Italie : une carpe et un lapin

par Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer de Natixis Wealth Management et VEGA IM

Depuis le résultat des élections législatives italiennes le 4 mars et l’impasse politique des dernières semaines, les marchés s’étaient montrés d’abord conciliants avec l’Italie, avant de céder, depuis quelques jours, à une période de stress, qui s’est matérialisée essentiellement sur le marché obligataire.

Rappelons tout d’abord la situation au lendemain de l’élection et ce que nous écrivions le 5 mars, témoignant du sentiment général des investisseurs : « il faut noter tout d’abord que le marché, habitué à la complexité et à l’instabilité italienne, ne s’est pas préoccupé réellement de ces élections, comme l’attestent à la fois la meilleure performance des actions italiennes comparativement aux autres pays européens depuis le début d’année, ainsi que la nette réduction de l’écart de taux des obligations italiennes notamment par rapport au 10 ans allemand. L’économie, les migrants et la déconsidération du personnel politique constituaient les principaux enjeux de l’élection, avec notamment un PIB italien ressortant plus d’un point sous la moyenne de la zone euro. Le mode de scrutin se révélait également problématique avec un système complexe de 36 % des sièges attribués au scrutin majoritaire et 64 % au scrutin proportionnel. Trois blocs comme prévus sont ressortis de ce scrutin avec le mouvement 5 étoiles (M5S), 1er parti italien avec plus de 30 % des voix, le parti démocrate autour de 20 % et la coalition de droite entre la Forza Italia et la Ligue du Nord qui atteint 37 %. Les négociations seront longues et ces périodes n’impliquent pas nécessairement une sous performance de l’Italie, comme l’ont montré les exemples récents de plusieurs autres pays européens. Alors toutefois que les implications de cette élection sur la zone euro semblaient s’éloigner du fait notamment de l’éviction de Beppe Grillo en faveur d’un représentant moins fantasque, Luigi di Maio, le résultat de ce vote remet en avant la possibilité d’union possible de courants populistes anti-européens ».

Le marché est resté dans cette tonalité accommodante depuis lors, s’inscrivant encore dans l’idée que le risque politique européen était largement réduit depuis l’élection d’Emmanuel Macron et que l’idée de sortie de l’euro avait été durablement mis à mal suite au débat d’après 1er tour en France.

Pourquoi le débat autour de l’Italie a-t-il alors ressurgi ? La publication des mesures composant le « contrat de gouvernement » entre les leaders de la Ligue et du M5S (décidées en fait dès le début du mois d’avril) ont été publiées par la presse le 14 mai. C’est ce dévoilement qui a entraîné une performance relative du marché italien actions moindre que celui des marchés européens ainsi qu’une fuite vers la qualité en faveur des obligations des pays « cœur » de la zone euro. Ce mouvement s’est d’ailleurs étendu à l’ensemble des pays du Sud de l’Europe, contaminant l’Espagne et le Portugal. Ces chiffres sont toutefois à nuancer fortement, car depuis le début d’année le marché des actions italien restait encore hier soir le meilleur performeur européen avec la France depuis le début d’année avec près de 6 % de hausse. Sur les taux d’intérêt, le mouvement est par contre plus significatif avec une hausse de 30 centimes des taux italiens, alors que les marchés « cœur » de la France et de l’Allemagne ont perdu plus de 15 centimes. Le mouvement de début d’année, qui avait vu les taux italiens baisser de 2,1 % à moins de 1,8 %, s’est donc retourné mais seulement à partir de début mai, soit deux mois après les élections législatives.

Rappelons tout d’abord que la Ligue, associée à Forza Italia, et le M5S ont approché à eux deux la barre des 50 % lors des élections législatives d’il y a deux mois. Ces partis sont appelés tous deux « anti-système » mais ils sont très différents en réalité dans leur approche. Le parti de la Ligue – ex Ligue du Nord – est un parti d’extrême droite dont la ligne, pour faire le parallèle avec le cas français, serait plus proche de Marion Maréchal que de celle de la Présidente du Front National, alors que le M5S n’est pas du tout le pendant par exemple d’un parti d’extrême gauche, mais se situe réellement en dehors de l’échiquier politique ; c’est un parti qu’on pourrait qualifier de post idéologique avec une forte modernité qui est rarement soulignée, tandis que certains observateurs indiquent que c’est le parti qui le 1er, davantage encore que dans le cas d’Emmanuel Macron avec En Marche, a su tirer pleinement parti d’Internet dans sa conquête du pouvoir. Un des créateurs de ce mouvement est d’ailleurs un spécialiste du web et cette image est davantage à garder à l’esprit que celle souvent véhiculée du « bouffon Beppe Grillo » et de son pseudo-amateurisme.

L’élection de ces deux partis est emblématique de la situation italienne et l’explication de leur succès est assez simple. La Ligue a construit sa victoire autour de la lutte contre l’immigration clandestine, et sur le fait que la France et Bruxelles aient laissé l’Italie se débrouiller seule face à l’arrivée de 600 000 migrants. L’Italie s’est sentie abandonnée à la fois par ses voisins et par l’Europe. M5S, lui, a été élu sur des thèmes économiques, face à l’appauvrissement croissant de l’Italie, autour de la question du revenu minimum citoyen de 780 euros et de la fin de la politique d’austérité, notamment du projet de réforme des retraites à 67 ans, en mettant en place par exemple un « barème 100 », avec possibilité de prendre sa retraite quand la somme de l’âge et de la cotisation est égale à 100 – par exemple prendre sa retraite à 65 ans avec 35 ans de cotisation. Un dernier point commun du projet serait l’établissement d’une flat tax à 15 % ou 20 % au lieu de l’impôt progressif actuel entre 23 % et 43 %. Mais le plus intéressant est peut-être de voir ce qui a été abandonné par les deux partis politiques. Les deux principaux points qui ont été retirés du programme sont la sortie de l’euro et la demande d’annulation de la dette de la BCE. Sur ces deux dossiers notamment, la pression est venue du président de la République italienne, ainsi que des forces de rappel de l’Europe et des marchés.

