La recherche de rendement

par Eric Pictet, Directeur Général du bureau de Paris de Muzinich & Co

Dans le contexte actuel marqué par des taux faibles, la recherche de rendements réguliers élevés devient plus que jamais un enjeu de taille pour les investisseurs obligataires. A cet égard, nous pouvons distinguer chez les investisseurs deux approches distinctes pour faire face au casse‐tête des rendements, chacune comportant des risques bien spécifiques.

Les investisseurs en quête de rendements ont ainsi opté pour l’achat soit d’obligations de duration longue, soit de crédit de moindre qualité. Ces investisseurs obligataires devraient se préparer à essuyer des pertes « mark‐to‐market » significatives, lorsque les taux d’intérêt repartiront à la hausse ou en cas de correction des marchés, compte tenu des niveaux de prix actuels. Les obligations de longue duration avec des coupons peu élevés, sont confrontées au risque d’une augmentation des taux d’intérêt, tandis que les obligations d’entreprises de moindre qualité, telles celles notées CCC, restent assujetties au risque d’élargissement des « spreads » ou de détérioration de l’environnement macro économique.

Selon nous, dans l’environnement actuel, il est essentiel de ne pas rechercher à tout prix le rendement, en s’exposant excessivement au risque de crédit ou de duration. Au contraire, les investisseurs devraient davantage se concentrer sur la réduction des risques extrêmes en termes de crédit et de duration en recherchant des revenus réguliers supérieurs au sein de l’univers des obligations d’entreprises de meilleure qualité. Ces titres présentent généralement une duration plus courte et une date d’émission plus ancienne. En qualité de gérants d’obligations d’entreprises, nous achetons ces titres au sein de nos portefeuilles à la fois de duration courte et de duration neutre. Dans le cadre du présent article, nous analyserons les raisons qui expliquent la chute des taux de rendement et présenterons nos perspectives en matière de risques de taux et de crédit. Nous examinerons également l’univers du « high yield » en termes relatifs et les raisons pour lesquelles le coupon élevé et les fondamentaux robustes de la classe d’actifs en préservent l’attrait pour l’investisseur de long terme.

L’environnement actuel de faibles rendements

Les rendements des titres « high yield » ont chuté de 8% au 5 juin 2012 à 6,7% au 31 août 2012 (BofA ML US HY Cash Pay ‐ J0A0). Cette baisse s’explique par la conjonction de plusieurs tendances. L’univers du « high yield » bénéficie à la fois de bons fondamentaux et de facteurs techniques robustes.

En premier lieu, le bilan des entreprises s'est nettement amélioré depuis l’éclatement de la crise financière en 2008. On ne peut pas en dire autant du secteur public. Bien que les ménages aient commencé à se désendetter, les consommateurs doivent toujours faire face à des taux de chômage élevés et un marché immobilier atone.

En second lieu, l’environnement technique, à savoir la demande des investisseurs, est resté soutenu ces dernières années, compte tenu de la stabilisation du crédit et de la quête de rendements supérieurs des investisseurs. Parallèlement, les coupons des emprunts d’Etat de haute qualité, ont subi d’importantes baisses, dans le sillage du mouvement de repli vers la qualité initié par les investisseurs durant des périodes de tension sur les marchés.

Les rendements des obligations non souveraines ont deux composantes : le taux de base sans risque de l’emprunt d’Etat auquel s’ajoute un différentiel de risque qui vient rémunérer les investisseurs pour le taux de défaut qu’ils assument en n’investissant pas dans l’emprunt d’Etat.

Compte tenu des craintes entourant la crise de la dette souveraine en Europe et les perspectives de croissance mondiale, la composante sans risque des taux de rendement des obligations d’entreprises a fortement chuté ces derniers mois, les investisseurs ayant privilégié la sécurité relative des bons du Trésor américains, des emprunts d’Etat britanniques (Gilts) et allemands (Bunds). L’excédent de rendement par rapport aux bons du Trésor requis en rémunération du risque accru par les investisseurs « high yield » s’est également rétréci en ligne avec l’amélioration de la qualité de crédit des émetteurs. Cependant, les « spreads » des obligations d’entreprises restent importants par rapport à leur moyenne de long terme.

