La BCE, pas à pas

par Eric Vergnaud, économiste chez BNP Paribas

L’atténuation des tensions sur les marchés financiers se poursuit et le retour de l’appétit pour le risque des investisseurs se confirme. Ceux-ci sont encouragés par la détermination montrée par les gouvernements et les Banques centrales pour amortir la récession et éviter la déflation. Nul doute que le résultat des stress tests menés sur les plus grandes banques américaines va contribuer à renforcer la confiance des investisseurs.

Nous continuons d’estimer que si une reprise durable (i.e. au-delà de l’effet temporaire d’une reconstitution des stocks) ne peut être envisagée avant le début de l’année prochaine, la dégradation de l’activité va être de moins en moins marquée d’ici à la fin de l’année.

Les dernières enquêtes et données d’activité illustrent le propos. Ainsi, aux Etats-Unis, les pertes nettes d’emplois (dans le secteur non-agricole) se sont élevées à 539k en avril, un nombre encore extrêmement élevé, mais qui doit être comparé à une moyenne mensuelle de 680k depuis le début de l’année.

En Allemagne, le commerce extérieur confirme son amélioration et la production industrielle n’a pas reculé en mars, pour la première fois en sept mois. Pour autant, compte tenu des plongeons enregistrés au cours des derniers mois, le recul annuel est de 20%, et pour l’ensemble du trimestre le repli s’affiche à 12% t/t, près du double de la baisse de 6,6% au T4 2009, pourtant déjà un record. Le PIB allemand devrait d’ailleurs avoir reculé très fortement au T1 2009 et pourrait accuser un repli de près de 6% cette année (ceux de la zone euro et de la France abandonnant respectivement près de 4% et de 3%). Enfin, les indices de confiance tirés des principales enquêtes menées auprès des ménages et des entreprises se sont encore redressés en avril, tant aux Etats-Unis, qu’en Europe, mais ils demeurent à des niveaux encore très bas.

Comme largement anticipé, la BCE a décidé de baisser le taux refi de 25 pb à 1% au cours de la réunion du Conseil des gouverneurs de jeudi. Après une baisse cumulée de 325bp depuis octobre dernier, le refi se situe à un nouveau plus bas historique. Le taux d’intérêt de la facilité de dépôt est resté inchangé à 0,25%, conduisant à une réduction de l’écart entre le taux refi et les taux des facilités permanentes à +/- 75 pb. La BCE a également décidé d’allonger la maturité maximale de ses opérations de refinancement de 6 à 12 mois, afin d’améliorer les conditions de financement de l’économie. En effet, dans la zone euro, le financement bancaire représente la moitié du financement total, alors qu’outre-Atlantique, il est cinq fois moins important que le recours au marché.

La première adjudication à un an aura lieu le 23 juin et sera conduite, également, à taux fixe (le refi) et pour des montants illimités. Pour les opérations suivantes, en septembre et décembre, la BCE s’est réservée le droit d’ajouter une prime au taux refi, voulant probablement éviter de donner l’impression qu’elle a décidé de garder les taux à un niveau bas pour une très longue période.

Si le Conseil juge « appropriés » les niveaux actuels des taux directeurs, le président Trichet a souligné que le Conseil n’avait pas décidé que 1% était le seuil du taux refi, laissant la porte ouverte à la poursuite du cycle d’assouplissement monétaire. Si une pause est désormais probable au cours des toutes prochaines réunions, le refi pourrait être réduit de 25 pb supplémentaires en septembre.

La Banque centrale européenne a également décidé de franchir une nouvelle étape dans le recours aux mesures non conventionnelles d'assouplissement monétaire. La BCE prévoit d'acheter EUR 60 mds de covered bonds (ou obligations sécurisées), titres adossés à des crédits hypothécaires garantis ou à des créances du secteur public. Certes, le montant paraît faible, ne représentant que 0,5% du PIB de la zone euro. A titre de comparaison, il n'est que de peu supérieur à la nouvelle enveloppe de GBP 50 mds, soit environ EUR 56 mds, que la Banque d'Angleterre va consacrer à son programme de rachats d’actifs, le portant à un montant total de GBP 125 milliards, soit 10% du PIB du Royaume-Uni. Toutefois, le marché des covered bonds a particulièrement souffert de la crise et le résultat pourrait être plus visible que celui obtenu par la BoE. En effet, celle-ci achète des Gilts et des obligations d'entreprises bien notées, dont l'émission n'a jamais rencontré de difficultés.

