L’objectif de Londres : affaiblir l’Europe

A quoi joue le Premier ministre britannique David Cameron ? Il a décidé de lancer une croisade contre Jean-Claude Juncker, pressenti pour devenir le président de la Commission européenne, au motif que cela violerait les règles de fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit d’un prétexte. Londres veut affaiblir l’idée européenne.
 
Il était entendu bien avant les élections européennes que le nouveau chef de l’exécutif serait issu du groupe parlementaire arrivé en tête. Le bloc de centre-droit l’a emporté sur le bloc social-démocrate. Il était donc logique que son chef de file, l’ancien Premier ministre luxembourgeois qui est un Européen convaincu, soit désigné.
 
Cameron prétend qu’en adoptant une telle approche, les chefs d’Etat et de gouvernement européens violeraient les traités qui stipulent que c’est le Conseil européen, composé donc des dirigeants des pays membres, qui choisit le président de la Commission et non le Parlement.
 
Plutôt amusant de sa part de dénigrer ce qui ressemble à une démocratie parlementaire. En réalité, le gouvernement britannique n’a cure des traités. Il s’est toujours arrangé pour ne pas les appliquer, demandant des exemptions comme pour l’espace Schengen.
 
Que veut donc Cameron ? Veut-il « casser » l’Europe, comme l’a écrit récemment l’ancien Premier ministre français socialiste Michel Rocard en exhortant Londres à quitter l’UE.
 
« Casser » est un terme excessif car les entreprises britanniques ont un besoin crucial de l’Europe continentale, qui est leur premier marché. 
 
Cameron veut maintenir une Union européenne faible, poursuivant la stratégie qui est celle du Royaume-Uni depuis le début des années 1980.
 
Le gouvernement britannique a poussé au cours des deux dernières décennies pour que l’Union européenne accueille de nouveaux membres, prônant un élargissement permanent. Cette stratégie avait pour objectif d’empêcher tout débat sur l’approfondissement des liens entre les pays favorables au fédéralisme.
 
Pour y parvenir, Londres a pu compter sur quelques dirigeants conservateurs favorables à une simple zone de libre échange. Il ne faut pas oublier que José Manuel Barroso a été nommé président de la Commission européenne en 2004 grâce au lobbying du Royaume-Uni, qui voyait en ce libéral pro-américain sans envergure le meilleur pion pour empêcher la construction européenne d’avancer.
 
Mission accomplie au-delà de toute espérance : sous la présidence de Barroso, l’exécutif européen n’a pris aucune initiative marquante et a été absente dans les grandes occasions, comme la crise économique de 2008 ou la crise ukrainienne actuelle.
 
Certains dirigeants européens, au premier rang desquels la chancelière allemande Angela Merkel et le nouveau président du conseil italien Matteo Renzi, sont conscients que l’Europe doit reprendre sa marche en avant. Ce n’est pas un hasard s’ils sont tombés d’accord pour désigner Juncker, un Européen convaincu.
 
Dans ce débat, le président français François Hollande est en retrait. C’est d’autant plus étonnant que son lointain prédécesseur socialiste François Mitterrand a été l’un des grands artisans de l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui.
 
Le gouvernement français ne peut se contenter de demander à l’Europe d’œuvrer pour davantage de croissance. Cela relève de l’incantation. 
 
Il faut présenter un véritable plan de bataille pour renforcer l’Europe face à la concurrence renforcée des Etats-Unis – où la révolution énergétique liée au pétrole et au gaz de schiste produit des effets qu’on ne mesure pas bien en Europe – et à celle des grands pays «émergents » comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.
 
L’Europe doit définir une politique industrielle, doit revoir sa conception de la concurrence, trop axée sur le consumérisme et pas suffisamment sur l’investissement, doit revisiter ses relations avec ses voisins, en particulier la Russie.
 
Une politique de grands travaux dans le domaine de l’énergie et des technologies de la communication est indispensable si le Vieux continent veut continuer à peser sur la scène économique mondiale.
 
De tout cela, le Royaume-Uni n’en veut pas. La seule qui lui importe est de sauver la place financière de Londres. Mais cela offre aux Européens un moyen de pression important : pourquoi ne pas imposer immédiatement que la compensation des opérations en euro aient lieu dans des pays de la zone euro ?