La prudence reste de mise

par Patricia Kaveh, directeur du développement France de Henderson Global Investors

« Octobre est l’un des mois les plus dangereux pour spéculer en bourse…. outre les mois de juillet, janvier, septembre, avril, novembre, mai, mars, juin, décembre, août et février. »*

L’appréciation de Mark Twain sur les risques inhérents à l’investissement en actions trouve un écho singulier dans un monde qui peine à se remettre d’une crise financière sans précédent. Même pour des professionnels chevronnés « investissant » quotidiennement sur les marchés – « spéculer » n’est jamais recommandé – pourtant cette volatilité particulière est en passe de devenir la nouvelle norme. La forte progression des actions au cours du mois de septembre (MSCI World +6.7%) offre un contraste saisissant avec les ternes performances du mois d’août et nous rappelle que le chemin vers la stabilisation n’est pas un long fleuve tranquille.

Alors que les données économiques étaient encore mitigées en septembre, l'annonce programmée par la Réserve Fédérale Américaine de la mise en place d'un plan de « Quantitative Easing » et des rumeurs similaires en provenance du Royaume-Uni, ont incité les investisseurs à se tourner vers des actifs plus risqués, apaisant les craintes d’une récession en W. De plus, l’Europe a bénéficié d’un sentiment positif suite à l’aboutissement de la réforme bancaire Bâle III.

Le S&P 500 a affiché son meilleur résultat pour un mois de septembre depuis 1939, les statistiques économiques s’étant améliorées par rapport à celles ayant contribué à la baisse du marché en août. Parmi les points forts, les demandes d’allocation chômage ont diminué, le nombre de logements et de ventes au détail ont augmenté –résultats plutôt inattendus – et le rapport d’activité du secteur manufacturier de l’ISM Chicago indiquait que la période d’expansion s’étend désormais sur douze mois. Le momentum du marché s’est renforcé mi-septembre lorsque la Fed a déclaré qu’elle “prendrait les mesures nécessaires, si besoin est, pour stimuler la reprise économique”, déclenchant des spéculations sur un second plan de « Quantitative Easing » (surnommée ‘QE2’).

Lors d’un mois plutôt calme pour les résultats des sociétés, ces éléments positifs ont été renforcés par la continuation de la mini-reprise des activités de fusion et acquisition (IBM et Netezza ; Air Products et Airgas).

Il est fort probable que les nouvelles phases de « QE » de la Fed se répandent des Etats-Unis vers l’Asie et les pays émergents. L’argent suit les bénéfices les plus élevés ce qui se traduit par une exportation d’une politique monétaire souple des Etats-Unis vers d’autres pays. Ceci devrait donner un coup de fouet à l’économie mondiale, poussant les prix des actifs à la hausse et créant en fin de compte un effet de richesse aux Etats-Unis se traduisant par une hausse du prix des actions. Cependant sur le long-terme, ceci risque d’alimenter l’inflation ce qui viendrait annuler l’effet de richesse, des prix à la consommation plus élevés réduisant les salaires – un élément que les décideurs politiques ne peuvent pas contrôler est la loi des conséquences involontaires. Pour l’instant, les événements passés et les règles de base suggèrent que les marchés des actions devraient très bien se comporter en 2011.

Il se peut également que le président Obama parte du principe que des emplois peuvent être protégés ou créés en agissant de façon plus agressive vis-à-vis des partenaires commerciaux, en menaçant des pays tels que la Chine par le biais des taxes à l’importation. Cependant, les leçons tirées de la Grande Dépression et le fait que les pays aient un désir véritable d’éviter les dévaluations compétitives – même si le récent communiqué du G20 à ce sujet n’a pas été suivi d’actions concrètes – suggèrent que la voie du protectionnisme n’est pas à privilégier.

Malgré des données macro-économiques domestiques indiquant un ralentissement de l’activité dans le secteur des services et sur le marché du logement, la reprise des marchés internationaux a permis au Royaume-Uni de se renforcer, le FTSE All-Share (+6.5%) et le FTSE 100 (+6.4%) affichant désormais des résultats positifs depuis le début de l’année. La dernière réunion du Comité de Politique Monétaire suggère la prudence de ses membres vis à vis d’une dégradation économique et il semble de plus en plus probable que la Banque d’Angleterre mette également en place une opération « QE2 » par l’achat d’obligations en vue de renforcer les stimuli économiques. Les petites et moyennes capitalisations ont surperformé les grandes, en ligne avec une baisse de l’aversion au risque (FTSE Small Cap +7.3%; FTSE 250 +7.5%).