De nombreuses entreprises ont tiré profit des taux d’intérêt actuellement à des points bas record pour émettre de la dette et repousser leurs maturités, se garantissant un financement bon marché sur les prochaines années. Au cours des dernières semaines, plusieurs nouvelles émissions, tant au sein de l’univers « investment grade » que « high yield », ont été placées sur le marché avec des coupons extrêmement faibles, impliquant des durations plus longues. Nous n’avons participé que de manière limitée à ces nouvelles émissions, dans la mesure où ces titres seront confrontés à des risques de duration accrus et pourraient essuyer d’importantes pertes « mark‐to‐market » en cas de correction des marchés des bons du Trésor ou du crédit. En effet, les taux de rendement actuellement très bas ne seraient alors guère recherchés.

Le risque de taux

Le risque de taux occupe une place de plus en plus importante dans les inquiétudes des investisseurs, dans la mesure où les taux sans risque se situent à des niveaux inégalés depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Plusieurs pays, tels que les Etats‐Unis, le Royaume‐Uni, l’Allemagne, la Suisse, le Japon ou encore Singapour, peuvent se financer à 10 ans à des taux nettement inférieurs à 2%. Les emprunts d’Etat émis à l’heure actuelle, à des taux historiquement faibles, comportent un risque de duration non négligeable.

Le mouvement de repli vers la qualité supposée des émetteurs souverains affecte également d’autres segments des marchés obligataires. Cette préférence pour les actifs sûrs est également visible sur le marché des obligations d’entreprises « investment grade ». Les emprunteurs « investment grade » de haute qualité, tels qu’IBM et Siemens, peuvent bénéficier de financement à des taux inférieurs à 2% pour les émissions à 10 ans. Les obligations « investment grade », qui présentent généralement une duration plus longue et un moindre coupon, impliquent d’importants risques de taux en particulier par rapport aux titres « high yield » et leurs niveaux plus élevés de « spreads ».

Le risque de duration est particulièrement palpable dans l’environnement actuel. La question se pose alors de savoir ce qui pourrait déclencher une hausse des rendements des emprunts d’Etat ?

Trois catalyseurs potentiels peuvent jouer un rôle:

  1. des signes d’amélioration de l’économie américaine ;
  2. une remontée des anticipations inflationnistes ;
  3. une remontée de l’appétit pour le risque des investisseurs au détriment des émetteurs souverains dans le sillage du récent mouvement de « flight to quality ».

Compte tenu des niveaux de « spread » actuels, nous pensons que toute remontée modérée et progressive des taux d’intérêt sera absorbée par le marché « high yield ». Bien que les rendements soient proches de leurs points bas historiques, les « spreads » des obligations d’entreprises restent importants par rapport à leur moyenne de long terme et intègrent un taux de défaut nettement supérieur à nos anticipations. D’après JP Morgan, à des niveaux de 674pb, les « spreads » du marché « high yield » impliquent un taux de défaut de 6,0%. Nous anticipons des taux de défaut proches de 2% en 2012 et 2013, ce qui signifie que les « spreads » devraient être en mesure d’absorber de légères hausses de taux.

En dépit du fait que toute fluctuation des taux de rendement des emprunts d’Etat ait un impact directement proportionnel sur le marché obligataire, nous pensons que ces évolutions ne devraient affecter que légèrement le marché dans un premier temps. En revanche, une hausse importante et soudaine des rendements des emprunts d’Etat aurait très clairement des répercussions notables sur le marché « high yield ». Le resserrement des « spreads » ne permettrait probablement pas de compenser intégralement une telle hausse des rendements des emprunts d’Etat, même si les obligations « high yield » sont mieux armées pour faire face à une telle situation que les obligations d’entreprises « investment grade », les créances titrisées ou les obligations d’agences gouvernementales. 