D’ailleurs, si les spreads à moyen et long terme sur les actifs appartenant à la catégorie Investment grade continuent à se rétrécir, l’écart de rendement à dix ans entre les Gilts et les Bunds s'est élargi depuis le 1er avril d'environ 10 à près de 40 pb, en raison des soucis croissants concernant l’augmentation de la dette du gouvernement britannique.

En outre, l'Espagne, l'Allemagne et la France sont (dans cet ordre) les trois plus gros émetteurs d'obligations sécurisées et se trouvent justement faire partie des pays de la zone euro les plus affectés par la récession. Le choix de la BCE (actifs moins risqués, montant limité) est probablement le reflet de l’absence de consensus au sein du Conseil des gouverneurs au sujet des mesures non conventionnelles de rachat de titres publics comme privés, dont en outre la mise en œuvre opérationnelle est délicate. Toutefois, le premier pas a été fait…

Comme attendu depuis quelques jours, les résultats des tests de résistance (Supervisory Capital Assessment Program – SCAP) menés auprès des 19 plus grandes banques américaines1 ont été plutôt rassurants, tout en étant crédibles. Ces tests, dirigés par la Fed, l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) et la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), visaient, comme prévu dans le Financial Stability Plan présenté le 10 février dernier, à juger du maintien de la capacité des banques à prêter dans un contexte de récession plus forte qu’anticipé. Sous les hypothèses du scénario more adverse retenu par les régulateurs, les pertes supplémentaires pourraient s’élever à USD 600 mds d’ici à la fin de 2010, dont 455 mds au titre des portefeuilles de crédit (soit un montant cumulé sur deux ans de 9,1% du total des prêts, plus que les taux atteints à l’occasion des pics précédents de pertes des années 1930). Cela porterait le total des pertes depuis la mi-2007 à USD 950 milliards…

Le besoin de capitaux supplémentaires, afin qu’à la fin de 2010, les banques du panel présentent des ratios Tier 1 capital ordinaire (Tier 1 Common capital) et Tier 1 total supérieurs à 4% et 6%, respectivement, des actifs corrigés du risque, a été calculé en deux étapes. En se fondant sur les ratios de capital à la fin de 2008, et, (toujours dans le cadre du more adverse scenario) sur les revenus estimés pour 2009 et 2010 et la nécessité de mettre une partie de ceux-ci en réserve pour affronter les difficultés sur le portefeuille de crédits en 2011, les régulateurs estiment le besoin de capital supplémentaire à USD 185 mds. Ce montant est ramené à USD 75 mds en prenant en compte les efforts déployés, depuis la fin de 2008, en matière de restructuration du capital, de ventes d’actifs (réalisées ou devant l’être), et les résultats du premier trimestre, plus élevés que ceux résultant du scénario des régulateurs. Selon les tests de résistance, seules 10 banques sur 192 seraient sous capitalisées, et, en outre, cela concerne quasi exclusivement le Tier 1 capital ordinaire.

Les établissements concernés disposent d’un mois (jusqu’au 8 juin) pour présenter un plan détaillé de recapitalisation qui devra être approuvé par la Fed (après consultation du Trésor et de la FDIC) et de six mois (jusqu’au 9 novembre) pour le mettre en place. Les possibilités qui s’offrent sont variées : lever du capital auprès du secteur privé (solution qui semble avoir la préférence des autorités américaines) ; vendre des actifs ; réduire les dividendes et les rachats d’actions. Les banques sous-capitalisées pourront également avoir recours aux capitaux publics (dispositif Mandatory Convertible Preferred (MCP) du Capital Assistance Program (CAP) du Trésor) sous la forme de contingent common capital convertible en actions ordinaires en tant que de besoin.

Enfin, il sera également possible d’échanger les actions préférentielles vendues dans le cadre du TARP (l’encours actuel pour les 19 banques testées s’élève à USD 216 mds) contre du contingent common capital.

Au total, les stress tests indiquent que le secteur bancaire américain semble pouvoir traverser la crise et, last but not least, que, très probablement, le Trésor ne devra pas demander une nouvelle enveloppe au Congrès (il reste encore USD 100 mds au titre du TARP). Deux bonnes nouvelles pour les marchés.

NOTES

1 ) Bank of America, Citigroup, Wells Fargo, GMAC LLC, Morgan Stanley, Regions Finacial Corp, Fifith Third Bankcorp, KeyCorp, PNC Financial Services Group, SunTrust Banks, JP Morgan Chase, Goldman Sachs, American Express, BB&T Corp, State Street, MetLife Inc., Bank of New-York Mellon, US Bancorp et Capital O) ne Financial : soit 2/3 des actifs et la moitié des prêts des 8 300 banques commerciales d’outre Atlantique).
2 ) Les dix premières de la liste donnée dans la note de bas de page n°1.

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