilité. L’environnement macro-financier reste difficile, comme le rappellent les données d’août de la Banque d’Italie. La croissance économique décevante n’aide pas l’encours de crédit à l’économie à se redresser (-0,2% sur un an), toujours lesté par le recul du crédit aux entreprises (-2,1%). Le crédit aux ménages consolide en revanche sa reprise (+2,3%). Les besoins de financement ont continué de s’éroder, mais les dépôts à vue sont restés dynamiques (+10%) grâce à un effet revenu mais aussi à une préférence plus marquée pour la liquidité en période d’incertitudes (Brexit au T2, référendum au T4), qui ont pesé sur les flux vers l’épargne sous gestion.

Les marges nettes d’intérêts restent les principales victimes des faibles volumes de crédit mais surtout des taux bas, ce que les résultats du T3 devraient une fois de plus souligner. Les taux sur nouveaux crédits ont diminué d’environ 20 points de base d’avril à août, alors que les coûts de financement ne peuvent plus guère baisser avec un taux sur dépôts à vue proche de zéro. Si la 1re tranche des TLTRO 2 de juin a permis aux banques italiennes de réduire à la marge le coût moyen des ressources, en refinançant gratuitement leur dette TLTRO, leur absence à la 2e tranche de septembre tient à leur surliquidité. Par ailleurs, si les taux bas aident à ralentir la dégradation de la qualité du crédit, ils incitent à main- tenir une grande sélectivité envers la clientèle d’entreprises. Face à l’écrasement des marges mais aussi à la hausse des charges systémiques, les banques in- novent dans la facturation de certains services liés aux comptes courants. Toutefois, le principal levier sur lequel agir davantage pour soutenir les profits est celui de la réduction des coûts d’exploitation, à laquelle le gouvernement va d’ailleurs contribuer en abondant le fonds finançant les départs en pré-retraites. L’objectif à 2020 est de réduire les effectifs de 25 000 salariés sur un total de quelque 300 000.

Ainsi la poursuite des restructurations et du nettoyage des bilans n’apparaît-elle plus comme une conséquence des fusions bancaires mais s’impose aujourd’hui davantage comme un prérequis à ce mouvement. Les dernières conversions en sociétés par actions de quatre grandes banques populaires d’ici à la fin 20163 tendent aussi à reporter la consolidation sur le S2 2017 au plus tôt. La finalisation attendue des exigences en fonds propres durs est un autre motif qui invite les banques à la patience.

NOTES

  1. Monte dei Paschi (MPS), Popolare di Vicenza, Veneto Banca, Banca Carige, et les quatre banques relais. Unicredit devrait aussi lancer une augmentation de capital début 2017.
  2. Cf. Perspectives Italie : Conjoncture – Août-Septembre 2016 du 12 septembre 2016.
  3. Popolare dell’Emilia Romagna, Credito Valtellinese, Popolare di Sondrio et Popolare di Bari.

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