La BCE maintient le marché interbancaire sous perfusion

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Après quelques mois de discrétion bienvenue, les marchés interbancaires ont retrouvé le devant de l’actualité ces dernières semaines. Plusieurs gros titres de la presse ont même parlé d’une réactivation des tensions sur les échanges entre banques, laissant entendre, en filigrane, que la situation pourrait se rapprocher des extrêmes observés suite à la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Pourtant, une simple observation des données financières suffit à contredire rapidement cette hypothèse.

Alors que le taux interbancaire à trois mois culminait à près de 5,40 % début octobre 2008, son niveau actuel n’atteint que 0,73 %, ce qui reste un niveau historiquement bas (3,10 % en moyenne depuis la création de l’euro). En outre, la prime de liquidité (prime de risque) bancaire1 n’atteint que 32 points de base, contre plus de 180 pbs suite à la faillite de Lehman Brothers. Même si ce niveau reste élevé par rapport aux standards qui prévalaient avant la crise (7 pbs en moyenne entre 1999 et 2007), il est bien inférieur aux niveaux observés depuis le déclenchement de la crise des subprimes (63 pbs en moyenne depuis les 9-10 août 2007).

En fait, malgré les achats de covered bonds de la BCE (57,5 milliards d’euros sur un programme de 60 milliards prévus), c’est plus le financement à long terme des banques qui redevient problématique. Ainsi, les spreads sur les dettes seniors des banques se sont significativement redressés depuis la fin du mois d’avril et l’intensification des tensions au sein de la zone euro2. Si les taux interbancaires n’ont pas connu une telle évolution (malgré une très légère remontée depuis trois mois), c’est grâce à l’action directe de Jean-Claude Trichet et de son institution.

En effet, alors que ce dernier avait passé l’hiver à préparer le marché à une sortie progressive des politiques non-conventionnelles (tout en maintenant un caractère accommodant), les tensions observées ces derniers mois sur le Vieux Continent l’ont conduit à revenir sur ses projets. Ainsi, la Banque centrale européenne s’est engagée à fournir au système financier autant de liquidité que nécessaire, en maintenant des procédures d’adjudication à taux fixes avec service total des soumissions reçues pour les opérations de refinancement à long terme.

En conséquence, les créances sur les banques au bilan de la BCE ont nettement progressé ces dernières semaines, se rapprochant des niveaux exceptionnels atteints lors de l’opération de refinancement à un an de près de 450 milliards d’euros de fin juin 2009. La liquidité est même tellement abondante sur le marché interbancaire que les facilités de dépôts des banques auprès de la BCE, malgré un taux de rémunération « ridicule » (0,25 %), atteignent presque 400 milliards d’euros (384, exactement à la date du 6 juin), un record ! Il n’est donc pas abusif de parler de « mise sous perfusion » pour qualifier l’action de la BCE auprès des banques européennes.

Avec une croissance qui ne devrait pas se redresser avant longtemps (+ 0,8 % en 2010 et + 0,9 % en 2011, selon nous), une inflation qui, malgré la remontée de la composante « énergie » (+ 9,2 % sur un an), reste sous contrôle (1,6 % en mai / 0,8 % pour l’inflation sous-jacente, un plancher historique), des tensions politiques et financières marquées et un chômage qui poursuit son ascension (10,1 % en avril, un sommet de douze ans), l’hypothèse d’une remontée des taux directeurs de la BCE est repoussée à beaucoup plus tard. Même les marchés qui, pendant longtemps, ont tablé sur une remontée du taux refi à l’horizon de l’été, puis de l’automne ou de l’hiver 2010, misent désormais sur le deuxième trimestre 2011 (septembre 2011 selon nous).

Cette remontée tardive des taux, concomitante à une rupture du dogme de non-intervention (directe) de la BCE sur les marchés de dette publique3, pourrait laisser craindre la survenue de tensions inflationnistes à l’horizon des prochaines années. Ce serait toutefois oublier deux éléments. D’une part, le contexte est plutôt désinflationniste (voire même déflationniste dans certains pays…) : atonie salariale, demande privée à l’arrêt, désendettement des agents privés… D’ailleurs, l’inflation sous-jacente est nulle ou négative dans plusieurs pays (Espagne, Portugal, Irlande…). D’autre part, la situation actuelle en zone euro rappelle à bien des égards la situation japonaise où les prix à la consommation reculent en moyenne de 0,3 % par an depuis dix ans. Bref, à moins d’une explosion du prix des matières premières, une hausse de l’inflation en zone euro est certainement repoussée à très longtemps.

NOTES

  1. Mesurée par l’écart entre le taux Euribor 3 mois (qui rémunère le prêt entre banques) et le taux swap OIS (qui ne rémunère qu’un échange de taux d’intérêt ; il n’y a pas d’échange de principal dans ce cas, d’où un risque plus limité).
  2. Cf. Bourgeois A. (2010), « Edito : qu’est-ce que les marchés reprochent à la zone euro ? », Eco Hebdo n°23, 11 juin.
  3. Refus de la monétisation directe des dettes publiques des Etats européens.

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