Les marchés actions européens ont également pris part au rebond survenu au cours du mois d’octobre (FTSE World Europe ex UK +9.6%), renforcé par de très bons résultats des sociétés. Le sentiment était soutenu par les nouvelles macro-économiques en provenance d’Allemagne, locomotive européenne, où le taux de chômage a encore diminué et l’indice IFO, indicateur de confiance de l’industrie, a progressé. Cependant, vers la fin du mois, les craintes liées à la crise de la dette souveraine ont ressurgi. Bien que la dégradation de la dette espagnole par Moody ait été largement attendue, les nerfs des investisseurs ont été mis à vif lorsque le gouvernement irlandais a évalué à 34 milliards d’euros le coût de sauvetage d’Anglo Irish Bank, portant le déficit budgétaire à 32% du PIB.

En Asie, des conditions de liquidité favorables ont facilité la hausse des marchés et les rendements en livre sterling ont été renforcés par l’appréciation des devises, les taux d’intérêts élevés dans la région attirant d’importants investissements étrangers. Les marchés ayant réalisé les meilleurs résultats sont l’Inde, l’Indonésie et les Philippines, la Chine restant à la traîne. La solidité de la situation macro-économique chinoise a provoqué une résurgence d’inquiétudes au sujet d’un éventuel renforcement de la politique fiscale, et le yuan se trouvait dans la ligne de mire après les critiques ouvertes du gouvernement chinois par le président américain Obama de ne pas avoir permis à la devise de s’apprécier (FTSE World Asia Pacific ex Japan +9.8%; MSCI China +8.0%).

Ce fut aussi un mois bien chargé au Japon, avec le maintien au poste de premier ministre de Naoto Kan après sa victoire sur son rival Ichiro Ozawa. Les autorités sont intervenues de façon inattendue pour affaiblir le yen lorsqu’il a atteint ses plus hauts niveaux en 15 ans. Elles ont annoncé un stimulus économique supplémentaire de 11 milliards de dollars. L’enquête Tankan a également indiqué que la confiance dans l’activité des entreprises avait été affectée par la solidité du yen. Les actions ont continué de progresser, mais il s’agissait de la performance la plus faible sur la région (FTSE Japan +1.9%; +3.9% en devise locale).

Sur les principaux marchés des obligations d’état, aux Etats Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, les papiers se sont légèrement tendus après un excellent mois d’août, les investisseurs retrouvant le goût du risque et recherchant des obligations d’entreprise à rendement plus élevé. Dans les pays à la périphérie de la zone Euro, les obligations d’état irlandaises ont été affectées par la brusque hausse des rendements (diminution des prix) suite à l’annonce du plan de sauvetage de l’Anglo Irish Bank (JPM Global Govt Bonds -0.3%). Les obligations des secteurs financiers plus risqués ont tiré profit de l’annonce des normes proposées dans le cadre des accords de Bâle III, qui imposeront aux banques de détenir un niveau de fonds propres plus élevé dans leurs bilans (iBoxx Sterling Non-Gilts All Maturities – 0.2%).

A l’avenir, les dynamiques générales du marché devraient être poussées par les changements de politiques liés à des « Quantitative Easing » supplémentaires, et ces derniers pourraient être de plus en plus précis au cours des prochains mois. L’un des ‘dangers ’ reste de savoir si les banques centrales pourront réussir l’opération difficile de stimuler la croissance économique tout en évaluant correctement le coût à long-terme de ses dépenses frénétiques.

Dans un scénario où le momentum économique continue de stagner, nous sommes persuadés que les investisseurs chercheront à générer des rendements, surtout si les taux d’intérêt restent faibles encore quelque temps. D’un autre côté, il subsiste également un risque que les résultats macro-économiques et des sociétés reflètent une croissance plus rapide qu’escomptée. C’est dans ce contexte, que nous adopterons une stratégie d’investissement volontairement prudente.

 NOTES

Tous les indices sont des indices de rendement total en livre sterling sauf indication contraire.

*La Tragédie de Pudd’nhead Wilson par Mark Twain