La Chine n’est pas immunisée

par Cynthia Kalasopatan, économiste au Crédit Agricole

La dégradation de la conjoncture internationale ne laissera pas indemne la Chine, de plus en plus intégrée à l’économie mondiale. L’économie chinoise a montré une certaine résilience au premier semestre, mais les signes d’essoufflement sont désormais clairs. Les exportations ont déjà ralenti et vont être affectées en 2009 par la récession attendue aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. La demande domestique décélère aussi. Depuis cet été, la croissance est devenue la priorité absolue des autorités chinoises, qui disposent d'outils puissants pour la soutenir. Elles viennent ainsi d'annoncer un plan de relance budgétaire massif (8% du PIB chaque année pendant deux ans). Mais après 11,9% en 2007, et sans doute 9,3% en 2008, la croissance attendue du PIB pourrait n'être que de 6,5% en 2009.

Depuis son adhésion à l’OMC en 2001, la Chine a accru sa part dans le commerce mondial (8% des exportations mondiales en 2006 contre 3% en 1993) pour se positionner aujourd’hui comme la troisième puissance commerciale après l’Allemagne et le Japon. Le degré d’ouverture de l’économie mesuré par le ratio des exportations de biens et services rapporté au PIB s’élève à 39% en 2007 alors qu’il était de 23% seulement en 2000. L’économie est ainsi devenue de plus en plus dépendante du commerce extérieur : sur les trois dernières années, la contribution des exportations nettes à la croissance du PIB a ainsi été de 3 pts de pourcentage chaque année.

La Chine est donc vulnérable à court terme à un tassement de la demande externe de ses principaux partenaires commerciaux (Union européenne, Etats-Unis et Japon) qui représentent environ 50% de ses exportations totales. En effet, elle importe des produits intermédiaires en provenance d’Asie, tout particulièrement du Japon et de Corée (premier et deuxième fournisseur de la Chine au niveau des importations), pour ensuite les assembler et exporter les produits finis (à bas coûts) vers les pays industrialisés.

Le faible coût de main-d’œuvre en Chine a favorisé cette structure de production et lui a conféré ainsi le rôle « d’atelier du monde ». De nombreuses firmes multinationales ou régionales (japonaises, coréennes, et surtout taiwanaises) se sont délocalisées pour monter des chaînes d’assemblage et pour profiter de l’avantage comparatif en terme de coût de main-d’œuvre. On observe ainsi un accroissement de l’excédent commercial vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Europe et parallèlement une détérioration vis-à-vis des pays asiatiques.

Cet essor commercial a permis ces cinq dernières années une croissance à deux chiffres. La Chine a ainsi accru son poids dans l’économie mondiale et est devenue un des principaux moteurs de la croissance globale. Mais en raison de cette intégration et de la dégradation de la conjoncture internationale, l’économie chinoise semble aujourd’hui commencer à s'essouffler, alors qu’elle paraissait initialement peu affectée par la crise des subprimes. La croissance des exportations chinoises va se modérer en 2009 même si, pour l’instant, ce ralentissement n'est pas encore très apparent (+21% a/a en octobre). Mais l'activité industrielle et le PIB marque déjà le pas, avec pour le PIB +9,0 au 3e trimestre 2008 contre 10,0% a/a au T2 et 10,6% a/a au T1.

Des moteurs internes également touchés

L’investissement fixe privé ralentit également car il est fortement corrélé à l'activité exportatrice. A cela s’ajoute aussi l’effet des resserrements des conditions d’accès au crédit mis en place à la fin de 2007 afin de lutter contre l’inflation.

Le ralentissement dans le secteur immobilier(1) pourrait également avoir un impact négatif sur l’investissement privé qui représente 20% du total des investissements fixes. De même, d’autres indicateurs tels que l’évolution de la production industrielle ou encore l’indice PMI signalent un affaiblissement de l’activité économique.

