Keynes, le retour…

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Il en est des théories économiques comme des collections de haute couture : toutes deux sont soumises aux effets de mode. Alors que, jusqu’à il y a encore quelques mois, tous les gouvernements ne juraient que par la compétitivité et l’attractivité des territoires, que toutes les occasions étaient bonnes pour réduire le poids de la puissance publique dans l’économie afin de favoriser l’initiative privée et de laisser toute leur place aux marchés (financiers en particulier), voilà que désormais, aux Etats-Unis comme en Europe, l’Etat retrouve une place centrale dans l’économie.

On assiste ainsi à une nouvelle étape du combat ancestral entre, d’un côté, les tenants d’une action publique, souvent centralisée, et, de l’autre, les partisans de l’initiative privée : classiques vs mercantilistes au 18ème siècle, partisans du laisser-faire vs avocats d’une action autoritaire et volontariste de l’Etat au 19ème siècle, monétaristes vs keynésiens au 20ème siècle…

Le paradoxe de notre époque est que souvent, ce sont les mêmes personnes qui ont, alternativement, soutenu les deux positions. C’est vrai aussi bien aux Etats-Unis, qu’au Royaume-Uni ou en France(1).

La redécouverte de Keynes est certainement une bonne chose dans cette période de profonde crise systémique. Pourtant, du célèbre économiste britannique, il ne faut pas retenir que la nécessité pour l’Etat de pallier aux carences du marché en période de crise. En effet, les mesures contracycliques défendues par les Keynésiens ont une contrepartie qui consiste à être également contracyclique en période de croissance. Ainsi, lorsque l’activité s’écroule, il est naturel que les dépenses publiques (consommation, investissement, garanties accordées au système financier…) augmentent fortement. Par contre, lorsque la croissance revient, il est nécessaire de réduire très fortement ces dernières afin de ne pas grever, par une dette publique excessive, la capacité future des Etats à venir en soutien de l’économie.

Au cours des vingt dernières années, cette leçon a été relativement bien appliquée aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni(2), dernièrement en Allemagne, pas du tout en France. En effet, la dernière fois que le solde public s’est rapproché de l’équilibre dans l’Hexagone, Raymond Barre était Premier Ministre (1980)… Depuis cette date, aucun gouvernement français n’est parvenu à respecter les leçons minimales de la bonne gestion(3).

Pourtant, depuis maintenant une dizaine d’années et, a fortiori plus encore depuis la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance en mars 2005, la France est soumise aux critères budgétaires européens. Malheureusement, notre pays qui s’affiche publiquement en pointe pour défendre une politique budgétaire européenne coordonnée, ne respecte pas, dans les faits, ses engagements. En effet, à la différence de notre voisin allemand qui, il y a trois ans encore, avait des performances budgétaires moins bonnes que les nôtres (déficit de 3,3 % en 2005, contre 2,9 % en France) et qui a enregistré un équilibre budgétaire l’an dernier, le gouvernement français n’a pas su profiter des années de croissance « correcte » pour réduire son déficit. Ce dernier a ainsi atteint encore 2,7 % l’an dernier. Les mesures structurelles mises en place dernièrement (dans le cadre principalement de la Révision Générale des Politiques Publiques), bien qu’allant dans le bon sens, mettront certainement beaucoup de temps avant de porter leurs fruits.

En outre, depuis déjà plusieurs années, la France a perdu une bonne partie de sa crédibilité budgétaire. En effet, année après année, les différents gouvernements qui se sont succédé ont annoncé une meilleure maitrise des finances publiques à l’horizon des cinq ans à venir. A chaque fois, l’objectif de l’équilibre (ou d’un quasi-équilibre) a été réaffirmé.

Dans le rapport économique, social et financier du projet de Loi de Finances 2009, publié le 19 septembre dernier, le gouvernement annonce encore un déficit de 0,5% et une baisse du ratio dette publique / PIB à moins de 62 % en 2012.

Et ce, alors que la crise financière était commencée depuis un an et que les discours de Nicolas Sarkozy annonçaient déjà un net infléchissement en faveur de l’action publique…

NOTES

(1) L’administration Bush avait fait compagne pour une réduction de la taille de l’Etat, Gordon Brown a transformé (avec Tony Blair) le parti travailliste anglais en un parti pro-marché et Nicolas Sarkozy avait promis durant sa campagne présidentielle de réduire de quatre points le poids des prélèvements obligatoires en France…
(2) Depuis dix ans, le ratio dette / PIB s’est replié au Royaume-Uni (baisse à la fin des années 90, légère remontée depuis), il s’est stabilisé aux Etats-Unis (repli durant les années Clinton, remontée durant les années Bush) et il a progressé de 5 points en France (légère baisse jusqu’en 2001, forte hausse depuis).
(3) Le déficit le plus faible a été atteint en 2000 et 2001 (1,5 % du PIB), à une époque où la croissance était florissante.