En quoi cette situation est-elle dangereuse ?

Il ne faut pas minimiser la portée de cette situation. L’Italie fait partie des pays fondateurs de l’Europe et une coalition « anti-système » au pouvoir démontre les difficultés d’avancée de l’Union européenne, qui a juste su faire front commun pour la gestion du Brexit. Le problème de l’Italie réside essentiellement dans le poids de sa dette qui s’élève à 135 % du PIB, et l’absence de financement du programme remet sur la table les craintes de soutenabilité de la dette et de sa solvabilité, comme en témoignent les tensions sur le 2 ans aussi fortes que sur le 10 ans. Sur ce point néanmoins, nous devons garder à l’esprit deux éléments essentiels : la particularité de la dette italienne qui est détenue essentiellement par les résidents et le fait que la BCE qui ne commettra pas les mêmes erreurs qu’en 2010-2011; l’Europe ne court donc pas du tout le même risque qu’à cette époque. La sanction possible des marchés joue un rôle régulateur, comme en témoigne notamment la politique grecque actuelle, malgré l’élection de Syriza et même le referendum.

Au niveau politique, c’est un véritable tournant qui, sur des dossiers comme la Russie, introduit la dissension dans notre politique commune face au Président Poutine. Mais la 1ère remarque est que cette union entre la Ligue et le M5S apparait comme un curieux attelage que beaucoup de choses opposent. Quoi de commun entre la Ligue de Mattelo Salvini fortement représentée dans les régions industrielles du Nord de l’Italie et le M5S de Luigi di Maia représentant le Mezzogiorno. A eux deux, ils représentent donc de façon quasi caricaturale la traditionnelle opposition Nord/Sud, entre Milanais et Napolitains. Cette association de la carpe et du lapin servait d’image autrefois au mariage entre un noble et une roturière, et n’engendrait que rarement une nombreuse progéniture…

La position de l’Europe n’apparait peut-être pas très glorieuse, mais il semble qu’en réalité beaucoup d’investisseurs ou de politiques ne croient pas à la permanence de cette coalition et attendent simplement qu’elle se désagrège et que nous rentrions dans une nouvelle phase d’attentisme. Historiquement, l’instabilité politique est un « sport national » (depuis 1972, c’est le 37e gouvernement et 6 seulement ont survécu plus d’un an et demi).

Cette position d’attente est certes traditionnelle en Italie, mais n’est pas tenable pour l’avancée européenne. Les espoirs suscités par une Union européenne forte constatée après le Brexit sont en train de s’évanouir. Après la Grande Bretagne, on a vu, voici quelques semaines, plusieurs pays du Nord refuser les projets de plus grande intégration européenne – budget, ministre des Finances européen…- proposés par la France. Après le Nord et le Sud, l’Est de l’Europe, avec le groupe de Visegrad regroupant quatre pays d’Europe centrale, apparait également en rupture sur plusieurs dossiers importants face à la politique de Bruxelles. En bref, le consensus politique et économique européen semble définitivement se désagréger sous nos yeux.

Ce mouvement peut accentuer la correction de l’euro contre dollar – avant que la tendance à moyen terme de progression de la devise européenne ne reprenne. Ce mouvement sur les changes permet au marché européen de conserver encore pendant quelques semaines son orientation positive, avant un essoufflement qui devrait être concomitant avec l’épuisement du mouvement d’appréciation du dollar. Depuis le résultat des élections législatives italiennes le 4 mars et l’impasse politique des dernières semaines, les marchés s’étaient montrés d’abord conciliants avec l’Italie, avant de céder, depuis quelques jours, à une période de stress, qui s’est matérialisée essentiellement sur le marché obligataire.

Rappelons tout d’abord la situation au lendemain de l’élection et ce que nous écrivions le 5 mars, témoignant du sentiment général des investisseurs : « il faut noter tout d’abord que le marché, habitué à la complexité et à l’instabilité italienne, ne s’est pas préoccupé réellement de ces élections, comme l’attestent à la fois la meilleure performance des actions italiennes comparativement aux autres pays européens depuis le début d’année, ainsi que la nette réduction de l’écart de taux des obligations italiennes notamment par rapport au 10 ans allemand. L’économie, les migrants et la déconsidération du personnel politique constituaient les principaux enjeux de l’élection, avec notamment un PIB italien ressortant plus d’un point sous la moyenne de la zone euro. Le mode de scrutin se révélait également problématique avec un système complexe de 36 % des sièges attribués au scrutin majoritaire et 64 % au scrutin proportionnel. Trois blocs comme prévus sont ressortis de ce scrutin avec le mouvement 5 étoiles (M5S), 1er parti italien avec plus de 30 % des voix, le parti démocrate autour de 20 % et la coalition de droite entre la Forza Italia et la Ligue du Nord qui atteint 37 %. Les négociations seront longues et ces périodes n’impliquent pas nécessairement une sous performance de l’Italie, comme l’ont montré les exemples récents de plusieurs autres pays européens. Alors toutefois que les implications de cette élection sur la zone euro semblaient s’éloigner du fait notamment de l’éviction de Beppe Grillo en faveur d’un représentant moins fantasque, Luigi di Maio, le résultat de ce vote remet en avant la possibilité d’union possible de courants populistes anti-européens ».