L’évolution de la consommation privée, mesurée par les ventes de détail semble amorcer un retournement depuis peu (+22% a/a en octobre en valeur et +17% a/a en terme réel). Quant aux perspectives à court terme, elles restent assez floues. D’une part, le ralentissement de l’inflation et l’assouplissement de la politique monétaire (en favorisant l’accès au crédit) devraient favoriser la consommation. D’autre part, les ventes de voitures ralentissent. La remontée des faillites d’entre prises, notamment des PME(2) ayant aussi détruit des milliers d’emplois depuis le début de 2008, provoquerait à leur tour un ralentissement de la consommation. Par ailleurs, la consommation chinoise encore relativement faible comparée aux pays industrialisés (environ 40% du PIB en 2007 contre environ 60% dans les pays industrialisés) ne pourra servir de moteur pour tirer la croissance mondiale.

Trois amortisseurs à la crise

Pour faire face à la crise financière et économique, la Chine dispose de trois amortisseurs : la désinflation importée, les réserves de change, le budget. En premier lieu en effet, la tendance à la baisse des prix des matières premières devrait apaiser les tensions sur l’inflation importée, le compte courant et le budget. En deuxième lieu, la Chine dispose des réserves de change gigantesques (1 900 mds USD fin septembre 2008), soit environ 17 mois d’importations pour pallier au choc. Enfin, les autorités disposent d’une marge de manœuvre budgétaire importante, avec un déficit budgétaire et une dette publique par rapport au PIB relativement faible. Elles vont l'utiliser, et viennent d'annoncer un plan de relance de 586 mds USD sur deux ans (8% du PIB par an).

Les dix secteurs ciblés par ce plan (les infrastructures rurales, reconstructions suite aux tremblements de terre, construction des maisons à bas coûts, environnement, subventions, transport, santé et éducation, industrie, accès aux crédits bancaires, réforme de la TVA) visent à stimuler les moteurs internes de l’économie. Même s’il est estimé que seulement 30 à 40% du montant annoncé serait affecté à de nouveaux investissements publics (le reste de la somme étant déjà budgétisé ou annoncé), il n’en demeure pas moins que son ampleur devrait atténuer le ralentissement de l’économie. 

Cette crise pourrait aussi donner à la Chine l'occasion de rééquilibrer sa croissance économique pour la faire reposer davantage sur la consommation et moins sur les exportations et l’investissement. L’augmentation de la consommation privée passe par une diminution du taux d’épargne de précaution qui reste très élevée à 51,4% du PIB en raison du manque de disposition sociale en matière d’éducation, de santé et de retraite. Il faut enfin noter que les autorités ont encore une marge importante pour réviser le plan de relance à la hausse si besoin était.

L’assouplissement monétaire, plutôt agressif depuis cet été, et le plan de relance budgétaire indi- quent que la priorité est désormais axée sur la croissance économique (l’inflation continue à décélérer — 4% a/a en octobre — et ne semble plus être une source d’inquiétude à l’heure actuelle). Plus récemment, la légère dépréciation du yuan a surpris alors que la tendance était à l’appréciation constante depuis 2005 (15,1% depuis le 21 juillet 2005 et 5,7% depuis le 1er janvier 2008), avant une stabilisation depuis cet été. La mobilisation de tous les outils économiques semble confirmer que le ralentissement de l’économie chinoise serait plus marqué qu’initialement prévu. Il est cependant peu probable que le taux de change soit utilisé comme arme principale.

Elle risquerait en effet d’attiser les sentiments protectionnistes aux Etats-Unis, et d’entraîner une cascade de dévaluations compétitives en Asie.

NOTES

1. Un recul des transactions immobilières en volume de 30% a/a a été enregistré sur les 8 premiers mois de 2008 ainsi qu’un ralentissement des prix moyens et de l’investissement dans ce secteur. Une réduction de nouveaux projets de l’ordre de -15 à -20% ainsi qu’une possible baisse des prix (-20 à -30%) pourrait être attendu en 2009.

2. Les faillites de PME sont essentiellement concentrées dans la région du Yangtze River Delta et du Pearl River Delta en particulier dans le secteur du jouet, textile et chaussures et s’explique par : 1) un ralentissement des exportations ; 2) un resserrement des conditions d’accès au crédit ; 3) une appréciation plus rapide du yuan au premier semestre 2008 ; 4) une hausse des prix à la production suite à l’accélération de l’inflation et entraînant une compression des marges ; 5) une loi sur les contrats de travail mise en place en janvier 2008.