La déflation : un risque extrême mais réel

par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole

L’éclatement de la bulle pétrole, la réactivation de la crise financière après la chute emblématique de Lehman Brothers et, dans sa foulée, la matérialisation du risque systémique ont ravivé les craintes déflationnistes en même temps que la croissance mondiale connaissait un coup de frein brutal.

La crainte actuelle est bien que la crise économique, qui s’est greffée à la crise financière, continue d’interagir avec cette dernière de manière délétère et plonge l’économie mondiale dans une spirale dépressive où récession et déflation s’auto-entretiennent.

L’enjeu est de taille : la déflation est un phénomène économique rare mais suffisamment dévastateur pour chercher à tout prix à l’éviter. Si comparaison n’est pas raison, l’épisode de la Grande Dépression des années 1930 doit avoir valeur d’exemple. A l’époque, aux Etats-Unis, l’activité s’était contractée de plus de 7 % en moyenne entre 1930 et 1933 et le taux de chômage a culminé à 25 %, preuve du coût exorbitant associé à un épisode sévère de déflation. 

Plus récemment, après l’éclatement de la bulle boursière et immobilière à la fin des années 1990, le Japon s’est enferré dans une spirale déflationniste qui lui a coûté une décennie de croissance et une destruction massive de richesse.

Les enchaînements vicieux menant à la déflation sont connus : ils transitent par deux canaux distincts mais non exclusifs.

La psychologie des agents joue dans un cas un grand rôle, celui de baisses anticipées de prix. Dès que les agents économiques se mettent en effet à anticiper des baisses de prix, ils reportent leurs décisions de consommation ou d’investissement dans le temps afin de profiter de tarifs plus avantageux. Ce qui est individuellement rationnel devient collectivement destructeur, puisque cet attentisme occasionne un effondrement de la demande globale et de l’activité avec finalement des pressions baissières sur les prix et ainsi de suite.

Dans le deuxième cas, c’est la nécessité d’apurer les bilans privés qui devient le catalyseur d’enchaînements vicieux où la contraction de l’activité induit des pressions baissières sur les prix (actifs, biens et services) qui, en retour, fragilisent la solvabilité des agents endettés. On parle dans ce cas de déflation par la dette. A l’origine de toute crise financière se trouve l’accumulation à l’excès d’un lourd passif au niveau global avec en toile de fond une erreur collective dans l’appréciation du risque. La crise actuelle ne déroge pas à la règle puisqu’elle fait suite à une longue période d’expansion excessive et imprudente du crédit. Le dégonflement de cette bulle majeure de crédit porte en lui les germes de la mécanique déflationniste. Surtout que les banques qui sont généralement un des derniers remparts contre la matérialisation de ce risque sont aujourd’hui au cœur de la tourmente financière.

Aux Etats-Unis, la prise de conscience de la menace déflationniste a été précoce et la détermination de la Fed et du Trésor à agir rapidement et radicalement semble une bonne garantie de succès dans cette lutte préventive contre la déflation. La zone euro paraît structurellement moins exposée au risque de déflation par la dette. La dynamique d’endettement a aussi pêché par excès pendant la phase montante du cycle mais avec moins d’exagération qu’outre-Atlantique ou outre-Manche. La cure de désendettement s’annonce donc, a priori, moins draconienne et le système bancaire semble suffisamment solide pour l’absorber. Mais vue l’ampleur du choc global, la croissance européenne va elle aussi nettement flancher et l’attentisme des agents dans un environnement très anxiogène peut produire des effets délétères menant à la déflation. L’action des pouvoirs publics, certes moins massive qu’aux Etats-Unis, devrait jouer un rôle modérateur. Les rigidités nominales sont un autre argument qui tempère le risque de déflation en zone euro.

Selon nous, l’activisme du policy-mix va finir par payer à l’écueil près que, dans un monde globalisé, les politiques macroéconomiques devraient être pensées à l’échelle internationale pour enrayer efficacement les dynamiques cumulatives accompagnant les débouclages financiers (le « deleveraging » global). Jusqu’à présent, les mesures bancaire, monétaire ou budgétaire procèdent d’une logique commune avec des modes opératoires discrétionnaires, parfois assortis d’une tentative de coordination. On comprend, dans ce contexte, à quel point il est indispensable de renforcer les systèmes bancaires nationaux pour leur permettre non seulement d’apurer les pertes mais plus encore de se mettre dans des conditions d’offre de crédit. Cela peut suffire mais rien n’est sûr…

A charge du G20 de faire bouger les lignes et d’arriver à faire primer l’intérêt général sur les intérêts particuliers et donc nationaux. Une telle impulsion est nécessaire pour sortir de la crise par le haut, sans rogner sur les bénéfices nés de la globalisation économique et financière, ni occulter l’impératif de revoir les règles du jeu pour conférer plus de stabilité à l’ensemble du système.

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