La fronde contre les CDS souverains

par Bastien Drut, stratégiste chez Amundi Asset Management

Très récemment, l’utilisation des Credit Default Swap (CDS) ayant pour sous-jacent les obligations souveraines a été très violemment remis en cause. Au plus fort de la crise grecque, la spéculation par le biais de CDS a été clairement pointée du doigt par bon nombre de commentateurs économiques et de politiciens dont le Premier ministre grec George Papandreou ou encore la ministre française de l’Economie, Christine Lagarde.

Selon ces derniers, la spéculation via les CDS serait la cause de l’explosion des taux grecs au printemps 2010 (taux 10 ans grec supérieurs à 12% au début du moi de mai). Le principe de ces transactions spéculatives est très simple : acheter de la protection contre le défaut de l’Etat grec aujourd’hui (c’est-à-dire souscrire une assurance portant sur le défaut des obligations souveraines) et revendre cette protection plus chère demain tout en espérant que la perception de la qualité des obligations grecques se soit dégradée. Une enquête de la Commission européenne a d’ailleurs été diligentée afin d’investiguer dans quelle mesure ces paris par le biais de CDS seraient responsables du dévissage des spreads grecs.

Des relations entre marché obligataireet marché CDS encore mal connues

Certes, les spreads de CDS et les spreads de crédit obligataires (primes de risque telles que mesurées par la différence de taux avec l’Allemagne dans le cas des obligations souveraines de la zone euro) sont liés par une relation d’arbitrage qui rend leurs évolutions conjointes1. Leurs variations quotidiennes sont effectivement très fortement corrélées. Mais les relations de causalité sont encore relativement mal connues et restent encore à explorer.

Si le marché des CDS donnait ses propres orientations au marché obligataire, on devrait s’attendre à ce que les variations de spreads de CDS aujourd’hui soient positivement corrélées aux variations de spreads de crédit demain. Or cette corrélation n’est pas du tout stable et est même parfois négative. La question de la causalité entre marché dérivé et marché obligataire n’est donc pas tranchée et constitue un sujet de recherche pour la science économique.

L’Allemagne et la France contre les CDS souverains

Sur le sujet, l’Allemagne a très clairement choisi son camp au mois de mai en interdisant, entre autres choses, l’achat de protection de CDS portant sur les obligations souveraines de la zone euro par des investisseurs qui ne détiendraient pas ces obligations sous-jacentes. L’idée est de restreindre l’utilisation « illégitime » des CDS souverains afin de ne pas perturber le marché obligataire. D’autres grands pays européens pourraient suivre. Le Président français Nicolas Sarkozy s’est rallié à la Chancelière allemande Angela Merkel pour presser la Commission Européenne d’envisager cette interdiction au niveau européen.

Le Royaume-Uni et plusieurs institutions internationales telles que le FMI2 et l’International Swap and Derivatives Association (ISDA) sont, pour leur part, contre cette interdiction pour plusieurs raisons. Le FMI souligne notamment que bien que les encours de CDS souverains aient rapidement augmenté en 2009 pour atteindre 2 trillions de dollars (hausse de 31% sur un an), ils restent très largement en deçà des 36 trillions de dollars du marché « cash » des obligations d’Etat, ce qui rend difficile de concevoir que la spéculation sur les CDS souverains ait pu déclencher la crise grecque. De plus, ces derniers seraient, selon le FMI, très majoritairement utilisés à des fins de couverture du risque de défaut. Enfin, cette interdiction serait particulièrement difficile à mettre en œuvre et facilement contournable (position courte sur les obligations elles-mêmes, innovations financières, utilisation de plateformes offshore). Comme l’indique Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, quand bien même le marché des CDS guiderait le marché obligataire, une interdiction de l’utilisation des CDS souverains en Allemagne et en France uniquement serait inefficace car ces instruments seraient toujours échangés sur les autres places financières et continueraient d’affecter le prix des obligations.

NOTES

  1. Voir De Wit, 2006, « Exploring the CDS-Bond Basis », National Bank of Belgium Working Paper Research n°104.
  2. Voir « Global Financial Stability Report », FMI, Avril 2010.