(…) Le coupon élevé du segment « high yield » permettra à la classe d’actifs s’absorber les hausses de taux. Seule une hausse supérieure ou égale à 200 pb pourrait se traduire par des rendements négatifs un an après. L’ampleur et la rapidité des hausses de taux d’intérêt sont des éléments clés pour déterminer l’impact sur le marché du « high yield ».

Risque de crédit

D’une manière générale, nous sommes assez confiants dans l’exposition au risque de crédit de nos portefeuilles, en particulier en ce qui concerne nos positions sur les titres notés BB/B. En dépit des difficultés économiques, les entreprises ont engagé beaucoup d’efforts pour renforcer leurs bilans depuis le retournement du marché de 2008/2009. Cela s’est traduit par une réduction agressive des niveaux d’endettement, accompagné d’un allongement des maturités et d’une augmentation des réserves de trésorerie. Néanmoins, dans leur quête de rendement, les gérants « high yield » peuvent être tentés de se reporter sur des titres de moins bonne qualité, notamment sur les obligations notées CCC et les titres « distressed ». Cette stratégie nous semble risquée, compte tenu du récent rebond du marché. Malgré l’effervescence de ces trois dernières semaines, les marchés restent particulièrement sensibles aux nouvelles macroéconomiques, notamment en Europe. Les risques extrêmes sont toujours significatifs, du fait de la multitude de vents contraires frappant simultanément sur une période très courte. Un retournement du marché pourrait se traduire par une forte baisse des titres de moindre qualité, en particulier pour les émetteurs sujets à des besoins de refinancement.

Nous pensons qu’il est essentiel de se concentrer sur des entreprises à même de résister à des périodes de difficultés économiques, qui se sont engagées à respecter leurs obligations en termes de versement de coupon et remboursement du principal à l’échéance.

Risque extrême

Ces derniers temps, le marché a été moins attentif aux risques. Il ressort d’une analyse de l’indice VIX S&P (une mesure de la volatilité implicite de l’indice S&P 500) que les risques extrêmes ne semblent pas susciter d’inquiétude majeure. Le VIX a récemment touché 13,45, soit son point bas du deuxième trimestre 2007.

De toute évidence, les investisseurs ignorent soit volontairement les risques extrêmes en Europe, soit ils parient actuellement sur un QE3 ou une nouvelle série d’achats d’obligations de la part de la Réserve Fédérale américaine. De nouvelles mesures accommodantes de la part de la Banque Centrale pourraient inciter les investisseurs à privilégier de nouveau les actifs risqués.

Cependant, les cinq dernières années ont très clairement été marquées par une augmentation des risques extrêmes, comme l’indique la courbe gaussienne ci‐dessous. La ligne rouge illustre les rendements depuis 2007, tandis que la ligne bleue indique les rendements de 1991 à 2007. Les queues de distribution se sont clairement élargies au cours des cinq dernières années.

S’il est indéniable que des risques extrêmes persistent, les retournements du marché « high yield » ont été nettement moins marqués et de plus courte durée depuis 2009 et, hormis les mois d’août et de septembre 2011, le marché n’a pas enregistré deux mois consécutifs de baisse depuis lors. Nous attribuons ces corrections moins sévères à l’amélioration des tendances du crédit, à la baisse des taux de défaut et à la vigueur des fondamentaux des entreprises, ce dont les investisseurs ont plus récemment commencé à prendre conscience. Ainsi, ces retournements ont constitué des opportunités d’achat attrayantes pour les investisseurs.

