La France entre en récession mais le pire reste à venir

par Pierre Benadjaoud, Economiste au Crédit Agricole

Le PIB recule de 5,8% au premier trimestre 2020 selon les premières estimations de l’Insee. C’est donc le deuxième trimestre consécutif de baisse du PIB (-0,1% au T4 2019), la France entre donc en récession technique. Malgré une baisse déjà record sur un trimestre depuis 1968, le point bas de la crise économique liée au coronavirus ne sera probablement atteint qu’au deuxième trimestre 2020.

En un trimestre, ce sont plus de quatre ans de croissance qui ont été effacés, le PIB au premier trimestre 2020 est proche de son niveau au quatrième trimestre 2015.

Les quinze jours de confinement en mars ont fortement pesé sur la consommation des ménages. L’investissement chute également, en particulier dans la construction, secteur très touché suite à la fermeture des chantiers.

La bonne tenue de l’activité en janvier et février contraste avec l’arrêt soudain de la demande en mars, suite au confinement comme en témoigne la reconstitution de stocks au cours du premier trimestre.

La demande chute, plombée par les 15 jours de confinement en mars

La consommation des ménages recule de 6,1% au premier trimestre. En particulier, la consommation en biens fabriqués s’effondre et recule de 16,3%. Si la fermeture des commerces spécialisés (magasins d’électroménager, concessions automobiles…) est la principale cause de cette chute, les ménages semblent aussi avoir adopté des comportements de précaution légèrement avant la mise en place du confinement, repoussant ainsi en grande partie les achats importants dans un contexte d’incertitude maximale. En effet, nous avons pu observer dès le mois de mars un net recul du solde d’opinion sur les opportunités d’effectuer des achats importants dans l’enquête sur la confiance des ménages.

A l’inverse, en lien avec la fermeture des restaurants et des écoles, les dépenses alimentaires augmentent (+2,4%) sur le trimestre.

L’investissement des sociétés non-financières chute de 11,3% au T1, et celui des ménages recule de 13,7%, en raison de l’arrêt soudain des chantiers sur la deuxième quinzaine du mois de mars. En effet, dans la construction, l’investisse- ment se contracte de 13,8% au premier trimestre. Dans l’ensemble des secteurs, les entreprises ont également annulé ou du moins reporté leurs investissements et ont gelé les embauches.

L’effet sur les chaînes de valeur et le commerce international de la crise actuelle est également très net. Les exportations reculent de 6,5% au T1 et les importations sont en baisse de 5,9%, du fait de la baisse de la demande domestique. Au total, le commerce extérieur pèse ainsi légèrement sur la croissance au T1 à hauteur de 0,2 point de PIB.

Enfin, après un net déstockage au quatrième trimestre 2019, la production semblait être repartie en janvier et en février, la chute soudaine de la demande au mois de mars a également contribué à la reconstitution des stocks qui contribuent positivement à la croissance au premier trimestre 2020.

Au total, avec une contraction de 5,8% du PIB au premier trimestre, plus de quatre ans de croissance ont été effacés en trois mois (et presque en 15 jours de confinement). A titre informatif, l’acquis de croissance pour l’année 2020 est de -5,7%; Néanmoins, étant donné l’ampleur des variations du PIB ce trimestre et dans les trimestres à venir, cet indicateur ne donne actuellement pas de réelle information sur la croissance pour 2020.

Sur un trimestre, la baisse est record (nous avons des données depuis 1949). A titre d’exemple, la contraction au plus fort de la crise financière n’était « que » de 1,6% au T1 2009. Pour retrouver une chute d’une ampleur comparable, il faut remonter à 1968 quand les mouvements sociaux avaient entraîné un recul de 5,3% du PIB au deuxième trimestre. Cependant, un rapide rebond de l’activité avait suivi. La crise sanitaire que nous traversons n’a pourtant eu que des effets limités sur l’activité au premier trimestre. Avec six semaines de confinement au deuxième trimestre contre seule- ment deux au premier trimestre, le recul du PIB devrait atteindre un point bas au T2 2020.

Nos prévisions restent à préciser et feront l’objet de révisions dans les jours à venir mais une baisse du PIB de plus de 15% est probable au T2. En effet, par un rapide calcul, si deux semaines de confinement amputent le PIB de 6% par rapport à un trimestre normal, six semaines de confinement (durée du confinement au T2) doivent le réduire d’environ 18%. Le PIB du T2 serait alors inférieur d’environ 13% à celui du T1, en prenant en compte une reprise seulement partielle de mi-mai à fin juin, la contraction du PIB au T2 sera plus conséquente encore.

Quel potentiel de reprise ?

Une contraction du PIB d’une ampleur encore supérieure au deuxième trimestre semble inévitable. Lors du déconfinement et tout au long du second semestre, la reprise de l’activité dépendra de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les mesures de soutien du gouvernement doivent permettre de limiter la hausse du chômage et les faillites d’entreprises et ainsi de préserver les bases de notre économie. Ensuite, l’épargne augmente fortement en période de confinement. Sur les premières données publiées par la Banque de France, les montants de collecte sur les dépôts bancaires ont été extrêmement élevés au mois de mars à 19,6 milliards d’euros contre 5,9 milliards d’euros par mois en moyenne entre 2017 et 2020. Ainsi, l’utilisation de ce surplus d’épargne pourrait booster la consommation en sortie de confinement et permettre un rattrapage partiel de la perte d’activité du premier semestre. Néanmoins, la confiance des ménages devra être plus élevée et le niveau d’incertitude moindre pour que les consommateurs engagent d’importantes dépenses et réduisent leur épargne de précaution.

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