L’attrait relatif des obligations à haut rendement

En dépit de la compression des « spreads » et des rendements, le segment des obligations « high yield » (même aux niveaux actuels) constitue l’une des rares sources de rendement attrayante, le marché européen du « high yield » générant près de 8% et le marché américain près de 6,7%.

Du point de vue des coupons, la situation n’a pas radicalement changé ces derniers mois (…) Le coupon moyen du marché « high yield » américain se situe entre 8,4% et 8% depuis le début de l’année 2008.

En qualité d’investisseurs « high yield », nous ne pouvons que souligner l’importance des coupons. Les rendements des obligations à haut rendement procèdent de deux composantes : la génération de revenus et l’appréciation du capital. Sous réserve d’un éventuel défaut, les obligations « high yield » génèrent un flux régulier de revenus lié à leur obligation contractuelle de verser le coupon établi. Dans la durée, l’essentiel des performances tirées de l’univers des obligations « high yield » procède de la composante de génération de revenus. Seul un événement de restructuration ou de cessation de paiement pourrait venir mettre un terme à cette obligation de verser le coupon convenu et de rembourser le capital à l’échéance. Selon nous, l’environnement est propice à une distribution des revenus («coupon clipping»). Les investisseurs de long terme devraient bénéficier d’un coupon attrayant.

Si les investisseurs espèrent parfois améliorer leurs performances en « timant » les marchés, nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une stratégie d’investissement efficace. Une exposition sur le long terme à une classe d’actifs à coupon élevé constitue une approche plus pertinente pour accumuler des intérêts. Sur 21 ans d’existence, le composite Muzinich U.S. high yield libellé en USD n’a connu qu’une seule année de performances négatives (en 2008) et a généré une performance annualisée brute sur 21 ans de 8,8% (8% nette), avec une volatilité annualisée de 6,4%. Au sein du segment « high yield », l’impact du coupon rend la classe d’actifs compatible avec l’intérêt des investisseurs de long terme.

Dans l’environnement actuel, nous pensons que les investisseurs obligataires tireront leur épingle du jeu en investissant dans des fonds qui se concentrent sur la gestion des risques de duration et de crédit, via une exposition aux obligations à haut rendement de qualité supérieure et de duration plus courte que la moyenne du marché.

Nous anticipons à un certain moment une correction technique – mais il est délicat de prédire quand celle‐ci se produira ou quelle sera son importance. Tout retournement du marché constitue une opportunité d’achat attrayante pour l’investisseur de long terme, compte tenu des fondamentaux robustes de la classe d’actifs, des coupons réguliers et élevés ainsi que du risque de défaut limité à court terme.

(…) Les investisseurs « high yield » ont ainsi bénéficié d’un rendement positif 95,5% du temps sur l’ensemble des périodes glissantes de trois ans. Il est également intéressant de noter que les investisseurs « high yield » ont bénéficié d’une performance annualisée sur trois années glissantes de plus de 7%, à hauteur de 62% du temps. En synthèse, dans la durée, les investisseurs « high yield » ayant un horizon d’investissement de trois ans ont rarement supporté des performances négatives et ont presque toujours enregistré un profit.

En conclusion, les taux de rendement ont certes baissé mais les « spreads » restent au‐dessus de leur moyenne historique. Comme on le répète souvent, nous ne savons pas quand ou si les marchés corrigeront, le « timing » du marché étant un art bien délicat. En cas de retournement des marchés, nous n’anticipons pas de correction significative compte tenu de la vigueur des entreprises sous‐ jacentes. Cependant, nous avons néanmoins le contrôle sur nos décisions d’investissement et ne sélectionnons que les entreprises qui nous verseront le coupon et nous rembourseront le principal. De ce point de vue, si l’on compare l’environnement actuel à celui des 20 dernières années, nous sommes particulièrement confiants dans nos portefeuilles et pensons que notre approche maîtrisée du risque continuera de porter ses fruits au profit des investisseurs de long terme.

Ne jamais sous‐estimer la puissance des intérêts composés.